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Le soupir emmuré de l’oncle Ghislain : « La stanza di Garibaldi » de Claudia Patuzzi

04 samedi Avr 2015

Posted by biscarrosse2012 in écrits et dessins de et sur claudia patuzzi

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Écrivains et Poètes de tout le monde, Claudia Patuzzi

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Le soupir emmuré de l’oncle Ghislain

Dans le but d’analyser la parfaite construction de l’histoire de « La chambre di Garibaldi » (« La stanza di Garibaldi ») de Claudia Patuzzi, j’essayerai de caractériser les lieux, les moments et les événements principaux autour desquels se constituent le sens et la valeur littéraire du livre.

« Il est de moments magiques, déclare Claudia Patuzzi, durant lesquels un écrivain ne doit pas être dérangé. Dans ces moments, je deviens capable d’oublier mon corps et de vivre hors du temps et de l’espace. En fait, je ne sais même pas quelle heure il est. L’air est encore frais, peut-être parce que le soleil donne au sud, sur la véranda. Au nord, dans la petite tour de tuf, la chaleur arrive toujours en retard, vers deux ou trois heures de l’après-midi, aveuglant d’un coup toute la chambre. Je ferme alors les volets et les rideaux..»
Un lieu présent dans un temps présent, dont le mouvement physique est soumis au cycles de la Nature : la chambre au sommet de la petite « tour » accoudée sur le jardin de la maison auprès de la mer. Une espèce de Aleph, où toutes les mémoires sont recherchées, trouvées ou devinées : « le lieu où demeurent, sans se confondre entre eux, tous les lieux de la terre, qu’on peut voir depuis tous les angles possibles et imaginables  ».
« …en réalité, il habite une grande chambre carrée, avec des toilettes adjacentes… » 
Une autre chambre, elle aussi présente, mais disloquée dans un temps physiquement immobile, que seulement un esprit frénétique pourrait mettre en mouvement : la chambre de l’oncle Ghislain dans l’Institut des frères chrétiens de Bruxelles, où les cycles naturels du monde extérieur sont toujours décalés et insaisissables. La mémoire de Ghislain est précise mais trop douloureuse pour qu’elle puisse se renouer aux rythmes de sa vie passée dans une reconstruction crédible.

« Chère petite féé, qui sait combien de questions tu voudrais me poser… »
Les lettres à la « petite fée (toujours bienveillante) de cet oncle âgé (demeurant jeune dans l’esprit), commentent, dans une espèce de contre-chant au ralenti   (comme dans une moviola), le film visuel et sonore des faits qui se suivent l’un après l’autre.

« Depuis mon enfance… J’ai cherché la tache de ma grand-mère Eugènie sur les murs de la petite tour… »
Une série de flashback nous ramenant aux passages décisifs, heureux ou dramatiques, qui font l’histoire de Gény (Eugénie), le personnage clé du livre — situé dans le juste milieu (géographique, chronologique et affectif) entre le protagoniste Ghislain et sa nièce (l’Auteure du roman) —, c’est-à-dire la grand-mère de cette dernière (la grand-mère enfant, la grand-mère jeune, la grand-mère morte). L’histoire douloureuse de Ghislain s’encadre parfaitement dans l’histoire douloureuse de Gény : rebelle par nécessité ; héroïque  en fonction pour ses deux hommes et de ses trois enfants ; victime innocente de la perfidie homicide de la famille de Paul Mancini, le véritable père de   Ghislain; faible vis-à-vis du refus du Niba, le père adoptif de Ghislain.

« Juste après les funérailles, Annibale Fata démantela la radio… »
Le Niba — même si l’on peut considérer comme un rebelle, un passionné de la mer, un entrepreneur courageux, insouciant de l’éloignement de son pays en temps de guerre —, se soumet pourtant très docilement et sans discussions à la mentalité anachronique de la famille des Marches, jusqu’à forcer sa femme Geny pour qu’elle abandonne Ghislain à leur départ de Bruxelles, en le livrant enfin dans les mains de Cyrille Balthasar, un chef de famille assez redoutable qui n’avait pas caché, en plusieurs circonstances, son égoïsme ni son absence de scrupules dans le rangement des affects familiaux.

« Tandis que Rolando s’affaire dans la cuisine, nous nous faisons face dans la véranda, ma mère et moi. Fille cadette de Gény Balthasar, demi-soeur de Ghislain, elle a désormais quatre-vingt ans. Chaque jour, elle perd une infime parcelle de sa mémoire… »
À côté du sillon principal — la véritable histoire de Ghislain Balthasar — on découvre d’ailleurs une histoire parallèle, en contre-chant, représenté par les vicissitudes d’Henriette et de Roland, les deux gardiens  de la maison-tour avec jardin, des répétiteurs mais non des passionnés de la mémoire. Une vision parallèle, souvent ironique, assez proche à l’esprit de l’homme contemporain, se déclenche autour  d’eux. D’ailleurs, entre cette Henriette (une mère à la mémoire désorganisée) et l’autre Henriette (une fille restée orpheline de sa mère à l’âge de quatre ans) semble-t-il s’installer une césure incurable. Malheureusement, quand l’écrivaine-petite fée est finalement prête à honorer ses engagements avec « l’oncle des lettres », c’est trop tard : Henriette n’est pas en condition de maîtriser sa propre mémoire. Tandis que Ghislain se réjouit à vide dans l’examen répétitif des vieilles photos et que l’émotion l’empêche de les fondre dans un flux de conscience libératoire et ne vitale (parce qu’en réalité il ne veut pas se dérober à cette fixation), Henriette — ayant résisté toute la vie aux questions de son enfant sans lui fournir un cadre plausible de la séquelle de tragédies qui avaient posé une si lourde hypothèque sur son destin —, se réfugie presque volontiers dans la sénilité précoce et dans le désordre de ses souvenirs.
Il resterait Rolando, comme possible témoin et interlocuteur. Mais la succession des destinées croisées qui a fait rencontrer Henriette e Rolando au milieu de la Seconde Guerre, avait déjà prévu des dérives de chagrin, des abandons et des souffrances pour lui aussi : orphelin de son père à l’âge de quatre ans, Rolando aussi, comme Ghislain, crût dans des collèges, loin de chez lui. Heureusement, grâce à son tempérament sportif (ainsi qu’à l’absence de dangereuses distractions), il réussit à se sauver jusqu’à vivre finalement une vie pour ainsi dire normale. Rolando, en définitive, ne fait qu’un avec une vision tout à fait cristallisée et réthorique du passé de sa femme et de sa famille, ainsi que de leurs rencontres de Macerata et des vicissitudes de Ghislain…

« Un jour, j’ai commencé… J’étais convaincue d’être entraînée surtout par le dédain et le désir de justice… »
Le livre de Claudia Patuzzi se propose donc de faire justice, pas seulement des fautes les plus graves — celles de Cyrille et de la famille farouche de Paul Mancini —, mais aussi de celles de son grand-père Niba, en particulier de son manque d’amour (partagé au cours des années par sa famille de Macerata), sans compter le manque de courage de Geny et aussi cette sorte de complicité d’Henriette et Rolando dans le maintien du secret, encore des années après la disparition de Ghislain. Un secret absurde, vis-à-vis de cet abandon destiné à se traduire ensuite en exclusion, marginalisation, effacement. Zérus, c’est-à-dire zéro.

Un deuxième contre-chant — parfois éloigné, parfois plus marqué et explicite — est représenté par la figure de Garibaldi, le héros qui a eu un rôle décisif dans l’accomplissement du procès unitaire du Risorgimento. Garibaldi fut toujours considéré comme un personnage incommode, non seulement à cause de son intransigeance et honnêteté mais aussi pour sa vision libre et anticonformiste de l’amour et de la famille. Peut-être Ghislain — qui était particulièrement reconnaissant envers le pape Jean XXIII, un grand homme qui n’avait pas eu honte, lui aussi, de la modestie de ses origines — était-il convaincu que si son père avait été Garibaldi, au lieu de rebelles à moitié comme le Niba ou Paul Mancini, il n’aurait pas été abandonné.

Les lecteurs de La chambre di Garibaldi devraient lire un autre roman de Claudia Patuzzi, La rive interdite, qui a beaucoup d’éléments en commun avec celui-ci. Un livre apparemment différent, situé dans le Paris du Moyen Âge, où la réinvention du contexte et de ses humeurs jaillit d’une recherche filtrée par l’art et la littérature, tandis que pour la “chambre” la réinvention est véhiculée par les photos de famille, par les maisons cristallisées dans la mémoire, par les récits. Mais les deux personnages principaux des deux livres sont les mêmes : le personnage de la petite Regard de la “Rive” sera incarnée par la petite fée-écrivaine-nièce de la “chambre” tandis que Marcel, le jeune clerc disciple de Sigier de Brabant dans la « rive » sera Ghislain, le frère chrétien de la “chambre”. D’ailleurs, soit dans la “rive” soit dans la “chambre” on perçoit un flux narratif et un rythme fabuleux qui vient du passé, de la tradition. Je vais révéler maintenant que l’oncle de Claudia possède un double prénom : Marcel Ghislain. Le premier prénom, le plus utilisé en famille, a été donné au protagoniste qui “vient de l’autre rive” et au final sera obligé de renoncer à l’amour de  Regard. Le prénom Ghislain a été donné au protagoniste de ce deuxième livre. Un autre élément liant strictement ces deux textes, qu’on pourrait considérer comme complémentaires ou alors comme porteurs d’explications croisées, c’est la critique douloureuse à  la duplicité de l’éthique catholique, aux infamies qu’on perpètre à l’ombre du crucifix. La force de ces deux romans réside en définitive en cette capacité de s’émerveiller et d’éprouver du dédain pour l’hypocrisie qui bâillonne et opprime un nombre incalculable de consciences, de familles, de rapports interpersonnels. Ce sont donc, subtilement et profondément, deux livres “politiques”, de la part de tous ceux qui ne renoncent pas à la vie.

« Alors que j’écris sur la guerre, j’assiste, impuissante, à des évènements qui précipitent. L’Histoire avance au hasard, comme le bouchon d’une bouteille sur le point d’exploser : tu ne sais jamais où il va tomber…  »
L’histoire aux deux « h » est très importante pour Claudia Patuzzi : ce ne sont jamais que des hommes particuliers ni qu’une seule famille (petite ou grande qu’elle soit) les seuls responsables du destin d’une pauvre intruse ou d’un pauvre exclu. Cependant, il faut toujours reconnaître à l’Histoire une fonction narrative primordiale et proéminente dans la « reconstruction de  la vie ». À défaut du tissu de l’Histoire, ainsi bien reconstruit par l’auteure, ce livre-film, avec tous ses effets spéciaux, bruits et odeurs n’arriverait pas a toucher le lecteur en lui donnant la chance de participer au dédommagement de toutes les souffrances subies par Marcel Ghislain Balthasar.
Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui je vous ai parlé de deux livres de Claudia Patuzzi où elle — de façon apparemment inconsciente — coud et défait la toile de la littérature qui aspire à devenir la vie. S’il est vrai qu’un livre c’est comme un enfant – ayant de la chance ou malchanceux, réalisé ou incompris — qui peut mener une vie normale juste s’il est accueilli comme enfant légitime  dans la Maison des Littératures, (tandis qu’en cas contraire il finirait, comme un pauvre handicapé, dans un cagibi avec les balais, avant d’être renvoyé dans le pilon…) il est de même vrai que la petite Regard de la “Rive interdite” et le jeune-vieux Ghislain de la “Chambre de Garibaldi” sont des livres-personnes dont la vie malheureuse sera enfin affranchie pour être  divulguée jusqu’à s’imposer à l’attention de tout le monde.
Ce roman — qui semble jaillir parfois de la plume d’une Natalia Ginzburg désinhibée, d’un Italo Calvino sincère ou d’une Elsa Morante de nos jours — est aussi tributaire de la vaste et profonde culture cinématographique de Claudia Patuzzi. Il est lui même  un film, qu’aurait pu réaliser un Alfred Hitchcock sain d’esprit ou un Stanley Kubrik moins américain qu’européen. Un livre-film que pourrait diriger aujourd’hui le grand Win Wenders, remportant bien sûr un véritable succès de critique et de public.

Giovanni Merloni

« Et pourtant je vous tends mes paumes déçues » (débris de l’été 2014 n. 18)

11 jeudi Sep 2014

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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Écrivains et Poètes de tout le monde, Débris de l'été 2014

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« Et pourtant je vous tends mes paumes déçues » 

« Quand on pense qu’on peut enfin résoudre un problème, le problème a changé… », disait dans sa redoutable sagesse le mythique Mao Tse-Toung. Et bien sûr, les contextes aussi changent. Donc notre mesure ainsi que notre sentiment du temps évoluent ou précipitent en fonction des hommes qui s’installent au pouvoir et aussi des hommes qui nous racontent la contemporanéité. Tandis que les marées suivent des règles constantes et prévisibles et que les vents du nord ou de l’ouest gardent leur nom légendaire, les hommes gardent ou gâchent les trésors que d’autres hommes leur laissent, dans un hasard terrible et mystérieux.

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Saint-Malo, le Corps de Garde, 2014

« D’ailleurs, ici tout est beau, tout flotte dans un incroyable équilibre entre Nature et Culture », on peut le dire encore aujourd’hui lorsqu’on s’accoude aux remparts de Saint-Malo.
Cependant, si je ferme les yeux, je ne peux pas jurer qu’une telle conscience de la valeur d’un patrimoine (naturel, culturel, humain) soit vive et respectée de la même façon à Dubrovnik ou à Rhodes ainsi qu’à Nettuno, là où des citadelles entourées de remparts, avec une certaine ressemblance avec Saint-Malo, surgissent près de la mer.

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Nettuno, 1978

Quand je rouvre mes yeux, je me sens provisoirement à l’abri : une certaine idée de civilisation « résiste », malgré les changements terribles du troisième millenium désormais entamé. En même temps, je m’attarde volontiers sur ces mots listés au hasard comme autant de cartes postales : Nettuno, Rhodes, Dubrovnik. Des localités que l’aventure m’a fait frôler, seul ou en bande…

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Saint-Malo, les remparts, 2014

Il y a huit ans pile, le 11 septembre 2006 nous débarquâmes à la gare de Bercy, ma fille et moi, avec le glorieux « Palatino ». Le même train pendulaire qui avait inspiré Michel Butor pour son incontournable « Modification ». Un livre que j’aurais lu plus tard, en me rendant compte, grâce à lui, que mes deux pôles n’étaient pas que les deux Panthéons (de Rome et de Paris) et que même en me « modifiant » profondément au cours des premières années depuis l’installation… une décision très nette avait été déjà tranché lors de mon premier été « tout français ».
Maintenant, je peux me considérer comme un parisien, ayant eu la chance d’appartenir à une génération « communarde » à l’esprit ouvert et disponible au dialogue, dont j’ai « retrouvé » ici nombreux représentants. Et pourtant, beaucoup de questions s’accoudent à mon rempart.
« Est-ce que j’ai pris cette décision assez radicale, pas trop différente vis-à-vis d’un départ volontaire pour la Légion étrangère, rien que pour éviter d’en prendre d’autres, encore plus difficiles ? »
« Avais-je vraiment tout fait, puisant dans ma patience et dans mes talents pour tenir le coup ? »
« Ai-je en définitive recouvert d’une apparence hardie une honteuse renonce ? »
« N’ai-je pas fait, au final, le même choix du fameux Guépard qui avait tout changé pour rien ne changer ? Qui était-ce, Garibaldi, dans mon destin particulier ? »

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Saint-Malo, embarcadère de la compagnie Corsaire, 2014

Je ne peux pas répondre.
Je me rassure en me disant que le centre de ma vie m’a suivi. Ici à Paris je suis le même sujet que j’étais à Rome et à Bologne ainsi que pendant mes héroïques vacances à Procida et à Cesenatico.
Je me console en voyant qu’ici j’ai trouvé des choses que je désirais, qui m’étaient essentielles. Un peu plus d’ordre dans la même confusion de la vie. Un peu plus d’écoute, quelques petites reconnaissances en plus… Ce peu c’est déjà beaucoup.
Ici, j’ai des amis et j’ai déjà traversé le deuil avec la disparition de quelques-uns de mes nouveaux proches…
J’aime Paris. Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, elle est la plus belle ville du monde parce qu’elle a su croître harmonieusement, en dépit des coups violents de l’Histoire, en gardant son identité ainsi que sa mesure humaine.

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Rhodes, 2005

Je ne suis pas complètement seul. Ma famille m’a suivi… Nous parlons entre nous dans notre langue, tout en évoquant ce monde au-delà de la mer et des montagnes auquel nous avons appartenu et qui nous appartient encore… Il est présent dans nos discussions, dans nos rêveries, dans notre façon d’entendre la nature, la culture, l’amour… Et pourtant, au fur et à mesure que les années s’écoulent, l’Italie glisse de nos mains avec de petits effondrements.
Si on pouvait imaginer pour un instant toute l’Italie surprise par la nuit, avec ses milliards de petites lumières tout au long des routes, coagulées en essaims plus serrés en correspondance des petits villages… J’imagine, chaque fois que je me cale dans la nuit parisienne, qu’une de ces lumières (ou lucioles) s’éteint de but en blanc. Une rue, une balustrade, un pré, une cour avec un arbre au centre, un trottoir aux ombres nettes… un boulevard sous la pluie, un escalier de pierre, une porte, des voix… tout cela disparaît d’un coup de ma vue sans faire de bruit, sans que je n’en sache rien, sans avoir même le droit de protester.

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Dubrovnik, 1965

La plupart des lieux qui m’étaient familiers vivent sans moi, se prenant la liberté de garder ou changer leur apparence sans demander mon avis… Je considère cela comme insupportable jusqu’au moment où une voix taquine m’exhorte à réfléchir : « On peut s’éradiquer des lieux, me dit-elle, mais combien regrette-t-on l’absence des personnes qui ont compté pour nous ? » Oui, c’est vrai, ce sont les personnes qui me manquent.
« Ma io deluse à voi le palme tendo » (« Et pourtant je vous tends mes paumes déçues »).
Le regret fusionne avec le remords. « Quand on pense qu’on peut enfin résoudre un problème, le problème a changé… » Et voilà que le fugitif plein d’enthousiasme se retrouve au centre du gué :
« Ni viande ni poisson, je ne peux pas garder deux amours, comme celui de la chanson. Rome s’éloigne de plus en plus de Paris et, en même temps, la nostalgie devient dévorante rien qu’à songer à tel ami, à telle amie, au frère, au fils, à la cousine… Huit ans, c’est encore peu pour me dire intégré dans cette nouvelle réalité. Ces mêmes huit ans représentent déjà un temps énorme s’ils doivent mesurer la désintégration vis-à-vis de ma vie précédente. En dehors d’un tout petit groupe de gens rentrant en général dans ma famille, personne ne se sent en devoir de me chercher pour me dire ce qui se passe. Personne ne m’avertit de la mort de quelqu’un qui pourrait m’être cher. Car j’ai abandonné mon pays, donc je suis mort, à mon tour, le premier. Il ne me reste alors qu’avancer, comme Orphée, sans me tourner en arrière. Dans ma marche, je rencontrerai toujours en contretemps les nouveaux morts et les nouveau-nés de mon pays aimé. En même temps, puisque partir c’est mourir un peu, je trouverai un jour la force d’accepter ma disparition… et de saluer avec un sourire ma nouvelle naissance. »

Voilà ce que pourrait penser un sujet fort nostalgique que la paresse empêche de maintenir un lien équilibré avec les personnes qui comptent dans sa vie précédente. Et voilà la leçon de cette impressionnante échéance huit ans depuis. Je vais tout de suite me renseigner.

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Campo de’ Fiori, 1978

Giovanni Merloni

L’Italie de Perelà : du Roi Soliveau au Chevalier Inexistant (le rôle d’Aldo Palazzeschi)

15 dimanche Juin 2014

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

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Écrivains et Poètes de tout le monde

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Roma, Campo de’ Fiori, 1980

L’Italie de Perelà : du Roi Soliveau au Chevalier Inexistant (le rôle d’Aldo Palazzeschi)

« Je connaissais déjà les histoires de tous les hommes, leurs actions et sentiments sans savoir avec précision comment les hommes étaient faits, je connaissais les noms de toutes les choses sans savoir quelles étaient les choses qui correspondaient à ces noms, comme un aveugle qui ait reçu par enchantement la lumière. Je devais voir. » (1)
Avant de se caler dans le monde — passant du rôle du personnage à la mode à celui du confident, du concepteur d’un Code indispensable et finalement de l’accusé de tous les maux du monde — l’homme de fumée de Palazzeschi, alias Perelà, connaît en avance, dans l’esprit, ce qu’il vérifiera « physiquement » au jour le jour.
Et pourtant, en tant qu’homme de fumée, il ne peut pas vraiment éprouver des sensations physiques. Il est « venu au monde » déjà adulte. Comme Jésus Christ il a trente-trois ans et tout comme le Dante qui aborde les peines de l’Enfer il est déjà « au milieu du chemin de notre vie »…
À travers cette fiction, basée sur le décalage entre l’humanité (trop humaine) des gens en chair et os, que Perelà met à nu par son humanité à lui, tout à fait légère, aérienne et en définitive inexistante, Palazzeschi trouve la clé passepartout pour nous raconter de sa façon (avec un souffle universel, européen et français aussi) l’Italie de son temps.
Cela correspond parfaitement à sa poésie humaine et abstraite à la fois où — si l’on me permet un parallèle avec les arts plastiques de son temps — le futurisme de Boccioni et Balla fusionne avec le réalisme magique de Carrà et Donghi. Il n’insiste pas trop sur les symboles (comme le faisaient De Chirico ou D’Annunzio) ni sur les côtés pathétiques de la musique de l’âme (comme Pascoli). Il est moderne, désenchanté, pessimiste et désespéré. Sa parenté stricte avec Italo Svevo et Luigi Pirandello lui ouvre des horizons tout à fait précoces vis-à-vis du panorama provincial de cette Italie « de fumée » qui ne sait ni ne veut se mettre au pas des autres nations européennes.

Dans les romans successifs au Code de Perelà, Palazzeschi assumera une attitude plus prudente où l’ironie et le goût du paradoxe se marient souvent au choix de l’équidistance et de la réticence. Et pourtant, même dans « Roma » qu’il publie en 1953 il avance avec la même légèreté de Perelà, son personnage préféré et, en même temps, il semble découvrir une légèreté semblable dans l’objet de son observation à la fois agacée et bienveillante, le peuple de Rome.

005_roma003 180« 1945. Aucun peuple n’est construit pour la paix ainsi prodigieusement que le peuple de Rome : le ciel y a une couleur bleue légère, transparente, d’où le soleil teint de rose toutes les choses en faisant briller le sourire sur chaque bouche. Le peuple romain n’est pas adapté pour le drame tandis qu’aucun peuple ne peut vanter une histoire aussi dramatique, même pas le peuple d’Israël. Il ne connaît pas avec exactitude ce qui s’est passé dans cette très ancienne maison à lui, mais il en ressent vaguement l’haleine au-dessus de la tête. Il respire cela avec l’air. Il sait que d’innombrables événements se sont déroulés, que d’autres événements se dérouleront, et pourtant il n’aime pas les analyser ni leur donner une place dans son esprit, quitte à en extraire de temps en temps une fleur pour s’en orner. Le ver de la curiosité ne le ronge pas, celui d’une curiosité morbide encore moins. Il préfère agrandir les choses belles et commodes plutôt que les laides et inconfortables. Il ajoute aux premières des rubans et des franges, tandis qu’il cache à ses yeux les secondes le plus longtemps possible. Heureux d’exister, il aime la vie. Il n’est pas paresseux comme l’on dit, ni indifférent comme l’on peut croire, et pourtant il n’est jamais pressé. Il considère comme répréhensible que l’on vive essoufflés, car il aime goûter la vie avec l’esprit serein et qu’il est en cela un seigneur assez raffiné. Il ne poursuit pas les occasions, mais lorsqu’une d’elles passe devant lui il est bien capable de l’attraper par la touffe. Il ne connaît pas de fanatisme, il n’est jamais extrémiste, tandis qu’il juge les fanatismes et les extrémismes des choses grossières et de mauvais goût. Au fur et à mesure que les choses grossissent, il prétend les voir devenir petites, parce qu’il met en action ses propres énergies, ses résistances. Il emploie le maximum d’effort pour renforcer les épaules et arrondir le thorax, cela pour affronter les difficultés, celles qu’on ne pourra éviter, avec du sens de l’équilibre et de la santé. Vis-à-vis de n’importe quel régime ou forme de gouvernement il ne fait pas opposition, il l’accepte tout à fait, par principe, toujours en choisissant le côté qui lui convient le plus. Il aime le spectacle, la théâtralité. Les spectacles que le peuple romain sait donner sont d’une beauté inestimable, voilà pourquoi il est prêt à faire de bruit, beaucoup de bruit, avec la bouche, les mains… parce que cela rentre dans le bonheur d’exister et que rien ne le cache mieux que le bruit. Il aime écrémer le sommet de la coupe, il se méfie toujours du contenu. Il ne s’abandonne ni ne recule, il se défend. Il assume toujours la position de l’homme qui se protège, qui défend sa vie : son propre bien. Cet engagement à la surface le sauve toujours. Quand un régime tombe, sans aucune exclusion, il claque des mains même plus fort qu’avant, il les claque tout à fait. En ce moment, juste un peu, il se révèle. Et lorsqu’un matin on lui annoncera que ces hommes qui l’ont gouverné pendant plus que trente ans par autant de succès ont été fusillés dans une place de Milan, pendus avec la tête en bas, cela ne lui semblera pas une chose neuve ni grave, mais la plus naturelle des choses : “il y a ça aussi, on fait aussi cela, on peut faire même pire”, et ce n’est pas facile comprendre ce qu’il ressent. Il se referme pour se sauver, pour résister, car pour l’amour de la vie il doit se sauver, il doit résister, tandis que par un instinct de défense il claque des mains au plus fort que possible, jusqu’à faire le maximum de bruit. » (2)

002_campo de fiori anni 80 (4) 180Roma, Campo de’ Fiori, 1980

Comme on a dit dans les précédents billets, les origines toscanes de Palazzeschi ne s’effacent jamais, même après le séjour à Paris et l’installation à Rome. Donc, dans son amour partagé envers cette capitale tout à fait particulière — se révélant sous ses yeux le théâtre de toutes les contradictions —, il ne peut pas oublier les différences, encore fort sensibles de son temps, entre Italiens de différentes régions.
Pourtant, un lien formidable relie entre elles les expressions artistiques et littéraires ainsi que la façon de se rapporter aux institutions et à l’histoire de chaque habitant de ce pays béni par le soleil et la beauté, mais puni par les cycliques disgrâces et en définitive par une destinée dramatique.
Dans cette douloureuse contradiction (et subjective contrariété) typiquement italienne jaillissent tout spontanément des auteurs anticonformistes et rebelles (parfois sournoisement) comme Palazzeschi et Dino Buzzati ainsi que des personnages (héritiers du théâtre des marionnettes et de la « commedia dell’arte ») emblématiques et immortels comme Pinocchio ou le Chevalier inexistant.
J’espère pouvoir revenir avec l’esprit que cela mérite au personnage de Pinocchio, véritable métaphore de l’Italie et de son oscillation entre le chat et le renard, entre le mirage d’un bonheur trop facile (représenté par Lucignolo) et la punition qui attend toujours au passage (représentée par les deux carabiniers panachés). Car autour de cette fable désespérée (et solitaire, même dans sa laïcité anticonformiste), dans cette parabole morale qui n’accorde aucun espoir au pays des « cigales », il y a la prémonition de la diabolique alternance, typiquement italienne (mais possible partout dans le monde), entre la concrète expérience de redoutables plaisirs d’un « pays des jouets » tout à fait réel et la menace sinistre, elle aussi bien réelle, d’une prison où l’on peut finir d’un moment à l’autre, que l’on soit coupables ou innocents.
Dans ce même monde (toscan, romain, napolitain ou vénitien) ondoyant entre le mirage et le rattrapage, le Perelà de Palazzeschi se détache pourtant nettement de tous ces pantins (ou « burattini » ou marionnettes) qui assument en eux-mêmes tous les vices et toutes les faiblesses des Italiens en chair et os. Il ressemble plutôt au prototype le plus surréel de notre littérature : le roi Soliveau de Giuseppe Giusti (1809-1850). Juste un bout de bois sans vie, emprunté à une glorieuse fable d’Ésope (reprise par La Fontaine) pour mettre à nu le drame politique et institutionnel du « Risorgimento ». Giuseppe Giusti était lui aussi un « maudit toscan » comme Palazzeschi, donc il voyait la question de l’Unité nationale, encore inachevée de son temps, sous un angle particulier.

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Roma, Campo de’ Fiori, 1980

Son « roi Soliveau », calé dans la Toscane de Léopold II évoque plutôt, à mon avis, le roi du Piémont et de Sardaigne, l’énigmatique Carlo Alberto, dont Giuseppe Giusti voyait l’inconsistance et les objectives limites vis-à-vis de la complexité d’un pays habité de « grenouilles », aussi bruyantes qu’affectées par un inguérissable individualisme. Carlo Alberto n’était d’ailleurs que le « mal mineur » dans le but d’une Italie réunie, un bout de bois jeté dans un étang…

Le roi Soliveau (1841)

Face au roi Soliveau,
Qui échut aux grenouilles,
Je tire mon chapeau
Et fléchis le genou ;
Déclarant à mon tour
Qu’il leur tomba du ciel ;
Combien commode et beau
Est un roi Soliveau !

Il chut dans son royaume
En menant grand fracas ;
Car les têtes de bois
Toujours font du tapage ;
Mais bientôt il se tut ;
Et flottant sur les eaux
Il resta tout nigaud
Notre roi Soliveau.

De tout le marécage,
On vint voir ce machin :
C’est là le souverain
Qui faisait si grand bruit ? »
Coassait-on partout.
« C’est pour être sifflé
Que fait pareil bordel
Ce grand roi Soliveau ?

« Donc ce tronc raboté
Portera la couronne ?
Ou Jupin s’est trompé
Ou bien il nous couillonne :
Expulsons au plus tôt
Un roi aussi stupide ;
Qu’on renvoie en appel
Le dit roi Soliveau. »

Silence, taisez-vous !
Et laissez le royaume,
Ô bêtes que vous êtes,
À ce roi fait de bois,
Il ne vous gruge point,
Il vous laisse chanter ;
Point d’horrible massacre
Sous un roi Soliveau.

Doucement, au palais,
Emporté par le vent,
Il ballotte, et il flotte ;
Et jamais dans l’État
Ne pêche jusqu’au fond :
Ô science du monde !
Quelle sage cervelle
Que ce roi Saliveau !

Quand il veut au hasard
Dans l’eau plonger le chef,
Il reparaît bientôt,
Léger à la surface,
Comme l’instant d’avant.
Appelez-le Altesse,
Cela sied à merveille
À ce roi Soliveau.

Voulez-vous qu’un serpent
Trouble votre sommeil ?
Dormez donc satisfaites,
Là-bas dans votre boue,
Ô bêtes sans défense :
Pour qui n’a pas de dents
Est fait à sa mesure
Un tel roi Soliveau.

Un peuple comblé par
Tant d’heureuses fortunes
Peut bien se dispenser
D’avoir le sens commun.
Ah ! quel peuple parfait,
Et quel prince solide,
Quel sacro-saint modèle
Que ce roi Soliveau !
(3) 

Giuseppe Giusti

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Il ne faut pas oublier que le nom même de Perelà rappelle une « trinité », elle aussi typiquement italienne, où la Peine serait la souffrance du père, Dieu — et de la mère, la Madone — ; le Réseau — ou le filet — serait l’attitude au dialogue du fils, Jésus, tandis que la Lame serait en définitive l’épée de Damoclès toujours surplombante que le Saint-Esprit pourrait brandir de façon solennelle le jour du jugement dernier.
Et pourtant il est et reste « étranger dans sa patrie » pendant tout le déroulement de cet admirable antiroman (très adapté à des exploitations théâtrales ou cinématographiques pourvu que s’en occupent de metteurs en scène ou réalisateurs de grande sensibilité et goût). Perelà ne souffre pas les drames existentiels d’un Pinocchio qui doit tôt ou tard changer d’état en devenant un garçon (un brave garçon en plus). Il ne vit pas les anxiétés de l’éternel rattrapage ni de l’éternel jugement qui rendent précaires ses bonnes intentions.
Perelà est le premier « chevalier inexistant » de notre littérature. Son drame s’épuise dans la perception du gouffre le séparant des humains (et des humaines), dans son impuissance congénitale qui l’empêche de jouir des plaisirs terrains, ainsi que de faire quelque chose d’utile pour ces êtres maladroits et autodestructeurs dont il devient le miroir.
Je crois que Italo Calvino ne se soit pas borné à lire et apprécier les contes et les romans de la maturité d’Aldo Palazzeschi, comme on a vu dans sa lettre ici citée. Je crois que le père inconscient et distrait du Chevalier Inexistant est sans doute Perelà, le premier antihéros moderne de notre littérature.
Tous les deux… sont d’ailleurs tributaires du « Roland furieux » de l’Arioste… Dans l’histoire difficile et contrariée de la libre expression en Italie, un fil rouge relie sans doute la poésie et le théâtre, le roman picaresque et anticonformiste à l’idée d’un pays meilleur, toujours insaisissable au-delà d’une glace opaque assez difficile à briser.
Un fil de confiance et d’amour pour l’humanité relie aussi entre eux les mondes fantastiques de l’Arioste ou de Palazzeschi aux mondes plus tempérés et réalistes de Calvino et Buzzati… Et pourtant leurs messages et souhaits de liberté et fraternité, quitte à être célébrés, ne sont pas du tout suivis ou intimement compris.
L’Italie est le pays des métamorphoses qui n’offrent pas de concrètes voies de fuite. On y accepte facilement un roi Soliveau qui laisse tout le monde libre de gaspiller les immenses trésors dont on a hérité sans aucun mérite… on aime se distraire et rester en dehors de toute mêlée, lorsque le Soliveau est remplacé par le Serpent ou, plutôt, quand le bout de bois inoffensif se métamorphose en voleur et assassin. Dans un pays où le pantin peut se transformer de but en blanc, sans transition apparente, en marionnettiste diabolique et Mangiafuoco sans scrupules, les mots de Perelà résonnent péniblement comme l’écho d’une espérance extrême de civilisation, pour laquelle les hommes de bonne volonté ne devraient jamais cesser de se battre.

« C’était vrai, il ne s’était jamais senti aussi léger, et à mesure qu’il se levait au-dessus de la ville, ses pensées s’élevaient elles aussi, les soucis du palais et de tous les gens d’en bas s’éloignaient, s’atténuaient, disparaissaient presque de son regard. La lumière triomphait, la chaleur du soleil, la légèreté de son corps, le vert des feuilles, l’ingénuité du cours d’eau, l’air pur, lui firent sentie pour la première fois que tout ce qui se faisait là-bas dans cet énorme tas de maisons, était quelque chose de lourd, de pesant, d’extrêmement pesant, à un point qui commençait à lui être insupportable. Les tours, les larges constructions de pierre, les toits, énormes chapeaux écrasant les maisons, tout pesait impitoyablement sur la terre, les gentilshommes, les soldats vêtus de fer, les carrosses, tout était d’une pesanteur insupportable. » (4)

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Aldo Palazzeschi

Giovanni Merloni

(1) Aldo Palazzeschi, « Le code de Perelà », éd. italienne, p. 23, traduction Giovanni Merloni

(2) Aldo Palazzeschi, « Roma », Vallecchi, 1953, p. 65-67,  traduction Giovanni Merloni.

(3) Giuseppe Giusti, « Il re travicello » (« Le roi soliveau »), 1841. Anthologie bilingue de la poésie italienne, La Pleiade-Gallimard, p. 1173-1177, traduction Danielle Boillet.

(4) Aldo Palazzeschi, « Le code de Perelà », Editions Allia, 1993, p. 150, traduction Monique Baccelli.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 15 juin 2014

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Claudia Patuzzi : Zérus

16 dimanche Juin 2013

Posted by biscarrosse2012 in écrits et dessins de et sur claudia patuzzi

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Écrivains et Poètes de tout le monde, Claudia Patuzzi

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Le plat pays de Jacques Brel

Deuxième dimanche consacré à un écrivain italien, Claudia Patuzzi, dont le roman « La stanza di Garibaldi » a été publié en Italie en 2005. La publication périodique du roman, récemment traduit en français sous le titre de Zérus, démarre aujourd’hui sur Décalages et métamorphoses Tous les droits sont réservés.

« Bruxelles, le 2 novembre 1985

« Chère petite fée, « Je conserve quelques rares souvenirs de Paris, particulièrement entre 1907 et 1909, de l’âge de mes deux à quatre ans. Papa devait être très riche. Est-il négociant en bétail ? Une vieille photo où on le voit à cheval, près d’un troupeau, m’amène à le croire. Il était gentil avec moi, il m’apportait souvent un cadeau. Dans un coin du vestibule, il y avait une malle pleine de jouets. Je me souviens que je possédais des trains et de nombreux avions miniatures. C’était l’époque de l’invention de l’aéroplane.

« La maison des Mancini se trouvait au bout de la rue d’Auteuil, près du bois de Boulogne. Au-delà du mur d’enceinte, je voyais la pointe du clocher de Notre-Dame d’Auteuil et j’entendais le son de ses cloches qui résonnait sur la place. Nous vivions dans un bel appartement qui donnait sur un grand jardin. La maison était couverte de plantes qui, l’été, empêchaient d’ouvrir les persiennes. Dans un coin, à droite, il y avait un grand arbre tropical. « N’avale pas ces fruits, ils sont toxiques ! » me criait la nourrice. Quelquefois, je jouais à cache-cache avec mes cousins. — Où est Balthasar ? — Où est Zérus ? — Derrière le noyer. « Mes cousins m’étaient très antipathiques. Ils ne m’appelaient que « Zérus », c’est-à-dire personne. J’étais le plus jeune et, surtout, l’intrus. Et pourtant, petite fée, j’allais et venais à mon gré dans cette maison dont je connaissais chaque coin par cœur. Je me souviens qu’au bout d’un couloir il y avait une reproduction de Brueghel représentant la chute d’Icare. Je me demandais en le regardant : « Pourquoi le berger, le paysan et le pêcheur ne sauvent-ils pas ce jeune homme qui tombe à la mer ? Pourquoi sont-ils si calmes ? » « AUCUNE CHARRUE NE S’ARRÊTE PARCE QU’UN HOMME MEURT » commentait une élégante graphie, mais je ne savais pas lire. J’étais encore trop petit. Mes yeux dévoraient cette scène avec la souffrance de quelqu’un qui assiste à un crime. « Ils l’ont tué ! » pensais-je, alors que je m’échappais dans le couloir en criant : « Méchants ! Méchants ! » « Les cousins riaient : « C’est Zérus qui pleure ! » « Étais-je un casse-pieds ? Peut-être que oui. Aujourd’hui encore, je regarde le monde extérieur avec envie et peur ; puis, si je commence à réfléchir, je pense qu’ici aussi, dans l’enclos des murs de l’Institut, protégé par la Providence, tout n’est pas toujours rose…

« Zérus »

Claudia Patuzzi

De « La stanza di Garibaldi » chapitre V, « Paul », p. 61, Manni Editori, décembre 2005. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006, assigné à « Caos calmo » de Sandro Veronesi

Postface de Dacia Maraini : Un roman d’initiation ? Une saga familiale ? Le portrait en ronde-bosse d’un homme « muet » et solitaire, voué à Dieu par désespoir et abandon ? Voilà, entre autres choses, ce que révèle le livre de Claudia Patuzzi, qui se présente aujourd’hui au public sous les abords d’un roman vigoureux et chargé d’intentions. J’ai connu Claudia durant l’un de mes séminaires et j’ai eu l’occasion de découvrir son grand amour pour l’écriture, sa ténacité, sa volonté, son dévouement pour la lecture. D’ailleurs le roman en révèle le projet dès le début : une femme jeune, une jeune fille peut-être, mais avec une conscience expressive précise, se retire dans une « petite tour » à la campagne pour écrire, après avoir rassemblé, pendant des années, des quantités de matériaux sur l’histoire d’un oncle : l’oncle Ghislain Balthasar, moitié italien et moitié belge, devenu belge, s’étant fait prêtre encore très jeune après que sa mère l’avait abandonné pour suivre son deuxième mari, Niba, à la guerre. Un homme blanc comme neige, cet oncle Ghislain, aimable, solitaire, blessé par un abandon qui a déterminé sa vie ; un homme qui appelle l’auteure « petite fée » et lui confie les documents et les histoires de trois générations de la famille Balthasar. Le récit de la vie de l’oncle Ghislain s’accompagne du récit, tout aussi intense et compliqué de celles de la grand-mère Eugénie, de la tante Germaine, de la mère Henriette, du père Rolando et de tant d’autres membres de la famille qui font la navette entre la Belgique et l’Italie, qui louvoient entre le français et l’italien, qui oscillent entre l’amour pour leurs racines et le désir de changer de pays, de changer d’habitudes, de changer de langue, de changer de soleil. « Parfois je m’arrête pour regarder le visage distrait de ma mère et le vol rasant d’un oiseau et je me demande : -Qu’est-ce que la mémoire ? D’où vient-elle ? Où est-elle ? Le cerveau est-il la mère de la mémoire ? Ou bien la mémoire, comme une cathédrale gothique, représente-t-elle un monde à soi fait de petites briques sans nombre devant quoi le nom de celui qui conçut le projet initial s’est perdu pour toujours ? » Ces demandes sur la mémoire sont inquiétantes, en ce qu’elles révèlent un doute et une interrogation sur le passé. Il est vrai que la mémoire est à l’origine de ce que nous racontons, mais quelle est la part que nous pouvons attribuer à la réalité et celle qui revient au caprice architectural d’une vision gothique ? -Ce qui compte, n’est-ce pas le résultat, l’œuvre colossale qui élève ses doigts frêles jusqu’à Dieu ? se demande Claudia, et on en vient à penser aux origines du mot « texte » qui vient du latin « textus » et se réfère à ce tissage antique que d’archaïques mains féminines accomplissaient en l’honneur du ciel. « Chacun de nous a un édifice dans sa tête, poursuit Claudia, ce peut être un gratte-ciel américain, une pyramide égyptienne, une tombe étrusque ou une pauvre chambre à une place. En réalité, la forme importe guère. Quel que soit l’aspect de l’édifice, chacune de ses briques est un monde serti dans un autre, semblable et pourtant différent, comme un corail à l’intérieur d’une gigantesque barrière immaculée dans un jeu infini de poupées russes. » Cette idée de la complication et de la signification multiple de la mémoire, est à l’origine d’un récit qui après avoir choisi son point de vue unitaire se fragmente, pour ensuite se retrouver à la fin dans un regard d’ensemble qui unit la narratrice aux personnages qu’elle aime le plus. « La mémoire d’Eugénie ne ressemblait ni à l’impasse de Ghislain, ni à celle déformée par les feux d’artifice de sa fille Henriette. Sa mémoire n’était pas horizontale, mais circulaire et géométrique comme un flocon de neige. » Avec cette belle image, Claudia Patuzzi nous propose ce qui sera la « forme-informe » de la mémoire du roman, tourbillonnante et circulaire, parfaitement accomplie et géométrique dans sa structure comme un flocon de neige, mais tout comme lui à la merci des vents. Parmi tant de fragments d’histoire se détachent quelques récits très intenses : celui du père Rolando qui semble trouver sa paix en sarclant, piochant, nettoyant le jardin derrière sa maison. « Rolando est un gardien. C’est Charon ? Je ne crois pas. Il vit au paradis, dans un petit éden. Ce n’est pas Caton non plus. Dans son univers tout se vit sans réflexion ni sentiment de faute, il cherche la liberté “comme le sait qui pour elle a refusé la vie ”. » Ou bien l’histoire d’Annibale Fata, dit « Niba », éternellement accroché à sa longue-vue qu’il va prendre à l’envers pour voir le monde miniaturisé et lointain et finir transpercé par un grand nombre de balles ennemies. « Niba était trop aventureux pour les étoiles, trop impatient pour « les regarder ». Un beau jour il en eut marre de regarder le ciel et il changea de direction. Plutôt que de chercher la mort dans le ciel il la chercha dans un lieu encore plus bleu et plus noir : il chercha la mort dans la mer… » Toute l’histoire de Ghislain est belle. Dans sa vie douloureuse et solitaire de célibataire, il trouve les raisons de la joie et de la confiance dans le futur à travers le récit de sa vie et le fait de remettre son avenir entre les mains confiantes et tenaces de sa « fée petite nièce ». On dirait curieusement que les personnages masculins sont ceux qui éveillent le plus d’attention de l’auteure. Les personnages féminins, qui pourtant devraient lui être plus proches par affinités historiques, sont vus quelquefois avec suspicion et rancœur. Les personnages masculins, en commençant par Ghislain, privilégié entre tous, sont dessinés bien sûr avec plus de soin, plus d’amour, avec plus de compréhension et de sentiment. C’est une chose inhabituelle pour une auteure, mais cela n’enlève rien à la qualité du récit. Pour conclure nous pouvons dire que ce roman familial de Claudia Patuzzi est un acte de confiance glorieuse dans la mémoire, moins un tourbillonnant flocon de neige qu’un « filet tendu » qui rassemble les poissons des pensées, en fait nourriture pour le présent, et après les avoir fumés et étendus parmi des feuilles parfumées, les conserve comme un aliment précieux pour l’avenir.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 16 juin 2013

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Ennio Flaiano : Beaucoup de chansons, beaucoup de miracles

09 dimanche Juin 2013

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Écrivains et Poètes de tout le monde

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Con tutto il cuore (With All My Heart), chanson de Betty Curtis (1958)

« Il y a une particularité physique des Pauvres, que je considère d’une importance extrême : les Pauvres ne parlent pas, ils chantent. Attention, je ne veux pas dire que parmi les Pauvres on compte d’excellents chanteurs, que d’ailleurs c’est vrai, mais que tout le monde chante de façon tout à fait naturelle. Ils chantent dans les plus simples circonstances et ne considèrent pas cela comme un mérite. Car en fait ils ne sauraient faire rien d’autre… Leur larynx est formé de façon qu’ils n’ont pas de choix : ou le chant ou le silence.

« Pour apprendre à parler selon l’usage de chez nous, il existe des écoles spéciales, fréquentées par de riches seigneurs, des diplomates, des personnages illustres, des hétaïres : mais, sur mille élèves, après un cours de trois ans, pas plus que cent sont capables de dire : « Bonjour » ou « Merci » sans produire quelques roulades.

« Pour un étranger la surprise n’est pas plus forte que l’endommagement qu’il en reçoit, puisqu’il devra se borner à parler avec très peu d’individus, pour la plupart ennuyeux. Ou alors ce sera lui-même à chanter, pour se faire entendre des autres.

« Le chant influence tellement les habitudes des Pauvres que le voyageur ne doit pas espérer d’y comprendre quelque chose, s’il néglige de considérer cet élément. Les Pauvres n’ont pas une Littérature, ou un Théâtre, ils ont un Chant. Inventeurs du mélodrame, ils y prodiguent totalement leur passion. Vous resterez étonnés devant le spectacle assez commun de deux industriels qui traitent leurs affaires chacun essayant de dépasser l’autre dans l’intonation, dans le sentiment, dans le jeu de la scène. Les duettos, les trios, les quatuors, les chœurs sont des choses tellement normales qu’on n’y prête pas attention. Au contraire, ceux qui parlent sont beaucoup écoutés : un bon orateur n’a pas de prix et ne connaît pas des échecs.

« Dans les jours qui précèdent les révolutions, des cortèges populaires encombrent les rues et marchent au chant de l’ancien hymne national, dont le premier vers, si je me rappelle bien, est ‘Faisons une autre hypothèse’. Il y a un seul inconvénient. Les Pauvres ne savent pas chanter en chœur. Des individualistes sans pareils, chacun veut écraser son voisin et graver dans l’ancien hymne sa propre personnalité. Ils changent donc les mots et en altèrent l’air. En fait de cet hymne, il en existe d’infinies versions. »

Ennio Flaiano, Il Cavastivale sur Opere, Scritti postumi, Classici Bompiani, 2001

(Le « pays des Pauvres », dont parle ici Ennio Flaiano, le Prévert italien, pourrait bien être l’Italie…)
Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 9 juin 2013

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