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O ou Oloé (alphabet renversé de l’été n. 13)

25 dimanche Août 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

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« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles…
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! — »
Arthur Rimbaud, Voyelles, 1872.

On est arrivé à la lettre O., dans ce bizarre voyage à rebours de la mer à la montagne, de l’estuaire à la source primordiale de mon alphabet renversé. Après tout ce qui s’est passé avec le P., ou le S., cette voyelle colorée de bleu par le génie enivré d’Arthur Rimbaud voudrait tout de suite me rassurer : dans la quête Obsessionnelle de l’Occident, dans cette poursuite acharnée des derniers rayons de soleil et dans cet espoir d’arrêter le jour juste au couchant… l’O. serait une Oasis dans le désert ou aussi un Océan tranquille ondoyant dans un verre d’eau…
Comme un pneu peint en rose, jeté sur le poil de l’eau en guise de bouée de sauvetage, l’O. se révèle, en définitive, une véritable lettre de gomme, rebondissant à l’infini sans jamais se faire mal.
Pourtant, c’est justement cette insouciance rebelle de l’O. qui m’inquiète, avec son attitude à l’Objection et à la provocation, venant de loin, de la profondeur ancestrale de chaque langue et de toutes les langues.

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M.C. Escher (1898-1972), Het Palais, La Haye, Hollande

N’y a-t-il pas dans les célèbres « sanglots longs des violons de l’automne » de Paul Verlaine une lutte souterraine et sans répit entre la langue orale, fondée davantage sur les sons, et la langue écrite, de plus en plus soumise à des lois et des règles inflexibles ?
Dans ces vers la présence sonore de l’O. marque la cadence et l’esprit mélancolique du poète, tout en plongeant le lecteur dans un état d’âme presque héroïque et réconforté…
Pourtant, ce n’est pas rassurant du tout, que de découvrir combien de fois l’O. résonne dans une infinité de mots qui en contiennent le son !
Un verre d’O. ? Suis-je autorisé à le dire ?
Ai-je la permission de profaner la science de la parole en disant que l’O. s’écarte nettement des autres voyelles — et de la plupart des consonnes — à cause de sa silhouette ressemblant au visage de la Lune, pour sa forme d’auréole ou d’anneau, de tête sans corps et aussi de zéro ?
Puis-je m’exclamer que cet O. merveilleux suscite en moi des réactions d’enthousiasme presque amoureux lorsqu’il se marie bizarrement et de façon inattendue à d’autres voyelles ?
N’est-ce pas le même pour vous ? Ne voyez-vous pas, vous aussi, que l’O. est l’essence même de la liberté expressive lorsqu’il se marie à la U. et à l’E. juste pour Ouvrir un Œil ?
Ne tombez-vous pas à terre, en proie au délire, lorsque vous entendez les mots Lisboa, Pessoa, Socoa, tout comme les sons Bilbao ou Certao ?

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M.C. Escher (1898-1972), Het Palais, La Haye, Hollande

La voyelle O. est tellement nécessaire, tellement habile, portée à fusionner, comme un jongleur, avec les autres voyelles avec des effets tout à fait différents dans les différentes langues, qu’on aurait du mal à imaginer une vie ou seulement une page sans elle.
D’ailleurs, comme dans le cas du verre d’O., cette voyelle ne fait qu’un avec le nom où il s’installe. Il suffit de penser à Charlot et à Totò : la sonorité retentissante de l’O. dans ces deux noms n’est pas étrangère à leurs succès éternels, comme d’ailleurs les O. qui sursautent dans les deux noms de Stan Laurel et Oliver Hardy réunis à jamais dans un gag infini…
Charlot, Totò, Stanlio et Ollio, tout comme les « sanglots longs » ! Toujours cet O. au centre, capable d’animer une scène ou des vers immortels avant de disparaître dans l’éternel oubli.
Cela va me rendre fou, car tôt ou tard ce dangereux exercice m’emmènera à ressusciter aussi un à un les sons longuement cachés de ma langue maternelle jusqu’au point de dire : « chez nous… »
Chez nous, en Italie, l’Occhio (l’Œil) ou l’Oblò (le hublot), l’Orto (le potager), l’Osso (l’Os) et l’Olmo (l’Orme) sont tellement comblés par cette lettre qu’on dirait qu’ils aspirent à se fondre avec elle…

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M.C. Escher (1898-1972), Atrani (Côte Amalfitaine). Het Palais, La Haye, Hollande

Combien de mots deviendraient moches et insupportables si on leur enlevait un O. ! Je me souviens d’une fête qui devait se dérouler, au temps de mon enfance, chez Octave, un camarade de mon frère. Après de grands préparatifs, habillés avec les pantalons du dimanche, nous allâmes au rendez-vous. Mais Octave, le fils du concierge, était tombé malade et la fête avait été complètement oubliée. Sur le cagibi en face à son appartement au rez-de-chaussée il y avait une enseigne amputée : C  NCIERGE… Dès lors, Octave était devenu le fils du concierge sans l’O.
Ce sentiment de manque et d’abandon ne me quitte pas. L’O. est tellement Obéissant qu’il m’Oblige en me transformant en Otage. D’ailleurs, à cause de ses rondeurs, l’O. fait souvent l’objet d’histoires Osées (se révélant toujours des histoires de manque)…
Comme l’Histoire d’O., bien sûr. Mais aussi, si l’On examine les coïncidences avec attention, cela arrive dans la plupart des intrigues, que la forme tout à fait charnelle de l’O. joyeusement favorise. Dans les Affinités électives de Goethe, par exemple, Otto, l’enfant d’Édouard et Charlotte, ressemble comme une goutte d’O. à Odile (Ottilia), qui ne peut absolument pas en être la mère. Le paradoxe de cette circonstance est souligné par la ressemblance des deux noms commençant tous les deux avec la lettre O. Cela ajoute d’ailleurs une énième touche dramatique au jeu littéraire qui avait déjà préfiguré l’inéluctabilité du bouleversement des destinées amoureuses de deux couples, quand ils sont Obligés de vivre au-dessous du même toit.

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Île de Procida (Naples), photo de Giovanni Merloni

Tout change lorsque l’O. rencontre des consonnes schizophrènes comme le z. Au contraire de l’Histoire d’O., proposant le revers de la médaille de l’hypocrisie et du manque de sentiments positifs dans la vie réelle, dans Le Magicien d’Oz on assiste à une évasion qui aidera Dorothy, la jeune protagoniste, à devenir adulte. Elle aimera ce qu’elle avait déjà : un abri confortable, deux bons parents et trois amis chaleureux.
Une fois enlevés les zigzags et les foudres du z, l’O. s’affiche finalement comme une Oasis de paix, ou aussi comme une bouée en forme d’O. qui vous attend, clignotant de l’Œil, au milieu de l’Océan pour vous sauver ou vous enliser dans une paresse Oisive.
Il est à la fois le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault et le lit de mort de Sardanapale d’Eugène Delacroix. En équilibre parfait sur ces planches extrêmes, vous pourriez trouver les corps allongés l’un sur l’autre d’Othello et d’Ophélia ou seulement un petit livret d’Opéra.
Quel est le secret de l’O. ?
Est-il, en même temps, la lune et le puits qui la contient ?
Est-il le reste de l’Orgueil des civilisations Opprimées par la violence Obtuse des Oppresseurs ?
Est-il l’Oloé d’Anne Savelli : ou lire ou écrire ?

Ô qu’elle est jolie cette voyelle en forme d’Œuf ou de visage Ovale ou de miroir ou d’ancienne photo de famille !
J’y vois une jolie fille aux cheveux longs, aux yeux de lune. J’y vois aussi un hublot d’où ce serait facile d’entamer la montée à l’Olympe…

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Amsterd-tram, photo de Gabriella Merloni

Pourtant, mon cher lecteur, je me permets, en passant, de vous faire une confidence. Avec l’O. j’ai eu envie d’arrêter brusquement et définitivement mon voyage insensé dans l’alphabet. Eh, oui ! Même dans ce chemin renversé, cela va prendre des proportions inattendues.
D’abord à cause d’une certaine inévitable prolifération des alphabets, des saisons, des signes zodiacaux et des jours de la semaine dans notre petit monde de lecteurs-écrivains, avec la conséquence d’un surplus de choses à lire et à voir… comme dans une sorte de festival d’Avignon permanent où alors une passerelle infinie d’artistes à jeun entrant et sortant du métro parisien avec leurs histoires douloureuses et répétitives. Quel est le sens de tout ça ? Était-ce exactement cela ce que je voulais dire en m’adonnant à ce chapelet de noms et de coïncidences ? Tôt ou tard, un sentiment de vague inutilité se déclenche partout, en chacun de nous, lorsque l’Obstination devient l’unique essence pour notre voiture épuisée…
Cette dernière réflexion s’est affichée soudaine pendant une pause de mon tour (de force) dans les Pays-Bas, deux jours avant la mi-août. J’étais péniblement appuyé au parapet d’un des innombrables canaux Saint-Martin d’Amsterdam, lorsque j’ai vu un tramway blanc s’arrêter sur le pont. Pour profiter à tour de rôle de l’unique rail au centre de la longue rue remontant du Rijksmuseum jusqu’à la gare Centrale, c’était prévu qu’à chaque pont les deux tramways, qui font le service dans les deux directions, se rencontrent.
En voyant cela, j’ai pensé à Brigitte C. et à son blog. « À quelle lettre sera-t-elle arrivée avec sa ligne alphabétique régulière descendant de A à Z lorsque je serai, dans ma marche contraire, à l’O. ? Aurons-nous le temps, une fois sur le sommet du pont, de nous échanger quelques mots ? »

Giovanni Merloni

Gabriella Merloni, Banks of Ohio

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 25 août 2013

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P ou Page, deuxième Partie, en hommage à Jacques Prévert (alphabet renversé de l’été n. 12)

23 vendredi Août 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

p bleu

En Puisant dans les Prodiges du P je n’en finis pas de me bouffer de ces Pains et de ces Poissons se multipliant à l’infini.
Pourtant je m’aperçois bientôt :
que le Progrès est un mot dangereux et d’habitude interdit par les Pouvoirs dictatoriaux, surtout militaires ;
que la Paix est de plus en plus Provisoire ;
que le droit de Parole et de libre Pensée qu’on Partage en quelques Petits endroits — de plus en plus restreints — de la Planète est un bien tellement rare qu’un pourrait même le Perdre ;
que la Parole sortant abrupte de notre bouche aurait d’ailleurs besoin, Pour bien Profiter de la liberté de Parole, d’une grammaire, d’une syntaxe, d’un ordre…

Ah, comment ? Prétendre d’aligner les mots dans une Procession, ou alors de Peaufiner une Passerelle Pour leurs Pas rythmés ? Y a-t-il vraiment besoin de ranger les mots comme autant de Personnes sur les Planches rigides d’une école qui serait une Prison ?

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M.C. Escher (1898-1972), tour de Babel, Het Palais, La Haye, Hollande

Oui, d’accord, les Paroles ont besoin du vêtement d’une Phrase, de l’abri d’une… Page
d’une Page à la Page
d’une Page tabouret
d’une Page Pamphlet
d’une Page unique
d’une Page blanche

de Plusieurs Pages se déroulant au long d’un couloir

d’une Page meublée
d’une Page vide
d’une Page éclairée
d’une Page sombre
d’une Page Populaire
d’une Page royale
d’une Page roturière
d’une Page donnant sur un jardin
d’une Page donnant sur une Plage.

villers 1

Abbaye de Villers (Belgique)

On Pourrait ensuite
Pourquoi Pas ?
se Plonger
dans la Page imaginaire de l’Arioste
dans la Page hirsute du Boccace
dans la Page arpenté par Pétrarque
dans la Page d’une nuit entre mille

villers 2

Abbaye de Villers (Belgique)

Mais Parfois
la Page est envahie par l’orage
la Page est bouleversée par la tempête
la Page est fermée
la Page s’ouvre
la Page est prête à partir
la Page meurt

villers 3

Abbaye de Villers (Belgique)

Ce serait alors
une Page sans Plafond
une Page lisse
une Page ridée
une Page dense et menaçante

une Page dépouillée et Presque nue
une Page envahie par la boue

une Page ressuscitée
une Page déchirée, brisée, coupée
une Page oubliée

villers 4

Abbaye de Villers (Belgique)

mais aussi
une Page baroque, rococo, art nouveau, une Page en forme de bistrot, une Page roulante, une Page tapis, une Page tapis de souris, une Page envahie de souris, une Page classique, une Page gothique, une Page surréelle ou encore une Page existentialiste…

Une Page jamais lue, une Page jamais vue, une Page inconnue,
idéale Pour un Piquenique
une Page aussi bien utilisée pour envelopper des Poissons prêts à Pourrir
une Page pour en faire une cigarette
une Page à lancer dans le vent ou dans l’eau

une Page Pleine de bonnes intentions
une Page désespérée
une Page infinie
une Page rétrécie
une Page traversée par les Passions
une Page offensante
une Page vexée
une Page glissant dans la gloire
une Page irrégulière
une Page discontinue

une Page sans mise en Page.

Une Page dans la corbeille.

Une Page engloutie avant l’interrogatoire.

Une Page jamais existée.

villers 5 180

Abbaye de Villers (Belgique)

(en tout cas, pour Tourner la page, il faudrait revenir au T)

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 20 août 2013

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P ou Pion, Première Partie (alphabet renversé de l’été n. 11)

18 dimanche Août 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

001_p rouge 480Je ne suis qu’un Pion qui hésite au Pas d’une grande Porte se révélant étroite. En revenant des Profondeurs éloignées des Pays Bas et des Pays Plats, je voudrais m’accorder une Petite Pause, avant de Pénétrer dans le vif de cette lettre « P » Partout Présente et Pourtant tellement Prodigieuse !

En descendant du Palier du train à sept heures Pile, je suis déjà Persuadé que je ne veux Pas de Projets sans Perspectives. Je ne veux Plus de Portraits sans Personnes ni surtout des Personnes sans Paroles.
002_escher x progresso

M.C. Escher (1898-1972), Het Palais, La Haye, Hollande

Je ne suis qu’un Pion qui hésite au Pas d’une Porte Péniblement étroite qu’un seul coup de Pied Pourrait ouvrir brusquement, me Proposant un vaste Passage,  un lumineux Paysage, un Pont de Pierre envahi de lierre sauvage, un Puits lunaire, une Promenade en Plein air, un Parcours Périlleux et Panoramique jusqu’à la dune du Pylat ou, Plus loin, jusqu’au Phare de Cordouan.

En frôlant le Parvis de cette gare Pétillante de Paris, mon esprit Palpite, mon âme devient Presbyte en Poursuivant les Passants surpris Par la Pluie, tandis que les branches Pointues des saules Pleureurs font glisser des Perles de Plomb Parmi les Pieds.
003_la haye laghetto 16.08.2013 réduite

Lange Vijverberg, La Haye, Hollande

Je ne suis qu’un Pion qui hésite au Pas de la Porte d’un Palais vide, je ne suis qu’un Porte-manteau avec un Petit Porte-monnaie dans la Poche, un Passager Prêt à Partir à nouveau au Portugal, à Pamplona, au Périgord ou alors à Pavia, Piacenza, Parme, Padoue, Pesaro, Pise, Pistoia, Pompeï, Palerme.

Tout près du Pont tournant de mon dernier quartier Provisoire, je découvre le Plaisir d’un Pont Lévis se Penchant sur un monde de mémoires Plongées dans l’eau : les Paroles jaunes et grises de Prévert se mêlant aux Peintures bleues de Pissarro, tandis que les Pas circonspects et Pressés de Pierre Étaix évoquent Pour moi un Portrait Provocateur de Pablo Picasso.
004_la haye 16.08.2013 chiara réduite

Hooistraat, La Haye, Hollande

Je ne suis qu’un Pion qui hésite au Pas de la Porte du Progrès et de la Paix, deux Personnes dont j’ai entendu Parler, que je n’ai Pas eu la Possibilité de rencontrer, nonobstant mes Patientes recherches : je Pense que le Progrès est impatient tandis que la Paix est Paresseuse.

Ils Pourraient Pourtant faire quelques Petits efforts Pour le bien de la Planète !

Arrivé Près du Palier de mon appartement Parisien, un bout de Papier a glissé sur le Plancher depuis la Poche de mon Pantalon. Il n’y a qu’un mot : POURQUOI…

Giovanni Merloni

(Continue)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 30 juillet 2013

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Q ou Quintessence (alphabet renversé de l’été n. 10)

30 mardi Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

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Quand on arrive à la lettre Q, on s’aperçoit tout de suite de son inquiétante présence quantitative et qualitative dans nos querelles et quiproquos quotidiens : « en quête de quoi les gens du quartier ondoient-ils tous les jours entre le quai du canal et le quai de la gare ? »
En Angleterre, en Italie aussi, une question semblable serait considérée comme un véritable quiz, auquel presque personne ne saurait répondre. En France, il y a bien sûr le Quatrain quotidien d’Élisabeth Chamontin  — et bien sûr la voix immortelle de Raymond Queneau — pouvant lui donner des réponses quand même adéquates, sinon quasiment parfaites.

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Quant à moi, je suis incapable de trouver dans le dictionnaire d’autres mots ainsi qualificatifs que les précédents de l’importance majeure de la lettre Q. J’essaierai alors d’en extraire la Quintessence, résidant peut-être dans le mot Quadrivium, ancêtre directe du carrefour et du croisement, c’est-à-dire le point unique où toutes les voies se rencontrent ou, si l’on veut, le lieu de départ de toutes les routes s’en éloignant pour atteindre les quatre bouts du monde.
Je ne crois pas qu’à Rome puisse se rencontrer l’Aleph de Borges, bien sûr… Mais, je veux me risquer en allant à la rencontre de ce « Qui-va-là » qui a frappé mes oreilles lorsque je suis arrivé, à cheval de ma dernière chimère galopante, près d’un lieu qu’on appelle Quo vadis, choisi par le prix Nobel de Littérature 1905, Henryck Sienkiewicz, pour y situer son roman historique homonyme,. Un lieu d’ailleurs très agréable, simple et dépouillé de toute présomption…

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Oui, ce « Qui-va-là ! » me fait peur… Une peur que pourtant je suis obligé de mettre de côté, car je dois d’abord résoudre une question qui m’affole : « est-ce qu’il y avait le point d’interrogation dans la plaque installée près de cette bifurcation historique et mythique entre deux rues romaines ? »
Je suis très reconnaissant à Maria Teresa Lanza, géniale écrivaine et essayiste de Rome (habitant Milan) que j’ai eu la chance, il y a longtemps, de fréquenter avec ma famille.
Elle soutient, dans un de ses bouquins très fouillés et rares, que les Italiens, — dont je fais évidemment partie pour le meilleur et pour le pire —, seraient héritiers de deux personnages aux tempéraments opposés, mais, de quelques façons, complémentaires : en premier don Quichotte de Miguel de Cervantes ; deuxièmement don Abbondio d’Alessandro Manzoni.
 En fait, le personnage de don Abbondio, peu connu en France, est la Quintessence du lâche intelligent, non dépourvu d’humanité, dont nous avons eu beaucoup de représentations efficaces par le biais d’acteurs incontournables comme Totò, Alberto Sordi, Vittorio Gassmann, Ugo Tognazzi et Nino Manfredi.
D’ailleurs, don Abbondio correspond aussi à la figure de Sancho Panza, le paysan sage et rêveur, sans pourtant en assumer le penchant pour les illusions…

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Tandis que je me rends vers le Quo vadis (auquel j’enlève par prudence le point d’interrogation), j’entends encore résonner ce « Qui-va-là ! » dans mon crâne. Mais d’où vient-il ? De la rue Appia ou de la rue Ardeatina ? Du sentier montant du parc mitoyen ou bien de la porte ouverte de la petite chapelle votive (hébergeant un buste assez discret d’Henryck Sienkiewicz) qui prête son ombre baroque au carrefour ?
En m’approchant du Quadrivium tout comme Œdipe — étourdi moi aussi par un gros caillou qui venait juste de tomber de travers sur mon front —, j’essayai inutilement de fredonner Que sera sera.
 Je n’avais pas d’haleine dans ma gorge. Mon sentiment d’égarement dépassait même celui qu’on prouve lorsqu’on s’aventure dans l’esplanade des Quinconces à Bordeaux. Je dus me sauver alors dans la sombre fraîcheur de la petite église.

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Ce fut là-dedans que la Quintessence de l’emportement convulsif se matérialisa dans mon esprit et dans mes veines. Mon portable, depuis longtemps oublié à trois centimètres du cœur, c’est-à-dire dans la poche intérieure de mon veston indien, explosa dans un cri désespéré et menaçant.
— Où vas-tu ? me demandait une voix jamais entendue avant au téléphone.
— Tu es… Quirina ! Euh… je suis juste dans le lieu où, selon la légende…
— Quoi ?
— As-tu jamais entendu parler de Quo vadis ? Tu devrais connaître bien cet endroit. N’es-tu pas archéologue ?
— Tu nous laisses dans la bagarre et dans le désordre et te sauves dans ton île heureuse, me dit Quirina.
— J’ai tout organisé pour le séminaire de demain, lui dis-je. Maintenant, je suis tellement agité…
— Chacun a ses problèmes, dit-elle. Tu as de très bonnes qualités, mais tôt ou tard tu te laisses attirer par le gouffre.
— Il n’y a aucun gouffre, ici. Je dois prendre une décision, c’est tout.
— C’est moi qui ai besoin d’aide ! C’est moi qui dois prendre des décisions ! protesta Quirina.
— Ici il n’y a qu’une fourche, essayai-je de lui expliquer. Sur la droite on poursuit pour le parc de l’ancienne Appia. Sur la gauche on arrive aux Fosses Ardéatines. Des morts partout.
— Il faut penser aux vivants !
— Tu veux venir ici ?
— Étrange proposition, la tienne.
— Écoute, Quirina, si tu veux parler avec moi, on peut bien le faire ici, pourquoi pas ? Je traîne en long et en large, pour le moment je ne suis capable de faire mieux. De temps en temps je vais m’étendre dans un coin de pré qu’il me semble confortable…
— Tu m’inquiètes…
— C’est toi, au contraire, qui as besoin d’une voix amicale. Est-ce que la mienne peut te suffire ?
— Oui, j’ai besoin de parler à quelqu’un. Je te rejoins dans un quart d’heure. J’ai la moto, une Vespa !

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Tandis que j’attendais, la queue de voitures venant de Porte Saint-Sebastien augmentait. Essoufflés, les gens descendaient, prêts à s’engueuler l’un l’autre au moindre prétexte. Heureusement, personne ne s’occupait de moi. Je considérai les avantages de la moto en cette circonstance-là. Cette stagiaire de l’Université, que mon drôle de poste m’avait fait rencontrer et maintenant travaillait coude à coude avec moi pour préparer une contribution au séminaire sur « Rome et… », était plus jeune que moi d’au moins quinze ans. Jusque là on n’avait pas eu occasion de toucher un argument personnel quelconque. Maintenant, elle allait faire le slalom autour de ces carcasses pour toucher finalement ce rivage incandescent que j’avais choisi dans le hasard le plus total. Rien que pour couper le fil brouillé de ses pensées fixes, peut-être.
— Quo vadis ? me demanda un garçon de 12-13 ans. Enfant de chœur dans la petite église, il devait assister le curé dans une messe funèbre.
— Je ne suis pas Jésus, dis-je timidement, tu n’es pas Saint-Pierre non plus. Pourquoi tu me dis ça ?
— Ce soir on fera un film sur les catacombes…
Je m’appuyai contre la grille du parc. Il avait suffit le temps du colloque téléphonique avec Quirina pour que ce lieu ne fût plus tranquille. Je me réfugiai dans la vision de cette amazone-centaure en train de se plonger avec son casque plein de cheveux au milieu des fumées et des flèches de chaleur violente : elle avançait déjà telle un sous-marin glissant sur le fond accidenté d’une mer sombre, percée par des fils de lumière verte.
J’avais désormais perdu le compte des motos défilant sous mon nez qui faisaient vibrer mes oreilles. Je commençai à m’interroger sur la nature du rapport entre cette experte d’anciennes pierres et les deux roues, au lieu de récapituler les questions que j’avais depuis longtemps envisagé de lui demander, en confidence. Devais-je résister dans mon poste, réagir aux vexations qu’on me faisait ? Ou alors, de quelle façon pourrais-je m’en sortir la tête levée… Mais, le vacarme des klaxons et les rigides préparatifs des funérailles envahissaient tellement l’espace du Quadrivium que je ne réussissais pas à me concentrer..
Dans mon imagination en panne, la moto de Quirina dessinait des  gribouillis sur la page blanche et grise de ma ville mentale, gravée sur du papier recyclé. Ou parfois elle semblait vouloir m’indiquer de précises voies de fuite que je pouvais interpréter comme autant de voies d’accès, de nouvelles routes à battre. Des pistes merveilleuses jaillissant par enchantement même dans les lieux les plus inaccessibles.
Tandis que moi, j’avais cessé de regarder dans la direction d’où Quirina aurait du arriver, elle, la femme-motocyclette, s’était vite changée en tailleuse ou plutôt en machine à coudre, engagée dans un élégant mouvement sautillant. Je croyais d’être glissé de but en blanc dans une véritable hypnose ensoleillée, où cette femme de la fortune se déplaçait en souplesse tout en traînant un invisible fil d’Aryane, suffisamment costaud et adapté à renouer de nouveaux espoirs, lorsque Quirina arriva.

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Je pourrais avoir confondu comme dans un film d’Alain Resnais mes rêves avec mes souvenirs, ma peur de don Abbondio avec la témérité de don Quichotte, la lumière aveuglante, qui m’avait obligé d’arrêter la course désespérée, avec le sombre de l’église ou de cette gracieuse guinguette…
Une chose est sûre, dès que le casque de Quirina s’était affiché et que la Vespa blanche avait été garée avec une lourde chaîne près d’un poteau électrique, les voitures avaient disparu et le corbillard noir aussi s’était volatilisé.
Maintenant, l’ancienne bifurcation romaine avait repris son aspect de calme millénaire. On rentra dans le local qui se faisait apprécier pour la petite originalité de proposer une cuisine végétarienne.
Là-dedans, Quirina me parla avec enthousiasme de son fils n’ayant pas encore un an, qu’elle avait voulu coûte que coûte, nonobstant le manque…
– Son nom est Quasinodo. Le jour je l’appelle Quasi, la nuit Modo…
Tandis qu’elle me racontait son histoire au milieu de larmes continues et résignées je lui parlais à ma fois des choses absurdes qui m’arrivaient. Mais, comment pouvait-elle me comprendre ? Et moi, comment pouvais-je accueillir de façon humaine et concrète son appel ? Nous étions tous les deux dans des beaux draps !
— Et quand nous aurons tout dit, tout vomi, est-ce qu’on aura trouvé la façon de nous aider l’un l’autre ? ce fut une de mes phrases les plus maladroites.
— Tu as eu peur de vivre un amour partagé jusqu’au bout, dit-elle.
— Oui, l’amour pour une ville… répondis-je. Mais, je vois que tu sais encore très peu de moi.

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Une fois sortis, nous fîmes une petite promenade dans l’allée des cyprès. Je regardai cette femme hagarde et pensive avec un étrange état d’esprit. Peut-être tout ce qui m’arrivait dans les derniers temps avait eu affaire avec ma solitude ? Je décidai de réagir, en me disant qu’il fallait d’abord sortir du trou.
— Ou vas-tu, Domina ? demandais-je.
— Je rentre à mon bureau, puis je vais récupérer Quasimodo à la maternelle. Et toi ?
— Je traîne par ici. En fait, je dois encore décider la route à prendre, comme Œdipe. Peut-être que je me trompe, que je prend la route d’où arrive mon père, et que je le tue pour devenir l’amant de ma mère.
— Ta mère est morte. C’est l’unique chose que je sais de toi.
— D’accord, je ne rencontrerai personne. Merci du bon présage ! Donc je continuerai à marcher, jusqu’au tombeau de Cecilia Metella…
— Et moi, qui vais-je rencontrer ? me demanda-t-elle.
— Quelqu’un qui tient vraiment à ton bonheur…
— …Auquel je devrais me sentir liée par un sentiment réciproque, dit-elle brusquement.
— N’as-tu pas compris que je suis la Quintessence de l’italien moyen, un parfait don Quicondio ? Je m’en suis bien aperçu tandis que je t’attendais. Mes pulsions égales et contraires sont une formidable garantie d’immobilité.
Quirina s’était hissée sur la Vespa :
— Il n’y a pas que deux voies, mon ami. Trouve bien la troisième !
— Je n’en vois que deux, mon amie. Regarde ! Sur l’Ardeatina s’affiche de toute évidence mon côté gascon et protecteur, qui m’agace et d’ailleurs ne pourrait pas te plaire. Là, sur l’Appia, c’est l’homme prudent et pourtant maladroit qui s’installe, lâche et plein d’élans inutiles et dangereux. Celui-ci est obligé de reconnaître qu’on risque très facilement de glisser dans les quiproquos.
— Une vie sans quiproquo ne pourrait pas exister ! dit-elle. Et rappelle toi, dans l’amitié comme dans l’amour on aime plutôt les défauts que les mérites. Ceux-ci nous agacent, nous énervent. Ne vois-tu pas où t’ont amené tes mérites à toi ?

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Au couchant, je me promenais seul au milieu des ruines de la rue Appia, une marguerite entre les dents. D’un coup, je m’aperçus que Quirina marchait à mon côté.
 Elle souriat, me demandant pourquoi j’avais dû attendre si longtemps avant de trouver la bonne route. Je lui répondis qu’elle avait dit, sans s’en apercevoir, un mot, rien qu’un mot vraiment clair et efficace parmi des phrases par milliers, peut-être inutiles.
— Quel mot ?
— Réciproque.
Toute incertitude venant d’un lieu comme Quo vadis avait largement perdu son importance dès que l’amour s’était installé entre nos âmes désemparées.
— C’est dans la réciprocité la Quintessence de la vie ?
— Oui, Quirina.
 Mais, dorénavant, ne me quitte pas !
— Que sera sera, fredonna-t-elle, tout en caressant l’inscription Senatus Populus Que Romanus.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 30 juillet 2013

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R ou Raccourci (alphabet renversé de l’été n. 9)

28 dimanche Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

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La Route Romantique de la Romagne à la République

Rien que partir, de Rome ou de Romagne, mes deux patries infiniment aimées, toujours inconnues.

Rien que Rompre tout ce qui pourrait me Relier, me Retenir, me Rattraper par une Reproche à ma Résolution non suffisamment Réfléchie.

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Observatoire du Collegio Romano, Rome. Photo d’Adelaide Sericola

Rien que Regarder vers la Route sans jamais me Retourner vers les Ruines les Restes Refoulés puisqu’on n’a pas eu le Recul ni le Répit de tout Ranger.

Rien que Rêver d’une petite Révolution Responsable.

Rien que jeter un Regard pour se Rassurer.

Rien que Répéter par cœur les Rimes d’un petit Recueil de gianni Rodari ou d’amelia Rosselli.

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Rome depuis l’observatoire du Collegio Romano. Photo d’Adelaide Sericola

Rien que Rompre le fil Rouillé de cet invisible Réseau de Rues de Rêves de Rires de Racines.

Rien qu’essayer de ne pas Rater tout Raccourci .

Rien que Résilier toute vaine Rigueur.

Rien que se laisser Ravir par le Recto-verso de la vie.

En Rose.

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photo de Giovanni Merloni

La Roue Roule
La Rose Rouge Rayonne
La Rage sans Ruse Ronge
La Rime de Ronsard Résonne
La Raison du Roi Règne

Le Regret sans Remords Ruine
Le Remords sans Regret se Ratatine

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photo de Giovanni Merloni

Revenant de Rome ou de Romagne
me Risquant par une Route Rocambolesque
en Ralentissant près de Remparts Romanesques

je Réfléchis ou je Rêve

à la Rupture coupant les Racines
à la Reliure qui cache les Ratures

au Ravalement, au Rangement
aux Rendez-vous, au Règlement

à jean jacques Rimbaud
à arthur Rousseau

aux Rideaux au bout du Rouleau
à la Rumeur Rebondissante d’un Ruisseau

sur la Route Romantique
de la Romagne
à la République.

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photo de Giovanni Merloni

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 28 juillet 2013

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S ou Sans… (alphabet renversé de l’été n. 8)

26 vendredi Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

s 480

« Seul et pensif les plus déserts champs
Je vais arpentant de pas tardifs et lents… »
(Pétrarque, Le Canzoniere)

«Solo e pensoso i più deserti campi
vo misurando a passi tardi e lenti…»
(Francesco Petrarca Il Canzoniere)

Au fond j’ai mené 
deux ou trois ou quatre existences
plusieurs vies  parallèles
l’une à côté de l’autre, l’une après l’autre 
des vies souvent en conflit
l’une contre l’autre.

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Silence…. moteur…. ça tourne….. Action !

Scène 1

Je m’étais rendu Sans-façon dans la maison de retraite du petit village de montagne où ma mère s’était cloîtrée encore jeune. Dans l’espoir de passer quelques jours avec elle. Mais, elle n’était pas là. Elle avait disparu dans une crevasse de la montagne ou alors on l’avait enlevée. Je préférai imaginer qu’elle vivait désormais ailleurs, protégée par des bras forts et affectueux. Elle s’appelait Sibylle, pour moi elle était plus transparente et évidente qu’une source d’eau pure jaillissant de la montagne. Je suis venu ici, juste à la recherche d’un regard et d’un moment de calme. Car je suis devenu un être Sans-abri et qu’il est devenu très difficile, pour moi, de m’accrocher à l’idée que mon unique abri c’est moi.

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Scène 2

Il y a trente ans, ma mère Sybille était arrivée à Bologne. Je lui avais combiné un rendez-vous avec mon directeur, Romano. En fait, ce fut elle, ma mère Sibylle, qui m’avait aidé à m’embaucher dans cette petite Agence. Car j’étais un Sans-culotte, un Sans-culotte Sans-gêne, ce que ma mère disait toujours. D’ailleurs, je lui pardonnais tout, tout ce qui venait d’elle c’était de l’or coulé. Ce jour-là, il y a trente ans, je voyais ma mère pour la première fois. Et je ne savais pas que ce serait aussi la dernière. On se connaissait très bien, bien sûr. J’ai une Montagne de ses lettres que j’ai souvent envie de brûler au centre de ma chambre Solitaire. Lettres péremptoires et drôles, parfois, où l’on a du mal à trouver une véritable affection, un souci important. Pourtant, elle me suivait. Depuis quelques mois, elle avait fait son apparition, avec l’air de sortir du Néant (qui ne commence pas par S) tout en disant qu’elle voulait s’occuper de moi.
— Non, merci, j’ai dix-neuf ans, je ne suis plus un garçon. Mon patron est brusque, un peu trop exigent avec moi, mais je me sauve dans la Montagne Magique de Thomas Mann. La lecture m’apaise.
Pourtant ma mère insistait tellement qu’enfin elle réussit à briser ma primordiale méfiance dont elle reproche mon père inconnu, auquel je ressemblerais comme une goutte d’eau. J’étais le secrétaire de la petite Agence où je passais beaucoup de temps dans l’inactivité la plus affreuse. Donc, j’avais tout le temps d’écrire à ma mère. Le sujet principal de mes épanchements, c’étaient les comportements bizarres de Romano, mon patron, ou alors mes projets de voyage dans une Montagne un peu livresque, ressemblante à celle de Thomas Mann que d’ailleurs je ne réussissais pas à finir. Un jour, elle a appelé l’Agence au téléphone, entamant par là une longue série de dialogues sans queue ni tête dont on aurait pu tirer une Montagne encore plus lourde que celle de l’écrivain allemand. De temps en temps, mon patron m’enlevait le combiné des mains et se permettait un ton confidentiel avec ma mère. Dans un climat de sourde angoisse que de rares éclairs de joie maternelle et filiale interrompaient, on arriva au jour de son arrivée. Haletant sous le poids d’une migraine tout à fait inédite m’obligeant de marcher la tête baissée, je me rendis à la gare. Après une heure d’attente, le train venant des Dolomites siffla sur le quai comme un mouton essoufflé. Sybille n’avait qu’un gros appareil photo, une mallette de maquillage et une robe très succincte. On aurait dit Gina Lollobrigida à New York. On aurait dit aussi qu’elle n’avait qu’une trentaine d’années. Je restai interloqué et même dubitatif.
— Je suis plus vieux que toi, lui dis-je, avant de nous faufiler sous les arcades de la rue Indipendenza, l’axe nord-sud reliant la gare à la place Maggiore. À la hauteur de la rue Riva Reno ma mère, déjà fatiguée pour l’émotion et la chaleur humide, qu’on aurait pu couper avec un couteau, me proposa de nous sauver dans la terrasse d’un petit restaurant, juste à côté…

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Scène 3

Suzanne, une très jeune servante blonde du petit hôtel s’occupa de moi.
Elle me conduisit dans la grange et, quelques jours après dans son cagibi encastré sur le toit, avec un petit hublot triangulaire d’où l’on voyait les prés et les silhouettes changeantes des montagnes. Elle se souvenait très bien de Sibylle, cette vieille dame très gentille se détachant énormément vis-à-vis des autres pensionnaires. Pas seulement parce qu’elle aimait danser et chanter avec le microphone à un millimètre de la bouche.
— Je sais qu’elle ne parlait jamais de moi.
— Oui, c’est vrai. Elle parlait toujours d’un Français qu’elle avait aimé. Mais c’était un homme Sans-cœur.
— Comme moi, lui dis-je en l’embrassant. D’ailleurs, je suis le fils de ce Soldat de Sardanapale !
Les prés verts, même s’ils sont mouillés de rosée et imprégnés de « l’or des champs », c’est-à-dire de la merde sèche des vaches, ils deviennent petit à petit le centre heureux de notre couplet solitaire, retentissant de nos emportements violents, de nos roulements excités.
— Ta mère avait un compagnon à Bologne. Elle parlait de lui aussi, me dit d’un coup Suzanne.

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Scène 4

Maintenant, en me Souvenant de ces trois ou quatre heures uniques dans ma vie, je me reproche de mon attitude d’alors. Mais, était-ce vrai, était-ce véritablement vrai que j’étais Sans-souci ? En vérité, j’ai passé le reste de ma vie à me reprocher le contraire. Et j’ai eu un seul grand Souci — jusqu’au moment où j’ai finalement rencontré les cheveux blonds et la silhouette ronde de Suzanne —, le Souci de n’avoir rien fait pour empêcher que ma mère rentre dans le néant de son antre mystérieux.
Pendant le long colloque sous les ombrelles blanches et rouges faisant un joli berceau contre le mur orange du petit restaurant, je n’étais pas tombé amoureux de ma mère ni de son nom, Sibylle. Pourtant je m’étais ouvert avec elle, en lui confiant mes secrets, brisant le mur épais de ma méfiance hérité de mon père.
Elle m’avait dit en deux mots que je devais songer à mon père comme au soldat inconnu qu’on honore par des couronnes de fleurs tous les 25 avril. Il s’est enseveli tout seul, volontairement, avait-elle ajouté.
— Mais pourquoi l’appelles-tu « soldat de Sardanapale » ?
— Il aimait Eugène Delacroix, dont il gardait dans le portefeuille le célèbre tableau de La mort de Sardanapale. Une espèce d’ex-voto ou d’image pieuse désormais consommée jusqu’à la lie.
— Moi aussi j’aime Goya, mais je ne me sens pas un monstre engendré par le sommeil de la Raison !
— Tu es encore jeune, me répondit-elle, je ne peux pas te dire tout. Mais, un jour, tu comprendras ma déception lorsque je m’aperçus qu’il était un bon soldat prêt à obéir à n’importe quel ordre, que pourtant il se faisait des illusions.
— Quoi ? Quelles illusions ?
— Il imaginait de ne jamais rester touché par les mauvaises habitudes de son chef, un vrai dictateur.
— Donc, il avait appris à clocher, en allant avec les boiteux ?
— Je compris alors que tout compromis est dangereux. Car la contagion de Sardanapale, sinueux et hypocrite, change insensiblement ta vie sans que tu t’en aperçoives…
Ce fut à ce moment qu’un orage violent explosa. Nous dûmes nous sauver dans le sous-sol du restaurant, ou l’on nous amena une tarte avec une petite bougie. Combien aura-t-il duré cet orage ? Un temps infini, je crois.
Dès que la pluie cala un peu, je proposai à ma mère de faire une petite course. Juste une vingtaine de mètres. Car heureusement les arcades de la rue Indipendenza nous attendaient.
J’aurais voulu la revoir. Elle hésitait, en même temps elle enfonçait ses mains sibyllines dans le corps invisible de mon destin solitaire.
— Où as-tu ton rendez-vous avec Romano ?
— Devant l’horloge de la place Maggiore.
— On a encore de la route à faire !
Je l’avais accompagnée avec l’esprit insouciant et pourtant attentif se déclenchant lorsqu’une amitié filiale s’entame…
— Je ne te promets rien… Je dois me sentir libre, tu comprends ?
Le jour après, elle me téléphona. Elle était déjà à la gare, en face du train déjà prêt sur le quai pour les Dolomites.
— Pardonne-moi. Je dois revenir dans mon antre niché dans la Montagne. Ton directeur est bien, en tout cas. Il t’estime beaucoup. Quant à moi, j’ai perdu mon soldat par orgueil ou par distraction.
J’entendis le sifflement du chef de gare. Le train était resté suspendu dans l’air humide et sans vent. Je me suis longuement interrogé, pendant des jours et des mois : est-ce que ma mère avait utilisé un mot concernant mes points faibles — dont je ne me souciais pas suffisamment, selon elle —, ou pas ? Avait-elle parlé de ma « fragilité » qui pouvait devenir une force, n’est-ce pas ?

Un père Sans-cœur
Une mère Sans-lieu
Un enfant Sans-amour…

FIN

Moi-même
J’ai été deux ou trois ou quatre personnes
différentes entre elles,
souvent en conflit
l’une contre l’autre.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 26 juillet 2013

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T ou Truc, Tourbillon ? (alphabet renversé de l’été n. 7)

23 mardi Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

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Pendant mes voyages en Italie qui se déroulent de plus en plus rarement en voiture, encore plus exceptionnellement en avion, il m’arrive de me laisser prendre petit à petit par des réflexions bizarres, des rêveries aussi volages que je les oublie toutes facilement, avec un mélange de regret et de remords.  Car je sais qu’au fond des suggestions farfelues et des images souvent imprégnées de culpabilité il y a un petit chagrin ou une grande douleur qui voudrait être pris en charge…
Quel mot ! Pris en charge. Comme si dans un rêve ou cauchemar, venant bien sûr d’une vie contrariée et pleine de souffrance, il pouvait y avoir une intention, une volonté. Comme si à travers ces espèces d’hypnoses une personne autre vis-à-vis de moi frappait à ma porte pour me poser de graves questions ou pour me solliciter à agir ou réagir, à donner peut-être un différent cours à ma vie.
Un combat confus se déclenche, comme dans une bataille d’antan : d’un côté les mots venant à ma rencontre depuis l’Italie. De l’autre côté, les nouveaux mots, péniblement appris au cours de ma première installation à Paris…
Je dors à moitié dans le train qui vient de laisser Chambéry et maintenant avance au trot vers Turin. Je suis le paysage courant au-delà de la vitre, les plaques indiquant les villages de montagne qu’on frôle sans faire de bruit : Modane, Oulx. Les noms sont français, en deçà et au-delà de cette agréable frontière. Ces noms n’échappent pas, dans mon attention distraite, à leur primordiale fonction de scander précisément le rythme de mon rapprochement. Cependant, je suis plongé dans une drôle de bataille dont je ne connais pas en avance le vainqueur. J’imagine bien sûr une bataille tout à fait traditionnelle, avec les canons et les fusils, avec les généraux qui contrôlent avec leurs longues-vues les affrontements depuis des terrasses creusées dans les collines. Je peine à me frayer un passage parmi les amas de morts et les fumées blanches et bleues. En éventant un drapeau baigné de sang, un mot italien avance : Testament immoral. Je le trouve anachronique. Un livre de rébellion contre soi-même, peut-être.

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Sur le front français, entouré de troupes beaucoup plus serrées et mieux rangées, avance le mot Truc. La réponse immédiate est le Trouble et une ébauche de Tempête à la Rossini. Comme dans la bataille de Waterloo décrite par Stendhal et Hugo, je rencontre des charrettes submergées de corps, mais aussi quelques courageux qui ont perdu le nord. Celui-ci n’est pas le père du Marius des Misérables qui se sent en dette avec le malhonnête Thénardier, pilleur de cadavres. Il est un simple soldat français qui voudrait entretenir une discussion avec moi à propos du Tourbillon que les Italiens pourraient créer par un de leurs imprévisibles escamotages. Mais, au loin, je lis facilement sur leurs bouches des mots évoquant un petit Trésor de souvenir d’enfance : le Talisman du bonheur (un glorieux livre de recettes dont les Italiens ne pourraient se passer, même au dernier instant de la vie), Tapage de Tambours (ils n’ont plus de fusils, ils marchent pourtant en frappant sur les tambours) et Talent (ils ont beaucoup de talent, ils s’en sortiront). Je m’adresse alors, au soldat : oui, c’est vrai, mes compatriotes sont toujours assez talentueux dans le Tourbillon…
Nous sommes maintenant à Bardonecchia. Lieu de vacances adapté aux familles. Pas loin de montagnes dont les profils redoutables se laissent adoucir par des couleurs incontournables… Il fait chaud.
Rentrant dans mon rêve de noms en bataille je vois qu’entre les deux combattants la Température de plus en plus élevée a pris le dessus.

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Cela me fait réfléchir au changement soudain des habitudes des Parisiens à l’arrivée de cette petite canicule qu’ils ne croyaient plus envisageable. En fait, on a eu un hiver assez prolongé, avec le ciel imprégné de plusieurs nuances de gris, que maintenant une chaleur inusitée remplace. Quoi faire ? Comment tenir le coup, en gardant quand même l’habituel surmenage dans le rythme de travail et de vie ?
J’essaie de me souvenir comment on faisait ici, sur le sol italien que maintenant le train caresse avec des roues invisibles. Comment peuvent-ils, les habitants de Turin, de Bologne, de Rome et de Naples, traverser le corps solide d’une canicule aussi lourde et humide qu’immobile durant trois mois, sinon plus ?
Je me demande cela voyant les regards perdus, les soudaines bizarreries, les abandons imprévus vis-à-vis d’engagements qu’auparavant on respectait sans faille. Un mot c’est peu, mais deux mots en sont trop.

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En arrivant à la gare de Turin Porte Suse, la Température touchait les 35 degrés. Cela avait suffi pour dissoudre les noms en bataille et aussi la bataille. Mais, dans la commune gêne climatique, le Tourbillon et le Truc avaient été finalement partagés de façon fraternelle par les deux armées en lutte.
Quant à moi, je n’avais pas eu le temps de me détendre ni de me reposer. Turin eut pitié de moi, m’offrant un parcours ombragé au-dessus des arcades de la rue de Rome. J’avais le temps de déposer mes bagages dans le petit hôtel à côté de la place Vittorio Veneto, de prendre une douche et…

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Mon portable sonna. Ma femme pleurait dans le fils invisible que je continue à voir attaché à ce Truc moderne qui n’a pas encore les mêmes prestations que les smartphones d’aujourd’hui. Juste le réveil et la possibilité d’écrire des messages brefs en touchant plusieurs fois la même touche pour atteindre la lettre cherchée. Ma femme, dont le nom ne commence pas pour T, était désespérée parce que le train était parti sous ces yeux. Elle l’avait raté stupidement, à cause d’une longue conversation téléphonique avec son amie d’enfance et ses problèmes de dos. Et c’était le dernier train qui rendait possible, ce lundi 21 juillet 2008, son arrivée avant minuit.
Là, je me trouvais juste à l’embouchure du grand trou au centre de Turin, hébergeant plusieurs édifices importants, dont le vieux château et le Palais Royal. De là, en poursuivant sous les arcades de la rue Pô, on arrive tristement à l’hôtel. D’ailleurs, ce soir là je fis tout sans enthousiasme, épris même par une sorte de peur que la fatigue de l’installation parisienne et la chaleur sous les pieds ne pouvait qu’augmenter.

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Peur de quoi ? me demandais-je en remontant avec l’ascenseur sentant le bois et le tapis mouillé d’où je pouvais suivre les marches grises de l’escalier. Qu’elle ne vienne plus, la femme que je ne peux pas nommer parce qu’elle n’a pas le nom commençant par « T » ? Que tout se gâte, avec la réduction drastique du temps à disposition ?
Je revenais de la pizzeria aux décors bizarres d’où l’on peut se plonger dans le noir du fleuve qu’on ne voit pas, mais qu’on sait bien coulant au-dessus des « murazzi », qui font en fait une barrière peut-être excessive… La dernière fois, j’étais descendu, avec Elle, en bas des « murazzi », vers le fleuve. Une stèle tout à fait atypique — vis-à-vis de la plupart des inscriptions, sur marbre ou bronze, inspirées à la patrie officielle du Risorgimento italien — y rappelait l’épisode héroïque qu’avait vu le jeune Mario Soldati — futur écrivain et réalisateur cinématographique — sauver la vie d’un autre jeune en train de noyer dans le Pô…

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Je rêvais placidement des « deux villes » (Rome et Turin) que Soldati avait su si bien interpréter et raconter, lorsque j’eus la sensation de quelque chose d’insolite qui se passait dans la table à côté de la mienne. Cette étrangeté ne venait pas du fait que ces deux couples de jeunes discutaient avec un acharnement spécial. Peut-être, j’étais touché et interloqué parce que je ne réussissais pas à pénétrer leur dialecte du sud, ou alors franchement contrarié par le fait qu’ils parlaient tous les quatre en même temps. Trois ans de résidence à Paris m’avaient civilisé jusqu’à cela ? Je vainquis ma gêne en observant de temps en temps cette bagarre me rappelant l’ambiance que j’avais vue un jour dans la Bourse. Il ne manquait que de les voir se lever et s’arracher par les cheveux. Dans les pauses du match, il était très facile de deviner la ressemblance entre les deux jeunes hommes, bien sûr deux frères sinon carrément des jumeaux. Les deux femmes… elles aussi se ressemblaient un peu. Pourtant l’une, blonde aux cheveux longs et lisses, avait un air de supériorité et d’ironie qui la laissait en dehors du débat, tandis que l’autre, aux cheveux noirs et courts, elle était visiblement concernée par les attaques du frère aux cheveux ébouriffés, jusqu’à prendre l’attitude d’un boxeur contraint aux cordes.

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Rentré chez moi, je me décidai à ouvrir grand la porte-fenêtre donnant sur le balcon filant, au risque de devenir la cible privilégiée de la totalité des moustiques du Pô et de ses alentours chauds. Je cherchai ma femme à son portable. On s’accorda pour son arrivée le lendemain. Je n’avais maintenant qu’à digérer la pizza et la bière. Je me rangeai assis dans le lit, essayant de me consoler avec les voix de la rue.
Dix minutes après, j’aurais pu m’endormir. Comme ça, assis de façon d’aider mon estomac nerveux à supporter l’incursion des levains mêlés de la bière et de la pizza. D’un coup, j’entendis une voix masculine altérée. Je n’eus pas le temps de reconnaître en celle-ci la voix d’un des deux frères que je vis une silhouette traverser le rectangle lunaire de ma porte-fenêtre.
— Que fais-tu là, rentre ! dit plusieurs fois son frère, essayant de mettre la sourdine à sa contrariété.
Après une ou deux minutes, quelqu’un tapa à ma porte. J’eus peur. Mais, une voix féminine, tout en grattant contre le bois peint en gris, me demandait de l’aide. Je songeai à un Truc pour me piller de l’argent, ou plus probablement à un Tourbillon typique des jeunes gens dont je n’avais pas du tout perdu la mémoire.
— Monsieur, ouvrez, s’il vous plaît !
Je regardai la montre, illuminée par le néon avec le nom de l’hôtel. Il était deux heures de la nuit. Donc, j’avais dormi sans m’en apercevoir ! Dès que j’ouvris la porte, les deux femmes, très agitées, glissèrent au-dessous de mon bras tendu et, sans me donner le temps de réagir, se renfermèrent dans les toilettes que dans une récente restructuration on avait créées dans le vaste cube de la chambre que ma femme appelait « place d’armes ». Entre parenthèses, ma femme et moi, nous avions pris l’habitude, depuis quelque temps, de nous rencontrer à Turin, à mi-chemin entre Rome et Paris. Cela nous avait poussés à nous accorder le petit rituel que de réserver toujours la même chambre 105, nonobstant le « T » se dégageant de l’inscription — HÔTEL —,  qui encombrant un peu trop notre champ visuel.
Mais je reviens tout de suite à la situation plutôt embarrassante dont je risquais de devenir l’arbitre ou la victime.
Tandis que les deux femmes, devenues muettes comme deux mortes, occupaient les toilettes, j’eus d’abord l’impulsion de refermer la porte à clé. Ensuite, je sortis la tête au-delà du seuil de la porte-fenêtre et je lançai mon regard sur le couloir et étroit que la balustrade en fer forgé formait sur la façade, ici comme à tous les étages. Sur le côté gauche, il n’y avait personne. Un rideau blanc voltigeait sur le pas de la porte-fenêtre de la chambre d’à côté émanant aussi une faible lumière. Sur le côté droite, je vis un homme en pyjama ou, pour mieux dire, un homme n’endossant qu’un pantalon en bandes noires et blanches. Je me retirai tout de suite dans la chambre. Après, suivant des pensées qui n’étaient pas toutes logiques, je décidai de fermer les volets. Je fis cela très lentement, essayant de ne pas montrer mon bras.

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Combien de temps passa dans cette situation-là ? Je ne sais pas. D’un coup, une voix chuchotante et triste entama une longue plaidoirie au-delà des volets :
— Je le sais que tu es là. Mais pourquoi n’as-tu pas voulu ? Mais pourquoi ne veux-tu pas ? Est-ce que tu as peur que Guido fasse la même chose avec Alba ?…
Je ne sais pas s’il avait dit vraiment ces phrases, ou des choses tout à fait différentes. Car, avec ces concepts assez abrupts et révélateurs d’une étrange naïveté bourrée d’orgueil et de préjugés, Angelo (c’était son nom) discutait aussi bien de Garibaldi et Cavour que de l’art égyptien qui fait une des merveilles de la ville de Turin.
Lorsqu’Angelo se tut et qu’on vit sa longue silhouette se déplacer à nouveau vers le bout du balcon à ma droite, je m’aperçus que les deux sœurs, Alma et Alba, discutaient avec animation.
— On n’entend aucun bruit depuis leur chambre, disait Alma.
— Guido est le plus pratique entre nous. Il dort.
J’eus ainsi la confirmation de ce que j’avais imaginé. Je me trouvais comme le jambon, ou le fromage, au beau milieu d’un sandwich. En correspondance de la tête de mon lit, c’était la chambre des frères jumeaux. Au-delà du mur avec la triste reproduction de la Môle de l’Antonelli, c’était la chambre des sœurs jumelles.
— Monsieur, me dit Alma, la blonde à l’air décisionnel.
Je me tournai en arrière. Elles avaient des chemises de nuit très courtes, presque transparentes. À cet instant précis sonna le portable. C’était un texto. Je t’aime, écrivait ma femme. J’eus un frisson d’émotion et de honte. Me trouvai dehors sur le balcon, mes pieds nus contraints à saisir les grumes de terre dure collées aux tomettes. J’étais en slip, debout. Une grande T bleue griffait ma poitrine.
— Parlez avec lui ! disait Alba. Il n’est pas méchant.
— Vous avez l’autorité de l’âge, dit Alma, expliquez-lui que nous préférons attendre le mariage et c’est tout…

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Turin, mariage, preuve d’amour. C’était quoi, cette barbarie ? Je ne pouvais pas rire de moi. Le balcon était vide. Péniblement, plié en deux pour ne pas me faire voir par un couple de noctambules en veine de rire bruyamment, je glissai jusqu’à la fenêtre de la chambre des sœurs. Je frappai timidement. Aucune réponse. Les volets avaient été fermés et au-dedans un silence sépulcral régnait. Angoissé, je revins sur mes pas et je fis la même tentative avec l’autre chambre, elle aussi fermée. Je regardai ma montre : il était désormais cinq heures du matin. Je n’avais pas froid, pourtant mes bras fourmillaient à cause de la position difficile que j’avais assumée. Pour ne pas gêner mon pauvre estomac, qui peinait encore à se libérer de cette pizza excessivement assaisonnée et salée, je m’étais appuyé contre les volets de ma fenêtre avant de glisser vers le bas, adaptant mon corps blanchâtre aux nuances de lumière humide du matin en train d’exploser.
Après cela, dans un rêve en plein air baigné de soleil je me vis protagoniste d’étreintes formidables avec deux jeunes filles presque nues qui avaient voulu dormir avec moi dans ma chambre disproportionnée.
Ce fut ma femme à me réveiller. Un peu brusquement, en vérité, car ouvrant énergiquement les volets vers l’extérieur, elle risqua de me jeter en bas.
Heureusement, elle riait de cette aventure à Turin. Tout l’hôtel avait entendu, au petit matin, un vacarme formidable de lits et de hurlements venant des deux chambres jumelles dont la nôtre avait eu le rôle agaçant du témoin involontaire.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 23 juillet 2013

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U ou Underground, les fils d’Aryane d’Isabelle Tournoud (alphabet renversé de l’été n. 6)

20 samedi Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats, mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été, Isabelle Tournoud, Poètes et Artistes Français

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Lorsqu’on arrive dans le domaine de la voyelle U, un petit sursaut de peur s’empare de moi. Car, dans la langue italienne, à partir de la terrible figure du comte Ugolino de Dante — celui qui, se trouvant piégé dans une situation d’extrême détresse et de faim, eut le courage de se nourrir de ses propres enfants — et de l’Uomo Qualunque (le parti de l’homme quelconque ressurgit cycliquement dans notre pays, toutes les fois que la démocratie et la stabilité économique sont en danger), les noms ou prénoms en U se présentent d’emblée de façon assez contradictoire. D’un côté, les personnages sérieux — comme le maestro Uto Ughi, ou l’incontournable Umberto Eco — suscitent en moi un double sentiment d’estime sans borne et d’infériorité sans remède. De l’autre, au contraire, les figures et voix uniques d’Ugo Foscolo et de Giuseppe Ungaretti se marient joyeusement aux visages rassurants d’Ubaldo Lay (inoubliable Lieutenant Sheridan télévisé) et d’Ugo Tognazzi, m’aidant beaucoup à relativiser mon ancestrale méfiance envers l’U. En dehors des U italiens, il y a bien sûr Ulysse, Ubu Roi et Till Ulenspiegel, ainsi que Maurice Utrillo, une des figures qui me sont plus chères, avec Pierre-Auguste Renoir, parmi les peintres impressionnistes. Mais, je ne peux pas me passer d’un sentiment d’étrangeté envers l’U, que j’aurais pu surmonter juste par le biais d’une confidence intime avec Liv Ullmann ou Ursula Andress. Un sentiment qui se renverse complètement lorsque je franchis les confins de notre continent pour me caler dans ce monde encore mystérieux d’au-delà de la Manche et de l’Océan. Dans ces endroits fumeux et au-dessous de ces vertes prairies, je trouve un mot qui m’ensorcelle, provoquant en moi une série infinie de situations et hypothèses et, en même temps, le soupçon d’une possible synthèse, le mot Underground.

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Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

Ce mot musical, qui pourrait évoquer aussi bien les tremblements de terre que les réunions secrètes des exilés italiens au cours du Risorgimento, relève donc d’une richesse sémantique prodigieuse. En fait, ce serait beau et suggestif s’ouvrir un passage dans une grotte naturelle pour explorer les catacombes creusées dans le sous-sol de Naples et de Rome ainsi que d’autres villes et localités en grand nombre en Italie, même si une exploration comme celle-ci peut causer des effrayantes surprises. À Londres comme à New York, Underground c’est le nom qu’on assigne au métro : une chose connue, et pourtant une immense réalité qui change sous nos yeux jusqu’à nous démunir, parfois, de nos primordiaux instincts de conservation et d’orientation. Même dans le labyrinthe le plus doté de signalisations et de systèmes de secours, visuels et sonores, aux faiblesses humaines, on peut se perdre. D’ailleurs, ce n’est pas nécessaire de voir toutes les séries de films catastrophiques que surtout les Américains aiment exploiter autour de multiples types de disgrâces qui pourraient se vérifier, pour associer à la notion de labyrinthe souterrain celle du danger incombant ou de l’étau en attente menaçante. C’est peut-être en réaction à cela — car la créativité la plus originale se déclenche justement de la peur et de la rébellion — que naît toute forme d’art underground.

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Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

Je me suis demandé combien de véritables artistes underground je connais, à Paris ou en France. Je ne compte ici, évidemment, le vaste et insondable domaine de la musique dans ses multiples formes, dont sincèrement je ne perçois que des échos dans les couloirs du métro parisien, en raison de mes fréquentations tout à fait rares des lieux députés à cette expression, pourtant aimée. Dans les arts plastiques, j’ai sans trop de réflexion trouvé un nom, qui correspond bien à mon idée d’art underground. Elle s’appelle Isabelle Tournoud. Avec les deux U dans son nom, elle a toutes les cartes en règle. Car il est difficile de la classer parmi les sculpteurs traditionnels et sa façon de créer dans l’espace ne pourrait pas se situer non plus dans les termes d’une éventuelle avant-garde. Tout cela amoindrirait la portée de son travail original et unique.

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Paolo Merloni, Le mariage de mes parents (2005)

J’ai connu Isabelle Tournoud rue de Seine, lors de la première exposition que mon enfant Paolo avait montée en avril-mai 2007 dans le sous-sol de la galerie Étienne de Causans. Cela ne pouvait être plus underground que cela. Sous ces voûtes basses, blanches, Paolo avait accroché des tableaux de petite taille, faisant partie de la série fortunée de « La famille », un thème qu’il avait exploité à fond, ajoutant toujours un esprit d’égarement et d’orgueil familial aussi. Cela rendait ses tableaux poignants et vifs, même plus des personnes auxquelles il s’était inspiré. Un siècle semble passé depuis ces journées insouciantes où nous étions « two brothers » plutôt qu’un père suivant son fils. Nonobstant le petit handicap de la salle cachée, Paolo réussissait à traîner en bas la presque totalité des visiteurs accourus à la plus importante exposition au rez-de-chaussée. On en profita pour échanger beaucoup, surtout avec des artistes, peintres, sculpteurs, photographes, et cetera. Cela donna courage à moi aussi, me poussant à vaincre mon fatalisme. Le dernier jour de l’exposition, Isabelle devait arriver avec Laura, une camarade de Paolo, romaine. Laura arriva seule, examina un à un les tableaux tandis qu’on les décrochait, gentiment harcelés par le patron. Lorsqu’Isabelle arriva, haletante et pourtant souriante, c’était trop tard. Le lendemain on aurait récupéré les tableaux. Moi j’avais sous le bras mon lourd dossier où j’avais placé sans façon les photos de mes tableaux. Nous allâmes tous les quatre dans un bar sur le quai de la Seine où l’on sympathisa beaucoup. En fait, Paolo et moi, nous étions encore des nouveaux venus à Paris, imprégnés encore de cette futilité et facilité pour le rire typique des jeunes touristes. Et moi, nonobstant la différence d’âge, j’étais aussi contaminé par cet esprit léger que fasciné par la « religion U » qu’il racontait à sa demie-sœur depuis la plus tendre enfance de celle-ci. À défaut des tableaux de Paolo, ce fut moi qui montrai mes photos à Isabelle. Admirative, elle me rassura : le fait de ne pas être un peintre français pouvait devenir une chance d’éviter d’être fauché « a priori ». Malheureusement, la soirée s’annonçant très amicale fut interrompue sur le bus qui nous ramenait à Popuncourt, tandis qu’Isabelle poursuivait en direction de Belleville. Après cette rencontre, grâce à la petite carte de visite qu’Isabelle m’avait donnée, j’eus, contrairement à mes habitudes, envie de voir ses œuvres et de la revoir. Déjà, des ans sont passés. Maintenant, Isabelle vit et travaille à Rennes avec sa famille. Je lui suis reconnaissant pour la confiance, qu’elle m’a plusieurs fois confirmée, même récemment, en occasion d’une rencontre où elle m’a interviewé. Mais ce petit bien-être personnel n’a aucun rapport avec l’estime que j’éprouve envers ses sculptures…

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J’ai parlé de son œuvre assez particulière dans un précédent article. Mais, détourné par mes portraits inconscients et les poésies que ce nouveau blog m’a aidé à ranger et parfois retravailler, j’avais raté le récit de sa dernière exposition à Paris que j’avais visitée en décembre 2012. Je ne peux pas ici me produire dans une critique fouillée. Je me bornerai à faire le même parcours que j’avais suivi dans ce petit local rue Charlot dans le Marais, où l’on avait voulu mettre en valeur l’hypothèse d’un possible rapport entre l’art d’Isabelle et le travail du styliste de vestes pour homme. Je ne nie pas la possibilité de trouver des parentés entre les formes extérieures des vestes en étoffe et ces enveloppes de fils multicolores assumant par hasard la forme de veste (ou de paletot, ou de chaussure d’enfant, ou de revolver dans un étui adapté), mais je crois que ce qu’Isabelle propose sort bruyamment de tout cela. En suivant le parcours, je laisse une petite phrase qui peut-être n’expliquera pas beaucoup. Mais…

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Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

La vitalité des surfaces, avec leur transparence, apporte au corps invisible qui les endosse le charisme de toute beauté insaisissable. 007_giacca 740

Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

La chevalière inexistante d’Italo Calvino n’est pas trop contente de se trouver au centre d’une investigation critique rapprochée. Donc elle prétend que son dévoué soupirant reste près de lui, qu’il partage son agacement. 008_fili 740

Sculpture de Isabelle Tournoud (part). Photo de Giovanni Merloni

L’armure qui enveloppe le corps invisible de la chevalière (ou du chevalier déguisé en femme) est tissée de fils robustes capables de résister à n’importe quelle épée ou poignard. Elle ressemble à des barbelés. Des barbelés pourtant tendres et doux comme du velours. 009_pistola 740

Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

Sur un banc à côté, un revolver d’argent avec un seul coup est caché. Servira-t-il à tuer celui qui découvrira le mystère du chevalier qui transperce portes et fenêtres ? Servira-t-il au contraire à tuer le chevalier pour en libérer l’âme emprisonnée ? 010_mano 740

Sculpture de Isabelle Tournoud (part). Photo de Giovanni Merloni

Cette main qui se défait dans l’effort de saisir quelque chose qui lui échappe… 011_braccio b 740

Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

…est-elle le positif ou le négatif du corps que la veste rose héberge ? Et ses nuances en saillie, sont-elles des veines roses et bleues ? 012_pistole 740

Sculpture de Isabelle Tournoud. Photo de Giovanni Merloni

Voilà deux revolvers qui ne gardent que la silhouette vague de ce qu’elles auraient pu être… 010_isabelle 740 Giovanni Merloni écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 20 juillet 2013 CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS Licence Creative Commons Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.

V ou Victor, Victoire (alphabet renversé de l’été n. 5)

19 vendredi Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

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La dure montée de l’alphabet renversé ressemble à la redoutable entreprise des saumons qui essayent d’atteindre la source de cette eau des fleuves et des ruisseaux, de plus en plus pure, mais aussi progressivement plus froide et rapide dans sa course.
Source… course. J’aimerais bien être déjà au C ou à la S. Mais, la Nature ne fait pas de saut, ni surtout de concession. Ma tâche à moi c’est d’aller en contre-courant, contre tout ce qui est facile, hélas. Ah, si j’avais eu la présence d’esprit, lors du thème libre qu’on me proposa il y a presque cinquante ans dans un devoir en classe à la veille du « baccalauréat » (qu’en Italie s’appelle « maturité ») ! Si j’avais suivi plus froidement les conseils de ma voisine de banc, en écrivant vraiment une chose libre, c’est-à-dire en exploitant de façon insouciante un argument sérieux, par exemple les bons sentiments de la famille, de la Patrie, de l’Europe… J’aurais eu ma Victoire à moi et peut-être toute ma vie aurait abouti sur un destin tout à fait différent !

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Pourtant, en fin de compte, ce rendez-vous raté avec la Victoire m’a fait bien comprendre que la victoire n’existe pas ou, si parfois elle se vérifie, c’est une chose éphémère, comme l’Amour.
Je me souviens à ce propos du célèbre film de Blake Edwards avec Julie Andrews, Victor Victoria, où la protagoniste, Victoria, se déguise en Victor pour obtenir finalement le succès dans son spectacle. Cette innocente suggestion, cette histoire, où l’amour se mêle à la question de l’identité et du besoin d’affirmation et de reconnaissance de l’artiste, me poussent d’emblée à exclure un grand nombre de candidats pouvant vanter une parfaite V comme initiale. Je m’excuse donc pour l’inutile attente avec Giuseppe Verdi, Antonio Vivaldi, Paul Verlaine et aussi Paolo Volponi, grand écrivain italien peut-être peu connu en France. Mais, j’ai fait mon choix : Victor Victoire. Victor est bien sûr Victor Hugo, Victoire est peut-être sa véritable femme cachée. D’ailleurs, si Hugo a été plusieurs fois protégé par les Dieux, en échange il a eu quand même une vie constellée de souffrances qui n’ont jamais pu abattre ni amoindrir son élan sincère vers les gens et les peuples démunis qu’avec ses écrits il a aidés à réagir, à lutter jusqu’à la Victoire. C’est vrai que dans ce monde, à toutes les époques, on a surtout affaire avec des Victoires morales, symboliques. Mais, c’est justement cela qui m’intrigue…

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Photo de Paolo Merloni

Devoir en classe. On a théoriquement toute la matinée à disposition. La plupart de mes camarades ne semblent pas pressés. Ils profitent d’un système de signalisation très sophistiqué, basé sur leur habileté extrême dans le lancement de messages chiffrés presque sans bouger ni produire de sons audibles. Ils semblent des fonctionnaires de l’état qui se consultent pour trouver le bon escamotage.
Moi, au contraire, au risque d’aller hors du thème assigné, je veux me dépêcher. Ici au «Mamiani», dans ce lycée à l’empreinte militaire — disloqué d’ailleurs en face des casernes situées tout au long du boulevard des Milices (tout un programme !) — les règles assez rigides admettent pourtant une étrange exception : on peut sortir après onze heures et demie. Donc, si je termine dans cette échéance, je serai libre comme un oiseau. Et je pourrai arriver devant le portail du «Tasso», son lycée à elle, à côté de la rue Veneto, juste au moment de sa sortie…

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Gianicolo, Rome

Avant de me lancer dans le déroulement de la matière, je relis attentivement le titre du devoir : « À partir d’une lettre de l’alphabet de votre choix, exploitez dans un récit un colloque hypothétique avec un personnage ayant la lettre choisie pour initiale de son nom de famille. En alternative, vous pouvez vous produire en considérations philosophiques appropriées sur un thème idéal à caractère universel. » J’avoue que cette fois-ci mes carences multiples — dans ma connaissance de l’Histoire et de la Philosophie — risquent de m’enchaîner à ce banc noir durant six heures, au lieu que trois. Mon idole aux cheveux longs et blonds, devenue pour moi inatteignable, disparaîtra vite dans les flaques d’ombre de ce quartier-là, tandis que quelqu’un d’autre pourra alors chanter Victoire à ma place…

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Anita Garibaldi, Gianicolo, Rome

Cinquante ans après, je me souviens vaguement de ce devoir à l’enseigne de la déception et de la défaite. Déception des professeurs d’Histoire et d’Italien qui en tant d’occasions m’avaient défendu ; défaite vis-à-vis de cette sylphide dorée qui avait espéré, pour une fois, de se rendre avec moi près de l’édifice du Vascello — juste en face de l’entrée de la Villa Doria Pamphili — où une glorieuse bataille, en 1849, fut combattue.
Et ce fut justement l’idée de ce rendez-vous presque héroïque qui me tourna alors un mauvais tir. Je ne devais pas parler de Garibaldi et Mazzini et surtout pas de Pius IX, ce pape ambigu rescapé dans la forteresse de Gaeta qui avait immédiatement attiré vers Rome Louis Bonaparte, président de la jeune République française et futur Napoléon III, pour abattre la République Romaine. J’osai au contraire m’y aventurer, jusqu’à affirmer, sans aucune base documentaire suffisante, que si en France la République de 1848 avait résisté, elle aurait été la meilleure alliée de Mazzini. Par conséquent, si Mazzini, aidé par le gouvernement républicain français, avait résisté, obligeant le pape à une nouvelle Avignon ou, pourquoi pas ? à une diaspora sans fin, Rome aurait pu devenir la capitale d’une Italie centrale laïque et équilibrée. Ensuite, on aurait pu concrètement envisager une Italie unie autour du drapeau républicain, car on aurait pu compter sur des bases plus solides. En fait, le centre de l’Italie (comprenant Latium, Toscane, Marches et une partie importante de l’Émilie-Romagne, avec Modène, Bologne, Ferrare et Ravenne) a toujours été la partie de l’Italie où la civilisation se marie strictement à une vision équilibrée des rapports entre les Institutions et les citoyens.
Ce thème fut rejeté et je fus même invité par le Directeur de l’Institut à donner des explications. Ce jour-là, ne pouvant pas masquer mon inadéquation vis-à-vis des questions que j’avais eu la hardiesse de soulever, je ne sus retenir un rire prolongé et idiot qui me causa la suspension d’une semaine.

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Photo de Jean-Pierre Horbach

On ne peut pas réécrire l’Histoire. Cela est désormais bien réglé dans ma tête. Il faut donc laisser pourrir Mazzini dans son long exil en Angleterre, essayant de suivre Garibaldi, dans son île, en train de planter les bulbes de la future pinède de Caprera. Quant à Victor Hugo, dans son exil à Guernesey, il a pu suffoquer ou apaiser une partie de ses contrariétés en écrivant Les Misérables.
En tout cas, j’espère de ne pas toucher la sensibilité de quelqu’un ni de nuire à l’image incontournable que j’ai moi même de Victor Hugo, en disant que je ne suis pas resté indifférent au fait que V. Hugo croyait fermement dans les esprits occultes. J’ai donc profité de mes facultés extrasensorielles, plusieurs fois expérimentées avec de personnages disparus de différentes époques, pour poser à M. Hugo quelques petites questions.

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Photo de Jean-Pierre Horbach

Je vais le rejoindre dans son ancienne habitation, transformé en musée dans l’ancienne place Royale, nommée aujourd’hui place de Vosges…
— Me permettez-vous de vous appeler Victor ?
Je ne saurais pas vous exprimer ce que sa réponse muette a su déclencher en moi, avec un sentiment d’infériorité que j’espérais d’avoir vaincu avec l’âge. Mais, j’ai trouvé quand même la force de continuer :
— Savez-vous, Victor, qu’ici, dans notre quartier des deux gares, à Paris, près de la rue des Vinaigriers, dans le siège de l’Association des Garibaldiens… nous avons commémoré — en mai 2011, au cours de la Manifestation Lire-en fête — un épisode très touchant de votre vie…

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Carte postale

— Je la connais cette Association, ils se sont connectés plusieurs fois, avec moi !
Sa voix grave, sa modernité tout à fait inattendue, me laissèrent abasourdi. J’étais plus confiant, maintenant, en même temps j’eus peur…
— Vous avez peur que je m’exprime sur tout ce qui s’est passé en Europe jusqu’aujourd’hui, n’est-ce pas ?
J’étais complètement incapable de répondre. S’il ne m’avait pas pris la main, je me serais évanoui. Il trouva enfin la façon de me rassurer :
— Je sais que vous avez commémoré la fameuse séance de la chambre de députés du 12 février 1871, lorsque Garibaldi fut refusé par l’assemblée.
— Et aussi la discussion, quelques jours après, le 8 mars où vous avez pris position en faveur de Garibaldi !
— Mais, laissons tomber tout cela ! Je n’ai qu’une vingtaine de minutes au maximum pour répondre à vos questions. Et je sais déjà ce qui vous trouble !
— Vous… savez ? Mais vous excellez vraiment en tout ce que vous faites, même dans la sorcellerie !
— Il ne faut pas s’appeler aux bohémiennes… Je vous lis dans les yeux, mieux que dans ceux de Fantine ou de Cosette… Voilà, je devrais avoir sur moi une note que j’avais écrite en février 1849, le jour de la création de la République romaine…
— Choses vues, page 183, Gallimard Folio 2003, je dis.
Étonné de cette information que ses souffleurs extrasensoriels ne lui avaient pas donnée ; pourtant indiffèrent, dans le fond, à sa gloire chez ses arrière-petits-fils, Victor continua :
— Je vous lis cela, après vous me poserez juste une ou deux questions. Il hocha les épaules : Juliette m’attend.
— La République est proclamée à Rome. L’Europe s’émeut, la chrétienté s’inquiète. Pourquoi ? C’est que Rome n’appartient pas à Rome ; Rome appartient au monde. Grandeur immense, mais qui contient une servitude, comme toute grandeur. Il y a quelque chose de plus grand pourtant que d’appartenir au monde, c’est de s’appartenir à soi-même. Rome n’est qu’un temple, et veut redevenir un peuple. Elle est lasse qu’on s’agenouille près d’elle ; elle veut qu’on s’agenouille devant elle. Rome a raison. Qui sera fière si ce n’est Rome ? Qui sera libre si ce n’est Rome ? Plaudite, cives.

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— Victor, dis-je, tout le monde sait désormais que vous n’avez pas du tout accepté la volteface de Louis Bonaparte, préférant l’exil. Mais, imaginons, pendant un seul moment, de suspendre le cours des événements de l’Histoire.
— Je ne crois pas à l’utopie rétrospective.
— Moi, aussi. Mais, vous savez ce qui se passe parfois entre deux anciens amoureux qui se rencontrent vingt ou trente ans après s’être séparé sans une véritable raison. C’est inutile, c’est vrai, mais si la femme que nous avons continué toujours à aimer, jusqu’à l’extinction de toutes nos envies existentielles, nous avoue avoir souffert les mêmes peines, nous en sommes soulagés, consolés, n’est-ce pas.
— Que voulez-vous savoir ? Parlez.
Ce n’était plus la voix de l’auteur des Châtiments ou de Quatre-vingt-treize qui me parlait. C’était Jean Valjean en personne.
— Victor, je voudrais que vous me répondiez juste une chose. Si la République de 1848 avait tenu le coup, trouvant son équilibre dès lors, sans Rois ni Empereurs, aurait-elle préféré, comme Bonaparte, l’alliance avec le Pape, ou alors aurait-elle concrètement aidé la République romaine voulue par Mazzini, qui n’était pourtant pas une chose abstraite ?
— Je suis d’accord avec vous, Mazzini avait raison. Mais, on ne fait pas l’Histoire juste avec les idées justes, excusez-moi le jeu de mots…

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 19 juillet 2013

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W ou Wagon-lits (alphabet renversé de l’été n. 4)

18 jeudi Juil 2013

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

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alphabet renversé de l'été

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Dans la langue italienne, la lettre W ne rentre pas dans la liste. Pourtant, dès que j’étais enfant, je lisais sur les murs : W LA ROMA ou aussi W L’ITALIA.
Cela faisait partie, je crois, d’une certaine Xénophilie ou Américain-philie aussi compréhensible qu’évidente dès le lendemain de la Libération. Enfant, je ne sentais pas encore trop parler ni résonner dans la cour les notes de Wagner avec ses Walkyries et son redoutable Walhalla. Dans la cour noircie on n’entendait que des chansonnettes, que les nombreuses bonnes des étages en haut fredonnaient tout en faisant rissoler les oignons et les céleris avec la conserve de tomates. Avec le temps, le tourne-disque nous a apporté des enregistrements très sérieux du génie de Bayreuth, auquel j’ai bientôt nettement préféré Wolfgang, auquel je consacrerais très volontiers toute mon attention maintenant, s’il n’y avait pas en lui cet Amadeus qui dérape en se détournant vers l’Italie, c’est-à-dire vers la lumière du soleil, ne faisant qu’un avec une vision tout à fait décomplexée de l’amour. Non, je ne peux pas parler de W.A.Mozart sous le seul prétexte de la lettre W.
D’ailleurs, il y a, parmi d’autres, P.G. Wodehause, O. Wilde, et V. Woolf, des personnages hors norme, qui donnent à cette lettre un visage agréable et rassurant, même en présence d’un côté franchement sauvage, c’est-à-dire Wild.
Suivant l’alphabet de ma langue d’aujourd’hui, le français, et considérant aussi froidement mon existence, en fin de compte nomade, pourtant besogneuse de quelques conforts indispensables, je ne trouve, sous la lettre W, que deux mots de quelque façon cohérents à ces fatales contraintes : les Wagon-lits et les W.C.

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Tableau d’Albert Herter (1871-1950), réinstallé dans le « hall Alsace » de la gare de l’Est le 18 janvier 2008

Malheureusement, je pourrais compter mes voyages en Wagon-lits  sur les doigts d’une seule main. En fait, je n’ai que l’expérience, longue et variée, de voitures-couchettes. Quant aux W.C, juste à Copenhague j’ai pu me réjouir de la qualité et du confort d’une quantité de toilettes — avec une variété d’adaptations que je n’aurais jamais soupçonnées — capables de me faire oublier les lieux d’aisances qu’on rencontre dans la plupart des cas ailleurs.
Je crois que les gens doués d’un minimum d’esprit ne se scandaliseraient pas si je me lançais dans un examen serein de cet outil aussi indispensable que négligé par les poètes. Mais, laissant tomber les anecdotes sur les toilettes des rois, glissons pour le moment sur la chaise percée de Louis XIV ou du Malade imaginaire ainsi que sur l’éternel va-et-vient pendulaire de nos intestins humains, souvent sujets aux caprices de la difficulté ou de la facilité excessive de se servir de W.C. quelconques au cours d’un déplacement plus ou moins aventureux. Laissons surtout de côté toute exploitation de la question de l’utilisation des W.C. lorsque le train court, entrant et sortant des tunnels et des courbes périlleuses ou glissant timidement sur un long pont suspendu sur le vide.

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Maintenant, je dois partir. Cela arrive bien avant la révolutionnaire découverte du TGV (qui ne commence pas par W). Je suis sur le quai numéro huit de la Gare de l’Est et je dois partir. Seul, avec une énorme valise qui n’a pas encore les capacités d’hébergement d’une balise. Destination : Wien, en français Vienne.
— J’ai réservé une place dans le wagon-lit, dis-je, en montrant le ticket.
— Vous avez de la chance, me dit le cheminot depuis le palier de fer, vous n’êtes pas seul !
Contrarié, je réponds qu’à la billetterie on m’avait assuré que je serais dans une cabine individuelle avec les W.C. :
— C’est ma femme qui a réservé la place, elle est très précise.
— Bien sûr, vous avez le petit confort, me dit l’homme visiblement gêné, mais dans le compartiment que vous avez réservé il y a deux lits.
Résigné, je montai, oubliant pour l’instant ma valise. Je cherchai dans le couloir ma place assignée.
— C’est le numéro 14, me susurra depuis le palier le contrôleur des billets.
Je rentrai, c’était vide, tout était propre, dans un ordre parfait. On ne voyait qu’un lit, déjà prêt pour un long bercement dans le mystère de la nuit. Rassuré ou interloqué, je revins au quai pour récupérer mes bagages. Le responsable sourit :
— Vous pouvez voyager tranquille jusqu’à Strasbourg.
« Bon, je profiterai des toilettes avant d’arriver là », je me dis. Tout de suite après le départ, je vidai la petite bouteille de Whisky que j’avais trouvée dans le frigo-bar et j’oubliai tout.
003_treno 740Le matin suivant, je reçus une caresse sur la nuque.
— Mais, réveillez-vous bien, me disait un joli visage rond que pourtant je voyais assez flou, comme dans une photo de D. Hamilton.
Je ne comprenais pas.
— Où sommes-nous, où est le train ?
J’étais ravi ou l’on m’avait ravi ?
— Vous êtes en Italie, dans l’auberge du Lion d’Or. Vous êtes content ?
— Et mes W.C., où sont-ils ? demandais-je, encore décontenancé par l’ingestion d’une dose excessive de mots commençant par W.
— Quel est votre nom ? me demanda Wilma.
— Je ne sais plus, répondis-je, mais, d’une chose je suis sûr, je ne m’appelle ni Watson ni Washington.
— D’ailleurs, vous êtes arrivé sur vos pieds, dit-elle. Certes, dans un état confusionnel. Cependant, nous vous avons accueilli sans nous poser des questions. Vous aviez les poches vides : pas d’argent, pas de documents.
Elle tira un profond soupir :
— Mon mari vient juste de mourir, voyez mes mains ensanglantées…
Son visage devint plus précis, quand elle ajouta :
— Je n’en pouvais plus de ses trahisons, de son agressivité de babouin, de sa misogynie primordiale !
Effrayé par le calme de cet aveu, je ne savais quoi dire. Pendant quelques instants, j’ai eu peur qu’elle me tue, moi aussi. Pour me dérober à tout raptus de folie homicide, je fis la longue liste de mes défauts, sans oublier le plus grave. Elle sourit :
— Je le sais, je le sais, vous êtes un peu nerveux et difficile au moment donné… Vous reportez le moment d’aller aux toilettes par paresse, parce que votre tête… Ah ! la tête elle est tellement importante, vous demande trop d’attention… À propos, continua-t-elle, ne savez-vous pas que mon mari avait perdu la tête pour une garce de la boulangerie d’à côté ?
Après une longue pause, dans laquelle je ressentis le sifflement typique du chef de la gare, elle reprit :
— Voulez-vous que je vous montre la tête de mon mari ?

003_lucca 014 740

À ce point-là, je me levai, me lançai la tête première dans un sombre escalier de pierre, avant de peiner, en bas, dans la recherche d’une porte. Finalement, je sortis et me retrouvai dans une petite place ovale ressemblant à une cour qui venait d’être frôlée par un orage estival. Il n’y avait personne. Wilma peut-être m’attendait au premier étage, derrière cette fenêtre aux volets fermés, dans son lac de sang, la tête de son mari entre les mains, prête à me proposer de prendre sa place.
Je me promenai longuement en long et en large dans cet espace qui commençait à me plaire. Petit à petit, le visage de Wilma, tout près de moi, me devenait familier. Elle était mignonne, son corps aussi, mal caché sous son tablier blanc, sans aucune tache de sang…
005_treno 740Je me réveillai pour de bon quelques kilomètres après l’entrée glorieuse du train français en territoire allemand. Le contrôleur avait plusieurs fois frappé à la porte, avant d’ouvrir avec sa clé passepartout.
— Je vois que vous avez bien dormi, me dit-il. Et vous avez aussi profité du frigo-bar. Confus, je ne savais quoi dire. Je risquai :
— C’était du bon Whisky !
— Mais non, n’avez-vous pas lu l’étiquette ? C’est une gazeuse banale. Et vous n’en avez bu qu’une gorgée. Vous êtes crevé…
À ce constat, juste, mais indiscret, je me réveillai complètement :
— Monsieur, que voulez-vous donc ? lui dis-je.
— Je voulais seulement vous dire que le voyageur monté à Strasbourg, c’était votre femme. Elle est montée, en laissant provisoirement les bagages sur le quai, ensuite elle a regardé vos splendides W.C. que vous aviez laissés entrouverts. En vous voyant dormir placidement, elle a dit très fort, se faisant entendre par tout le monde, sauf que vous : « Laissons-le tranquille ! » Tout de suite après, elle est redescendue.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 18 juillet 2013

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