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Con tutto il cuore (With All My Heart), chanson de Betty Curtis (1958)

« Il y a une particularité physique des Pauvres, que je considère d’une importance extrême : les Pauvres ne parlent pas, ils chantent. Attention, je ne veux pas dire que parmi les Pauvres on compte d’excellents chanteurs, que d’ailleurs c’est vrai, mais que tout le monde chante de façon tout à fait naturelle. Ils chantent dans les plus simples circonstances et ne considèrent pas cela comme un mérite. Car en fait ils ne sauraient faire rien d’autre… Leur larynx est formé de façon qu’ils n’ont pas de choix : ou le chant ou le silence.

« Pour apprendre à parler selon l’usage de chez nous, il existe des écoles spéciales, fréquentées par de riches seigneurs, des diplomates, des personnages illustres, des hétaïres : mais, sur mille élèves, après un cours de trois ans, pas plus que cent sont capables de dire : « Bonjour » ou « Merci » sans produire quelques roulades.

« Pour un étranger la surprise n’est pas plus forte que l’endommagement qu’il en reçoit, puisqu’il devra se borner à parler avec très peu d’individus, pour la plupart ennuyeux. Ou alors ce sera lui-même à chanter, pour se faire entendre des autres.

« Le chant influence tellement les habitudes des Pauvres que le voyageur ne doit pas espérer d’y comprendre quelque chose, s’il néglige de considérer cet élément. Les Pauvres n’ont pas une Littérature, ou un Théâtre, ils ont un Chant. Inventeurs du mélodrame, ils y prodiguent totalement leur passion. Vous resterez étonnés devant le spectacle assez commun de deux industriels qui traitent leurs affaires chacun essayant de dépasser l’autre dans l’intonation, dans le sentiment, dans le jeu de la scène. Les duettos, les trios, les quatuors, les chœurs sont des choses tellement normales qu’on n’y prête pas attention. Au contraire, ceux qui parlent sont beaucoup écoutés : un bon orateur n’a pas de prix et ne connaît pas des échecs.

« Dans les jours qui précèdent les révolutions, des cortèges populaires encombrent les rues et marchent au chant de l’ancien hymne national, dont le premier vers, si je me rappelle bien, est ‘Faisons une autre hypothèse’. Il y a un seul inconvénient. Les Pauvres ne savent pas chanter en chœur. Des individualistes sans pareils, chacun veut écraser son voisin et graver dans l’ancien hymne sa propre personnalité. Ils changent donc les mots et en altèrent l’air. En fait de cet hymne, il en existe d’infinies versions. »

Ennio Flaiano, Il Cavastivale sur Opere, Scritti postumi, Classici Bompiani, 2001

(Le « pays des Pauvres », dont parle ici Ennio Flaiano, le Prévert italien, pourrait bien être l’Italie…)
Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 9 juin 2013

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