le portrait inconscient

~ portraits de gens et paysages du monde

le portrait inconscient

Archives de Tag: Portrait d’un tableau

Entretien de Giovanni Merloni avec Isabelle Tournoud (Mon travail de peintre n. 1 : 1961-1982)

27 mercredi Avr 2016

Posted by biscarrosse2012 in mon travail de peintre

≈ 4 Commentaires

Étiquettes

Isabelle Tournoud, Portrait d'un tableau

011_via calabria - copie 180

Rome, via Calabria, début des années 50

Entretien de Giovanni Merloni avec Isabelle Tournoud (août 2010)

ISABELLE – Voici un an que je n’étais pas venue dans l’atelier de Giovanni Merloni J’avoue que j’avais oublié beaucoup de choses que je trouve aujourd’hui, comme ces deux mains en bois ou cette collection de disques 33 tours. La première fois j’avais eu l’ impression d’un grand espace vide.

MERLONI – C’était en juin, il faisait beau. C’était plein soleil. Tandis qu’aujourd’hui, à deux jours de la mi-aout, le ciel est typiquement parisien.

ISABELLE – Depuis combien de temps habitez-vous ici ?

MERLONI – Cela fait juste quatre ans.

000_isabelle en tete d'interview 180

Isabelle Tournoud

ISABELLE – C’est déjà quelque chose. Vous en avez terminé avec l’installation, je crois. (Elle interrompt de parler pour filmer le petit espace, enregistrant un petit commentaire sonore) : — C’est un joli coin. Nous sommes pas loin du canal Saint Martin, on voit d’ici le pont à côté de l’écluse, une lumière presque aveuglante après la pluie. C’est très différent de vos paysages italiens, n’est-ce pas ?

MERLONI – Oui, c’est une scène nordique qui me fait penser aux Flandres, à Amsterdam, Copenhague plutôt qu’à Paris. Du moins au Paris que je connaissais avant de m’y installer.

004_carol caracciolo 1961 180

Carol Caracciolo, 1961

1961-1971

ISABELLE – C’est curieux le rapport entre votre peinture et les paysages… Rarement on y reconnaît des lieux, des maisons. Et vous ne faites jamais de portraits…

MERLONI – Si, j’essayais de faire des portraits. Mais surtout de petits coins de mon horrible quartier petit-bourgeois de Rome. Pendant une des premières visites à Paris avec mes parents, je faisais de dessins selon la manière d’Utrillo…

008_mon grand père 180

Nonno col cappello (Grand-père au chapeau), 1964

ISABELLE – Vous ne m’avez rien montré de vos premiers dessins…

MERLONI – J’ai presque tout détruit, de mes premières ébauches. En fait la découverte de la peinture marqua pour moi le passage de l’adolescence à l’âge de raison.

ISABELLE – Vous écriviez aussi des contes, des poèmes…

MERLONI – Je garde le manuscrit de mon « Journal intime »… mais je ne sais pas ce que ça vaut.

006_volti al buio - copie

Volti al buio (Des gueule dans le noir), 1961

ISABELLE – Dans tout ce que vous m’avez montré de cette période, on a l’impression d’une souffrance souterraine, sinon d’une véritable angoisse. Surtout dans les nombreux « visages » au pastel et à la cire…

MERLONI – En 1964, revenant d’un deuxième voyage à Paris et en Belgique, j’ai pris ma décision. Je ne me sentais pas à la hauteur de devenir un homme de lettres et je n’avais pas le courage de prendre tout de suite la route de l’artiste. Mes parents m’auraient de toute façon empêché de le faire. J’ai opté finalement pour les cours d’architecture, probablement pour me punir, sans imaginer que ce choix m’amenerait dans une démarche humaniste et altruiste. L’architecture a été aussi pour moi une grande source d’inspiration.

012_periferia 180

Periferia (Banlieue), 1963

ISABELLE – Vos dessins et vos tableaux sont un hommage continu à cette architecture… Mais vous l’avez exercé, après, ce métier d’architecte ?

MERLONI – Je me suis occupé surtout d’urbanisme, d’environnement et de problèmes du territoire. On n’arrive presque jamais à dessiner exactement des lieux ou des espaces pour y vivre… mais on peut essayer de les rendre plus beaux. En plus, il y a un côté avocat et engagement politique qui est incorporé dans l’urbanisme qui me plait. J’ai hérité ça de mon père.

005_teatrino 180

Teatrino (Théâtre des marionnettes) 1963

ISABELLE – Vous êtes né au lendemain de la libération, en 1945…

MERLONI – Oui, mon père, socialiste, et mon oncle de part de ma mère, communiste, avaient été partisans. Tous les deux ont consacré leur vie à la politique, sans pourtant renoncer à une primordiale idée de liberté, même s’ils étaient des militants de la gauche.

ISABELLE – Je me demande ce qu’ils ont dit le jour de l’invasion de la Hongrie.

MERLONI – Ils ont violemment discuté entre eux. Mon père était dur et intransigeant, mon oncle défendait le choix des Russes. Moi j’écoutais, plein d’angoisse, leur voix dans un couloir sombre. J’avais onze ans. Après je crois que mon oncle a beaucoup réfléchi, jusqu’à prendre par la suite des positions très proches de celles de mon père.

007_coppia rossa e nera 180

Coppia rossa e nera (Couple rouge et noir), aquarelle
sur papier 70 x 40, 1970

ISABELLE — Vous avez grandi pendant la guerre froide. Vous avez donc respiré cette confrontation idéale continue entre deux visions opposées de la vie et de l’histoire…

MERLONI — Je pense que chaque artiste ne doit pas oublier certains passages dont il a été témoin. En 1963, avec Jean XXIII, le pape ouvert à la gauche et le premier gouvernement de centre gauche, il y eut en Italie un moment d’espoir. Ce fut aussi l’année où l’on a risqué la troisième guerre mondiale à cause de Cuba, et aussi l’année où j’essayai de m’engager politiquement, en signant mon adhésion à la Jeunesse communiste. Mais j’étais encore très timide et j’avais une forte empreinte libertaire. Je pensais avec ma tête et je ne supportais pas ce climat un peu lugubre qu’on respirait dans les séances de la section.

ISABELLE – Nous sommes arrivés en 1964, l’année de votre retour de France et de vos choix de vie : l’université d’abord mais aussi l’art et votre engagement politique.

MERLONI – Juste en rentrant en Italie, nous sûmes que Togliatti, l’ancien chef du parti communiste, venait de mourir. J’eus la chance d’être présent aux gigantesques funérailles .Renato Guttuso les a d’ailleurs peintes de façon admirable. C’était le jour du « mémoire d’Yalta ». Je sympathisais avec cette idée du « socialisme au visage humain » qui faisait rêver.

008_arlecchino e sua moglie 70 180

Arlecchino e sua moglie (Arlequin et sa femme), aquarelle
sur papier 70 x 50, 1970

ISABELLE – Vous êtes un artiste, un homme libre, très prudent face aux exagérations des autres, mais vous pouvez devenir parfois très engagé ou rebelle.
Mais revenons à la peinture. À dix-neuf ans, vous aviez déjà appris beaucoup de choses. Vous aviez suivi des cours de peinture ?

MERLONI – Jamais. On peut dire que je suis autodidacte, surtout pour ce qui concerne les techniques et les couleurs. C’est vrai que pendant ma formation d’architecte je préférais le dessin à main levée plutôt que le dessin à la machine… Peut-être ai–je appris beaucoup de choses utiles pour la peinture en devenant architecte, même si mes études n’ont pas été très approfondies… Ce furent quand même cinq ans très engageants, pendant lesquels j’ai écrit des rapports, des textes politiques, des thèses mais j’ai peu dessiné ou peint des sujets à moi.

ISABELLE – Vous avez tout jeté ?

MERLONI – Non… mais la période entre ’64 et ’69 a été compliquée pour moi. La mort de mon père a été très douloureuse à vivre. Ensuite il a fallu que je m’adapte à ce monde faux, flou et « terroriste » des architectes — professeurs, assistants et camarades plus vieux que moi. Enfin affectivement je me cherchais.

009_coniugi rosa 70 180

Coniugi rosa (Epoux en rose) aquarelle sur papier 70 x 50, 1970

ISABELLE – Entre le 1964 et le 1969 il faut se souvenir de 1968, si je ne me trompe pas… Est-ce que cette année terrible et même trop célébrée a eu un rôle important aussi pour vous ?

MERLONI – Oui. Le premier mars 1968, j’étais à la fameuse « bataille » de Valle Giulia, avec mon frère, étudiant de droit. Nous étions surtout des spectateurs, même si nous étions mêlés parmi la foule qui pour la première fois osait se révolter contre la police…

ISABELLE – Donc, après cette journée, votre parcours artistique aussi a subi des déviations…

MERLONI – Je ne sais pas. Je vous ai dit qu’alors je ne peignais pas. Ma vie était entre parenthèses. Mon père était mort et je devais conclure mes études, d’une façon ou de l’autre. C’est vrai qu’après la révolte et tout ce qui s’est passé en Italie, en France et en Europe, tous mes critères et repères ont changé. J’ai dû abandonner mon apprentissage individuel et partager les chances et les risques d’un apprentissage collectif, par groupes.

ISABELLE – Qu’auriez-vous voulu faire ?

MERLONI – Je prêchais une action d’arrière-garde, qui devait s’occuper de la substance de nos études et de notre travail futur. Mais j’ai été emporté par la même vague que tous les autres…

017_ciclista 180

Ciclista (Cycliste) aquarelle sur papier 50 x 35, 1970

ISABELLE – Et voilà l’année 1970, une période très prolifique pour votre peinture. Que s’est-il passé cette année là ?

MERLONI – Je me suis marié, je suis devenu père, j’en ai fini avec l’université et j’ai commencé à travailler comme professeur de dessin et histoire de l’art dans un lycée de Rome.

ISABELLE – Étiez-vous heureux ? Ces aquarelles donnent une impression d’angoisse et de peur. Tous ces couples aux yeux fixés dans le vide, ces hommes avec le Borsalino sur le nez, ces femmes affligées…

MERLONI – En réalité, même si mes devoirs précoces m’oppressaient, j’avais trouvé – ou retrouvé – dans la peinture une façon de donner de la liberté à mes cauchemars.

011_folla con palloncini 71 180

Folla con palloncini (Foule et ballons) aquarelle sur papier 50 x 70, 1971

ISABELLE – Ce fut une surprise pour votre entourage ? Quelle fut la réaction à tout cela ?

MERLONI – Les amis appréciaient et aussi ma famille me soutenait. Mais c’était évident que je ne pouvais pas élever un enfant et devenir peintre. Ma mère m’emmena voir quelques galeristes. Une marchande de tableaux [Adele Amaduzzi] vendit à Paris trois ou quatre de mes aquarelles… mais était-ce suffisant pour prétendre à une carrière d’artiste ?

ISABELLE – Je trouve dans votre travail de cette période un peu tout le mouvement de l’art figuratif des années ’40 et ’50…

MERLONI – On disait que j’avais quelque chose de Sironi. Mais, à cette époque, j’étais très ignorant. A part Le Corbusier, Mondrian, les grands du passé et les peintres que j’avais vus quelque part à Rome : Ennio Calabria, Maccari, Vespignani, Guttuso je ne connaissais que peu l’histoire de l’art du XXe siècle.

012_operaio 70 def 180

Operaio (Ouvrier) aquarelle sur papier 70 x 35, 1970

ISABELLE – Vous étiez, je crois, en quête d’une issue : d’un côté il y avait la recherche d’un travail, les responsabilités familiales et de l’autre une sorte de lyrisme primitif, une ironie naïve…

MERLONI – Ce fut une période encore plus difficile que celle que j’avais vécue pendant mes études à l’université. Les occasions de travail à Rome étaient très modestes pour moi. J’avais été chassé de l’enseignement à cause de mon indulgence envers les étudiants en révolte. J’ai quand même trouvé un petit boulot chez un architecte. Fasciné et convaincu par la figure exemplaire d’Enrico Berlinguer, qui était vraiment « un socialiste au visage humain », j’ai adhéré au parti communiste de mon quartier. Cela m’a donné l’occasion de faire mes premières affiches et de réaliser un documentaire-pamphlet contre la spéculation immobilière à Rome. Un film malheureusement perdu qui avait été apprécié pour sa façon originale de traiter ce sujet compliqué.

013_sogno con albero e palloncini 73 180

Sogno con albero e palloncini (Rêve avec un arbre et des ballons)
aquarelle sur papier 50 x 70, 1973

1972-1982

ISABELLE – C’est en mai 1972 que vous avez laissé Rome pour Bologne.

MERLONI – S’il n’y avait pas eu le trait d’union de la peinture, je dirais maintenant qu’en mai 1972 ma vie adulte a commencé avec une véritable rupture avec le passé. C’est vrai que j’ai gardé un certain nombre d’amis à Rome et que je n’ai jamais coupé mes liens avec mes frères et cousins, auxquels je suis resté toujours dévoué. Mais Bologne c’était le travail choisi et surtout la ville d’élection.

ISABELLE – Vous aviez finalement trouvé un bon travail…

MERLONI – Dès les premiers jours, je me suis trouvé à Bologne dans un contexte idéal. La région Émilie-Romagne, qui venait d’être constituée depuis deux ans, représentait le point plus avancé dans le nouveau système des autonomies. On attendait qu’elle montre la voix d’un changement économique, social et culturel pour toute l’Italie. Bologne c’était le phare à la hauteur de ces espoirs. Un grand nombre d’intellectuels et de professionnels reconnus étaient là, tout engagés vers le même but. Moi aussi j’étais là : un jeune encore inexpert en urbanisme et aménagement du territoire, mais désireux de faire de mon mieux.

ISABELLE – Cela vous a donc distrait de vos aspirations artistiques…

MERLONI – Oui, évidemment. Je me suis plongé dans cette fascinante matière qu’est l’urbanisme sans avoir de temps pour pouvoir peindre. Mais je dessinais toujours, même dans les réunions les plus sérieuses, et je profitais de toute pause pour reprendre mes pinceaux.

014_l'aquilone 73 180

L’aquilone (Le cerf-volant) aquarelle sur papier 50 x 70, 1973

ISABELLE – Et voilà votre première exposition, à Forlì, en avril 1973.

MERLONI – Suivie par une exposition collective à Cesena et une deuxième personnelle à Castrocaro. Je n’ai pas encore mentionné, après le travail et la peinture, un troisième aspect aussi important sinon décisif de cette période inoubliable. Loin de Rome, j’étais plus tranquille grâce à la certitude du travail fixe. Ma crise conjugale, jusque-là cachée, explosa. À cette époque, j’étais devenu un personnage peu recommandable qui tombait facilement amoureux. Je retrouvais une jeunesse sacrifiée. Un curieux équilibre se réalisait entre les diverses pulsions qui me traversaient.

ISABELLE – Cependant, les tableaux de cette période sont encore tristes et angoissés…

MERLONI – Oui, mais après l’exposition de Forlì, Cesena et Castrocaro quelque chose de nouveau arriva. J’ai commencé à être reconnu. J’ai aussi rencontré le peintre Alieto Ragazzini qui m’a donné de précieux conseils. Ma petite renommée m’offrit aussi des occasions dans le milieu de travail. On me chargea de la réalisation de plusieurs affiches, ce qui me donna une nouvelle confiance dans la technique du collage.

015_CORRO'~1 180

Orlando furioso I (Roland furieux), encre de chine sur papier 70 x 50, 1974

ISABELLE – Je trouve très intéressant ce travail à l’encre de Chine, en noir et blanc…

MERLONI – Ce sont de grands dessins que j’ai faits entre ’73 et ’74 et que j’ai exposés après à Ferrare, près du Centre des Activités visuelles du « Palazzo dei Diamanti ». J’y ai illustré des chants et des personnages du « Roland furieux » de l’Arioste.

ISABELLE – Comment cela est-il arrivé ?

MERLONI – Un ami à moi [Franco Cazzola] suivait avec indulgence mes exploits de peintre. Un jour, il m’emmena chez le maître Franco Farina. C’était un homme extraordinaire, qui dirigeait de façon très intelligente et ouverte la Galérie d’Art moderne de Ferrare, un centre d’exposition de première importance. Je fis voir mes aquarelles que Farina examina très attentivement avec une grosse loupe… « Vous êtes très sensible aux vicissitudes humaines », me dit-il. Ensuite, il me proposa d’illustrer tous les chants et tous les personnages du « Roland furieux ». En sortant de son bureau, j’étais déçu. Mon ami me fit comprendre que Farina ne s’était pas moqué de moi… Six mois plus tard, juste après la naissance de mon deuxième fils, je lui avais livré mon travail. Fin juin il m’appela. Pendant trois mois – du 30 juin au 30 septembre —, j’ai eu la chance d’exposer à côté du Palazzo des Diamanti, dans une grande salle à l’étage. Au rez-de-chaussée, il y avait une importante exposition de Fabrizio Clerici.

016_astolfo e orrilo 74 180

Orlando furioso II (Roland furieux), encre de chine sur papier 70 x 50, 1974

ISABELLE – Vous avez dû profiter de cette occasion unique !

MERLONI – En réalité, je me trouvais dans une situation tout à fait particulière. L’ année ’74 marqua un moment unique dans l’histoire de L’Italie. Ce pays fortement catholique dit NON au référendum qui voulait abolir le divorce.

ISABELLE – Vous avez dû travailler sur ce projet professionnel, mais avez-vous pu vous rendre à votre exposition à Ferrare ?

MERLONI – Pendant trois mois, je ne me suis rendu que trois fois dans les locaux de l’exposition. Peut-être avais-je peur d’un succès que je n’avais pas envisagé ? Je ne sais pas… ou peut être pas le temps !

017_serigr. rodomonte 180

Orlando furioso III (Roland furieux), encre de chine sur papier 50 x 35, 1974

ISABELLE – Pour en revenir à votre travail vous avez trouvé une façon originale de raconter l’œuvre d’Arioste, cette « histoire de geste » tout à fait labyrinthique et très difficile à placer dans l’espace. Comment cela a-t-il été possible ? Je vois un style nouveau qui se détache beaucoup vis-à-vis des aquarelles exposées en Romagne l’année précédente.

MERLONI – Jusqu’à cette exposition, on peut dire que je dessinais en cachette, à côté du travail de peinture. J’avais pris cette habitude de dessiner à l’encre de chine des visages, des personnages dans un paysage architectural très vague et approximatif. Je pense que mon acquis d’architecte se montrait encore timidement, à la recherche d’un rôle spécifique. J’utilisais aussi beaucoup ma plume et l’encre de Chine pour travailler les tableaux mais le résultat n’était, à mon avis, pas concluant.

ISABELLE – Il y a un sentiment de culpabilité dans votre récit. On a l’impression d’une expérimentation qui n’est pas totalement consciente de sa valeur et de sa force.

MERLONI – Je crois que chaque artiste est toujours en lutte avec soi-même. Moi j’étais très exigeant et peut-être exagérément inquiet de mes limites techniques. Et je ne savais pas jouer la provocation. Du moins pas jusqu’au bout.

032_gulliver 1976 180

Gulliver, encre de chine sur papier 35 x 50, 1976

ISABELLE – Vous aviez réussi un grand exploit avec le « Roland furieux », mais les aquarelles des années précédentes n’étaient pas moins bien.

MERLONI – Voilà un point sur lequel je n’avais pas réfléchi. C’est vrai qu’en cette période j’écrivais des phrases, des vers venant de mes poésies. C’était vraiment une nouvelle façon de m’exprimer, je faisais en même temps de la peinture et de la poésie.

019_la primavera 75 180

La primavera è la tua mano (Le printemps est ta main) technique mixte
sur papier 50 x 70, 1976

ISABELLE — Pendant le reste des années soixante-dix, jusqu’au 1983, on observe une sorte d’hésitation… tandis que les tableaux exposés à Bologne en ’76 étaient formidables.

MERLONI – Certaines critiques que j’ai reçues pendant cette exposition sur mes derniers travaux m’ont conduit à beaucoup douter. Après, j’ai pensé que je ne devais plus faire de dessins en noir et blanc sur le modèle du « Roland furieux » et surtout que je ne devais plus « écrire » quoi que ce soit sur les tableaux.

020_tierra prometida 77 180

Tierra prometida, technique mixte sur papier 50 x 70, 1977

ISABELLE – C’est dommage, parce que c’était votre façon spécifique de vous exprimer, je crois. J’ai l’impression que certains de vos poèmes pourraient s’inscrire merveilleusement dans vos dessins.

MERLONI – Je vous remercie pour cette reconnaissance. En fait, pendant des années je ne me suis pas seulement obligé à renoncer à l’intégration poétique. J’ai tenu le dessin d’un côté et la peinture de l’autre. Je me disais que mon dessin était ironique sinon caustique et que ma peinture était lyrique sinon dramatique.

ISABELLE – Donc, vous avez choisi un parcours plus traditionnel, du moins au point de vue technique. C’est ça ?

MERLONI – Oui, de quelques façons. J’avais besoin de toucher un niveau technique plus solide. J’ai dû attendre de conditions favorables pour rapprocher entre eux le dessin et la peinture. Il suffit de regarder les premiers tableaux que j’ai faits en 1983, quand finalement j’ai eu l’espace pour peindre en liberté.

020bis_Gio_Merloni-Gen1973 180

Giovanni Merloni au travail, 1973

(continue ci-dessous dans un nouvel article)

Tous les documents (textes et images) publiés sur ce blog sont protégés par le ©Copyright.

 

Toute explication logique ou cohérente m’échappe : l’«hérésie» artistique de Franco Cossutta

13 mardi Oct 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

Artistes de tout le monde, Portrait d'un tableau

001_Franco dans l'atelier

Franco Cossutta dans sa maison-atelier

L’«hérésie» artistique de Franco Cossutta

Ayant reçu depuis Michel Benard un texte de Franco Cossutta, où ce dernier « se raconte » admirablement et à fond, j’ai trouvé cela très intéressant.
Les tableaux de Cossutta, que j’ai déjà proposés dans ce blog, n’ont pas peut-être besoin d’être trop expliqués. Ils « parlent » d’une façon tellement directe et énergique qu’un exercice de bravoure critique s’appliquant à leur sens, à leurs causes primordiales, à leur style, n’y ajouterait rien et serait, peut-être, lourd comme une mise en scène hollywoodienne vis-à-vis d’une tragédie grecque.
Le roi est nu. Il n’a pas besoin d’expliquer les vicissitudes de son existence lorsqu’il se trouve dans le point limite entre la vie et la mort. C’est le même discours pour les œuvres de Franco Cossutta. S’il a traversé une existence aventureuse, dure, heureuse, constellée de hauts et de bas, cela n’a aucune véritable conséquence sur son art.
Certes, il a eu un accident grave qui a de but en blanc changé sa vie, lui donnant une sorte de fatalisme ou alors de capacité de relativiser les chances tout comme les échecs qui peuvent toucher aux gens doués comme lui.
Certes, il a affirmé plusieurs fois que son art a été une explosion inattendue, une nécessité qui s’est déclenchée dans le moment même de ce terrible passage dans « l’entre-deux ». Une consolation aussi.
Pourtant, quand j’ai visité, très récemment, son atelier, il m’avait montré, avec orgueil, les reproductions de quelques œuvres d’un oncle de Friuli, ayant son même nom de famille.
Je ne donnerais pas trop d’importance à des hypothèses « génétiques », trop déterministes, voulant découvrir une possible descente « de branche en branche » du génie artistique dans les familles. D’ailleurs, il est absolument vrai et prouvé : en Italie, surtout dans certaines régions — comme le Friuli — il y a depuis des siècles une tradition ininterrompue de travail artisanal et de création artistique qui vont toujours ensemble, dans une synergie tout à fait prodigieuse.
En même temps, en Italie, le nombre « excessif » de talents a paradoxalement amené à une vision exagérément sélective de la figure de l’artiste : « si tu n’es pas un « vrai » artiste, un « grand » artiste, il faut tout arrêter et s’adresser à des travaux plus ordinaires ». « Apprends l’art et mets-le de côté ! » («Impara l’arte e mettila da parte»)
Il est bien possible que Franco Cossutta, dans la première partie de sa vie, ait inconsciemment « renoncé » à s’exprimer dans un art — la peinture — considéré, en Italie surtout, un luxe, une activité optionnelle, n’amenant pas d’argent, ayant pour conséquence, au contraire, la misère inéluctable de « l’artiste jeûnant ». Car en lui est très forte l’autorité d’un alter ego qui aurait toujours voulu respecter diligemment les aspirations familiales, un fond moral qui l’a porté à leur obéir, mettant « de côté » un art désargenté pour assumer jusqu’au bout ses « responsabilités ».
Mais son obéissance aux désirs normaux ne pouvait pas être absolue. Voilà qu’il s’engage, avec enthousiasme, dans un autre « art », celui du pilote de voitures et de motos ! Un art qui demande précision, fantaisie, habileté dans le dessin que les roues tracent sur la route, capacité de cerner, au milieu d’innombrables voies invisibles, la piste meilleure… Un art qui demande le courage, parfois, de fermer les yeux ou, comme le faisait le grand Nuvolari, de voyager les phares éteints dans le noir de la nuit.
Je vous laisse lire ce qu’il raconte de son aventure cosmique, de la découverte de soi. Je lui crois, mot par mot. Mais j’ai aussi la sensation que ce grand artiste a comme un besoin, caché et insistant, de se justifier, de demander pardon pour avoir osé désobéir à ce qu’on avait décidé pour lui. Car même une hérésie inquiétante et dangereuse — choisir de risquer la vie sur l’asphalte à chaque course — peut rencontrer d’emblée l’admiration, sinon l’approbation qu’une longue routine d’artiste aux marges de la société ne rencontrerait pas.

002_Franco Cossutta comos 1

Un tableau de Franco Cossutta

Heureusement, quand les circonstances ont poussé naturellement notre ami à s’engager dans l’art pour laquelle il était né, la peinture, sa « prudence » et son naturel équilibre n’ont pas empêché Franco Cossutta de briser la toile, atteignant et traversant des mondes absolument fantaisistes et libres. Mais ce que Franco appelle « son univers », « sa dimension » la plus cohérente, jaillit toujours, à mon avis, chaque fois, d’une « rupture », d’une volonté de désintégration comme action préliminaire indispensable pour « créer » son propre monde poétique. Peut-être retrouve-t-il ce qu’il a vu lors de son terrible accident ou aussi les visions qu’il a absorbé dans la première enfance. Mais il est sûr et certain que ces images — qui semblent flotter dans le firmament du ventre d’une mère — il « sait comment » les reproduire, ou pour mieux dire il sait magistralement les ressusciter, sans hésitations et sans failles. En d’autres termes, il ne travaille pas sous la suggestion de quelque autorité invisible qui lui « dicte » l’œuvre par le menu. Il crée dans un enviable état de grâce ce que sa sensibilité d’artiste lui suggère. C’est une chose bien sûr miraculeuse, mais tout se joue dans le miracle de son immense talent !
Dans la lecture-écoute de sa voix ci-dessous, vous trouverez d’ailleurs quelque chose qui est encore plus important, pour Franco Cossutta, vis-à-vis de l’art et de la beauté qu’il entraîne : communiquer, transmettre, dialoguer, exprimer des valeurs universelles qui ne sont pas que cosmiques.
Car chaque artiste a surtout besoin de parler, un à un, à ceux qui visitent son art. Peut-être, la langue des couleurs suffit à transmettre tout cela. Mais, je crois, une troisième phase poétique va s’ouvrir dans la vie de cet homme solitaire qui ne saurait pas se passer des autres. Voilà que dans ces mots quelque chose de nouveau se libère…

Giovanni Merloni

003_Franco Cossutta cosmos 7

Un tableau de Franco Cossutta

Toute explication logique ou cohérente m’échappe

« Je m’efface par rapport à l’existence, capte les influences extérieures avec ce ressenti de m’intégrer à la peinture, de me mêler aux pigmentations colorées et de me couler dans les formes qui naissent sur la toile.
Ce sentiment « d’intuition » me vient non pas nécessairement lorsque j’exécute une peinture, mais plutôt lorsque je la peaufine, la corrige, la modifie très légèrement du premier jet.
Il ne m’est possible de peindre que lorsque je me retrouve en communication avec l’espace, le cosmos ou un autre environnement parallèle.
Je suis sous influence, tel un récepteur, je deviens le médium de ce qui m’est envoyé ou que je ressens comme tel.
Il m’est très difficile de pouvoir donner des explications logiques car je ne réagis que sous impulsions externes.
C’est comme si j’étais en perte d’identité, de personnalité pour me fondre dans l’univers, me mêler au grand tout !
Je peux passer d’une sorte de libération extatique à une forme de crucifixion interrogative !
Formule classique. « Qui sommes-nous ? Que deviendrons-nous ? Quel sens a la vie ? »
Autant de questions dont je perçois la réponse mais qui cependant demeurent en suspend…»

004_Franco Cossutta cosmos 13

Un tableau de Franco Cossutta

«… Pour moi créer ne devient possible que dans l’émotion « intuitive » et non pas dans la réflexion intellectuelle qui fausserait toute l’authenticité de l’œuvre que je ne fais que transposer.
Je ne peux agir dans mon acte créateur tout à fait relatif, qu’intuitivement, sans calculer, sans réfléchir, simplement guidé par des phénomènes externes sur lesquels je n’ai aucune réelle maîtrise.
Dans ce souffle fugitif, sans aucune préparation, les formes, volumes, couleur se mettent en situation naturellement, automatiquement, si je m’aventure à vouloir reprendre le contrôle tout se bloque et déraille.
Toute explication logique ou cohérente m’échappe, je ne peux rien dire de plus.
Je ne suis que l’intermédiaire de forces cosmiques, telluriques, spirituelles dont je ne peux donner aucune révélation tangible. »

Franco Cossutta

005_Affichette Gueux Franco et JMP 2015

Rien qu’un «guizzo», un «schizzo» et un «ghiribizzo». Quoi faire, alors ?

20 lundi Juil 2015

Posted by biscarrosse2012 in mes contes et récits

≈ 5 Commentaires

Étiquettes

Portrait d'un tableau

001_grue 003 180 Rien qu’un «guizzo», un «schizzo» et un «ghiribizzo». Quoi faire, alors ?

Si j’avais les instruments adaptés et le temps nécessaire, je pourrais le démontrer, j’en suis sûr et certain : au cours d’une journée, du petit matin au soir, même en comptant certaines heures creuses et paresseuses de l’après-midi, chacun de nous n’a droit qu’à un seul « guizzo » (1), rien qu’à un seul microscopique éclat de génie. Il vaut mieux le savoir en avance, ayant bien sûr la présence d’esprit, au moment donné, pour sauter sur la croupe de la chimère journalière qui passe, si c’est vraiment elle qui passe, si ce n’est pas, au contraire, une de ses fausses copies.
Dans le cas heureux et unique, combien de temps durera-t-elle notre inspiration ? Quelles importances ou intensités pourrons-nous reconnaître à notre « schizzo » (2) ou au féminin, notre esquisse ? Quelle valeur nous sera reconnue pour que nous puissions nous accorder le « ghiribizzo » (3) ou la lubie, brève et fulgurante, de nous exprimer de façon abrupte et inattendue ?

002_grue 004 180

Chaque jour, nous avons droit au maximum à un seul guizzo et/ou schizzo et/ou ghiribizzo.
Je tire cette théorie, bien évidemment, de mon expérience directe. Cette chance de renaître chaque jour, avec une petite provision d’énergie, d’enthousiasme ou de colère juste, fait partie d’un cycle très humain et corporel, presque inexorable. D’ailleurs, cette faculté d’inventer un petit calembour, un slogan publicitaire, une boutade qui pourrait changer le monde, peut se traduire, au fur et à mesure, en quelque chose de plus solide… Il suffit de sommer calmement, jour après jour, les guizzi, les schizzi et les ghiribizzi. Avec le temps nos petites éruptions volcaniques quotidiennes pourraient donner la vie à un grand tableau, un triptyque, une fresque… Ou alors, elles pourraient suggérer à notre alter ego méthodique et planificateur les éléments-clés pour une reconstruction sincère et équilibrée de nos drames, de nos joies ainsi que de nos obsessions.
Bien sûr, les exceptions ne manquent pas. Par exemple la Cappella Sistina que Michel Ange a peinte relativement en peu de temps. Et bien sûr, la réalisation de certains tableaux peut être assez rapide, surtout s’il y a eu avant un travail intense et continu des années durant.
On connaît d’ailleurs par quel immense travail Giacomo Leopardi se consacra à son Zibaldone ou Marcel Proust à son Temps perdu… Leurs œuvres ont eu besoin de l’abri d’un temps de renfermement, prolongé jusqu’au désespoir, jusqu’à l’abnégation sinon à une sorte de suicide même…
Ou alors je m’interroge sur le rapport entre l’œuvre extemporanée d’un Nicolò Paganini — ou la création fulgurante d’un Gioacchino Rossini — et la lenteur pleine de prodiges de Giuseppe Verdi, par exemple. Il y a des génies au tempérament rapide sinon vertigineux, du moins pendant une phase de leur vie, tandis que d’autres ont besoin de mûrir longuement, en silence. Le même Rossini — dont on a écouté, bouche bée, une symphonie irrésistible de ses vingt ans telle la Gazza Ladra —, lors de son âge mûr, marqué par son installation à Paris, il perd un peu, apparemment, de cette insouciance qui le rendait auparavant capable de créer des chefs-d’œuvre tout comme s’il s’agissait d’improvisations…

003_guizzo 180

Mais voilà que je suis arrivé au point de cuisson désiré pour le pot au feu que j’aimerais offrir, comme le faisait Pierre-Auguste Renoir avec les siens, à mes amis peintres ou photographes ou poètes, habitués désormais à transférer sur les blogs qu’ils ont amoureusement créés leurs guizzi, schizzi et ghiribizzi quotidiens. Je suis arrivé donc à la conviction qu’il faut se sacrifier si l’on veut atteindre de vrais résultats dans le domaine de l’art tout comme dans celui de la littérature. On peut bien sûr lire, relire et commenter, aujourd’hui, le Journal de Kafka sur le web, se passionnant à la traduction originale de Laurent Margantin. On peut redécouvrir Virginia Woolf dans le français cohérent dont nous fait cadeau Christine Jeanney. Et cætera. Mais Franz Kafka ni Virginia Woolf ou Leopardi ou Proust n’auraient pas achevé leurs œuvres gigantesques en les publiant au jour le jour sur des blogs.
Bien sûr, Virginia écrivait des articles et Kafka avait l’obligation d’un travail « alimentaire » quotidien. Mais ils faisaient cela avec la main gauche et même à contrecœur, tellement vif était leur souci vis-à-vis du temps perdu, arraché à leur véritable existence de poètes…
Notre exploitation quotidienne pourrait bien sûr frôler par hasard des cimes très élevées, notre performance serait toujours éphémère et caduque. Quoi faire, alors ?
Tout simplement accepter que notre guizzo quotidien ne sera qu’une trace, sous forme de schizzo, pour une éventuelle élaboration successive, que nous devrions faire en cachette, ayant préalablement coupé tous les fils avec la réalité et ses petites vanités indispensables. Peut-être, nous n’aurons pas le temps, ni les énergies ou la concentration, au moment donné, pour transformer le canevas en scénario et le scénario en film. Nous pouvons bien sûr nous laisser bercer par l’illusion que quelqu’un d’autre, en dehors de nous, le fera après nous, quand nous serons disparus. Dans un tel état des choses, ne serait-ce alors mieux disparaître avant, le plus tôt que possible, en bonne santé, renonçant à quelques petites gloires quotidiennes pour essayer de laisser une trace un peu plus accomplie de notre passage ? Est-il tellement nécessaire, pour avancer, la reconnaissance que nous sollicitons de notre vivant avec autant d’acharnement ?
Nous sommes tous des êtres humains. Une âme sociable plus ou moins vivante en chacun de nous nous pousse à sortir, à bavarder, à discuter, à subir parfois l’influence des uns et des autres. Cette technologie dévoratrice nous offre d’ailleurs des merveilles virtuelles dont notre appetit ne peut plus se passer. S’il est vrai que notre vie est devenue de plus en plus anonyme et peut être aliénée… nous ne saurions plus disparaître du jour au lendemain sans ressentir cet acte comme un échec, un gigantesque pas en arrière, un retour à l’âge de la pierre.
Donc, on continue comme cela. En nous prenant, de temps en temps, le ghiribizzo d’écrire un poème qui demeurera un fragment, de raconter notre vie dans un journal fictif, constellé d’indispensables mensonges, de couper notre roman de mille pages en mille morceaux qui s’éloigneront de plus en plus de l’esprit originaire…

004_terrazza 2 (1)

Giovanni Merloni

(1) guizzo = bond insaisissable d’un animal ou d’une personne, toujours dans une direction inattendue, comme le ferait un poisson jaillissant de l’eau. Au sens figuré par « guizzo » on entend surtout un petit prodige, tout à fait inattendu, de l’intelligence humaine.
(2) schizzo = terme qu’en italien oscille entre l’éclaboussure et l’esquisse. Donc au sens figuré cela explique soit une attitude fort spontanée et parfois maladroite, soit le résultat d’une habileté manuelle expérimentée dans le dessin.
(3) ghiribizzo = c’est un caprice soudain, qui peut regarder n’importe quelle activité ou intérêt. Le «ghiribizzo » est souvent évoqué, au cours d’une conversation comme une sorte de revendication paradoxale. Par exemple : « Je me rends chez le coiffeur quand me saute dessus le « ghiribizzo », voire le caprice, de le faire ».

Le rouge des coquelicots et le noir de l’espace sidéral dans l’art poétique d’Éliane Hurtado

19 dimanche Juil 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ 6 Commentaires

Étiquettes

Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau

000_eliane hurtado mompezat

Éliane Hurtado, Michel Bénard et la sculptrice Paule Perret à l’Espace Mompezat le 4 juillet 2015

Pour donner vie à un portrait fidèle d’un artiste, notamment d’un artiste à la fois peintre et poète comme Éliane Hurtado, il faut d’abord lui donner la parole. Ensuite, il faut essayer de se dépouiller d’une série de béquilles analytiques et verbales pour rentrer nous-mêmes dans ses œuvres qui ne se multiplient pas seulement en fonction du temps et de ses prodiges, mais aussi en raison de ces deux rails ou sillons parallèles de la poésie et de la peinture. Enfin, il faut explorer de l’intérieur ces mondes vécus ou racontés par Éliane Hurtado, essayant de comprendre d’où viennent-elles leurs magies, leurs sagesses, leurs profondeurs.
Je fréquente depuis des années désormais l’espace Mompezat où tous les premiers samedis du mois se révèle un nouvel aspect de la sensibilité des Poètes français, ouverts aux autres disciplines expressives, aux autres mondes de la planète ainsi qu’en général à « l’Autre ». Toutes les fois que j’entre, j’ai besoin de temps pour décider si j’aime et combien j’apprécie le peintre ou le sculpteur de tour. Il arrive parfois, je l’avoue, que ma première impression n’est même pas tout de suite favorable… Petit à petit, avec le temps, je devine le parcours, je découvre les œuvres les plus étonnantes pour moi, ce qui chante à l’unisson avec mon esprit et mon âme. Au bout de cette réflexion, il est rare que je n’arrive pas à me complimenter de façon pleine et sincère avec le peintre et poète Michel Bénard. Car c’est lui l’idéateur et le responsable depuis des années de cette attivité extrêmement positive de la Société des Poètes Français ; lui qui choisit avec profonde compétence, lui qui accompagne avec rare sensibilité chaque artiste dans sa sortie mompezatienne…
Dans le cas de la dernière exposition avant les vacances, consacrée à Éliane Hurtado ainsi qu’à la très performante sculptrice Paule Perret, pour la première fois je n’ai pas eu besoin de temps pour m’exprimer. Même pas d’une seconde. Dès que j’ai franchi la porte d’entrée, j’ai immédiatement saisi sur les parois une histoire qui se déroulait comme une fresque dense et légère à la fois.
Je découvre peut-être la réponse à mon « coup de cœur » dans une phrase très efficace que j’ai trouvée dans un commentaire que Michel Bénard avait consacré à Éliane, selon lequel elle « a besoin de réfléchir ses œuvres, il lui faut du temps pour situer son travail dans l’espace, pour élaborer la composition, mais une fois le principe acquis, l’exécution est très rapide, presque spontanée, ne laissant que peu de place au repentir… »
Cette rapidité dans l’exécution, cette maîtrise acquise au bout d’une gestation parfois longue et douloureuse correspond à ce que j’appelle « conviction ». La vie en fait m’a appris que pour convaincre les autres il faut que nous-mêmes soyons d’abord convaincus… Et cette conviction, contagieuse, charmante, charismatique, emporte et rassure ceux qui sont conviés au spectacle de nos œuvres.
Je ne veux pas trop ajouter à cette constatation admirative. Une description trop analytique alourdirait mon portrait. Après la vive voix d’Éliane, je laisserai, au bout de cet article, la parole à Michel Bénard. Ce dernier, dans sa présentation du 4 juillet à l’Espace Mompezat, a réussi un de ses chefs d’œuvre, par des mots incroyablement fidèles à l’esprit de cette auteure.
Quant à moi, je voudrais savoir donner de cette peintre-poète un « portrait intuitiste », c’est-à-dire une esquisse rapide de l’œuvre d’Éliane Hurtado, ayant le but de saisir le geste créateur et d’en faire revivre l’atmosphère, le motif inspirateur, l’âme rêveuse et vagabonde.
Un portrait qui ne se charge pas nécessairement de l’éventuelle démarche « intuitiste » que cette artiste est en train d’exploiter ces derniers temps.
Je crois qu’Éliane Hurtado serait d’accord si je m’approchais de ses tableaux avec le même esprit qu’inspira à Jacques Prévert l’inoubliable poème de la cage et de l’oiseau, en lui empruntant une question implicite : est-ce que dans les tableaux d’Éliane il ne manque à peindre que la porte de la cage, d’où l’oiseau sortira pour atteindre l’air fumeux des toits de Paris ?
Je trouve que cette porte, très étroite souvent, qu’Éliane emprunte à son tour à André Gide et à son idée d’une réalité à plusieurs facettes — dignes d’être vécues — est le noyau inspirateur de son art ainsi que de sa poésie.
Elle nous invite d’ailleurs très aimablement à la suivre dans cette étrange démarche : entrer dans une réalité mystérieuse et peut-être interdite par le trou d’une serrure ou par une fente subtile, nous faufilant avec elle dans les sillons de la terre ou dans les rides d’un visage… pour passer au-delà ou derrière. Cet autre monde qu’elle va représenter sera toujours un monde gagné, un paradis retrouvé.
Une porte sépare toujours une époque de l’autre, une technique de l’autre, une nuance de couleurs de l’autre. Après chacune de ces traversées, Éliane Hurtado fabrique le monde qui l’entoure — le jardin, la maison, la cage, l’oiseau — et s’y installe. Elle nous partage la souffrance de son voyage, avant de nous admettre dans son univers. Combien de temps a-t-elle dû consacrer à la traversée des territoires immenses de l’art figuratif ? Il faudrait compter des siècles, tellement son travail en est devenu léger.
Voilà pourquoi on ne doit pas s’étonner si, un beau jour, elle a eu besoin de se risquer dans un autre univers, si elle a voulu rentrer dans un ciel sans repères évidents, si elle a de but en blanc transporté dans l’art abstrait ses valises et ses malles pleines des figures que lui ont apprises ses longues séances au bord des fleuves d’Espagne, ses joyeuses journées dans l’atelier, où l’unique but était celui de « recréer en vrai »…
Franchissant cette énième porte, sans renoncer à son langage riche d’ironie et de joie de vivre, elle a fait un véritable cadeau à la poétique intuitiste… Mais je vois déjà paraître des fissures, je vois déjà s’ouvrir une nouvelle porte, se dérouler une nouvelle histoire…
Car je trouve en Éliane Hurtado même une ouverture qui laisse toujours présager quelques coup de théâtre… Ce qui m’a touché c’est la « nonchalance » qu’Éliane adopte pour laisser aux autres l’initiative de la découverte de sa valeur artistique et littéraire. Tout en ouvrant la petite « porte de Gide » elle lance des hameçons — ou pour mieux dire des cailloux blancs — qui provoqueront, même au-delà de ses intentions, l’envie de connaître et explorer son monde riche et fabuleux où rien n’est escompté ni prévisible. Un monde où la composition du tableau répond, au contraire, à des règles, à des contraintes et lois extrêmement sévères, qui font l’originalité et l’unicité de son travail.

Giovanni Merloni

001_Comme un vol de gerfauts  (81x65cm) 180

Eliane Hurtado : Couleur du ciel, couleur du temps, couleur d’océan

Création

Je ne pense plus à rien quand je peins,
Sur ma toile blanche
Sans l’ombre d’un pli
Je pose mes enduits,
Puis les multitudes colorées  s’étalent,
Avec mes couteaux et mes spatules
Je les juxtapose, les mélange,
Je n’entends plus rien,
Ma toile prend vie.

Comme une délivrance
Le combat de la vie,
La joie, l’amour,  la douleur
Prend fin.

Je termine par la couleur blanche,
Une signature discrète,
Une couche de vernis,
L’œuvre est finie.

La vie  à nouveau s’empare de moi.

004_oceano nox (65x54cm) 180

Couleur d’océan

Tu as les yeux bleus des abîmes
Poussière d’étoile et de lune
Fleur d’amour et d’horizon

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

Tant que les étoiles
Retiendront la lumière
Je me baignerais dans tes pensées.

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

L’insondable mirage
De tes yeux d’azur
Me plonge dans l’écume du silence.

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

Comme la colombe blanche
Drapée de diamant et d’étoile,
Je  chanterai pour toi.

Couleur du ciel,
Couleur du temps,
Couleur d’océan.

006_ocre terre et tourbillon (60x60cm) (1)

Pax

Toi, passeur de lumière
Répand sur nos chemins
D’épines et de pierres
Une poussière d’étoiles et de rêves.

Inonde la Terre
D’un arc-en -ciel
De toutes les couleurs
De Paix et de Bonheur.

Sur l’échiquier terrestre
Où  le blanc et le noir se côtoient
Joue une symphonie inachevée,
Sort du silence des morts.

C’est la partition d’un poète
Qui, l’âme déchirée
Proclame son amour Divin
En semant des graines d’espoir
Pour qu’enfin règne sur terre
Un signe de Paix éternelle
Et que s’envole
Dans un souffle fugitif
Une lueur d’espérance
Signe d’un temps meilleur.

Ne laisse pas ces silences s’imposer
Et n’accepte pas ces guerres fratricides,
Mais redessine l’origine du Monde
Aux couleurs de l’espoir.

009_entre ciel et terre (40x60cm) 180

L’Art  abstrait

Je suis allée vers l’art abstrait par envie de liberté.

C’est une poésie polychrome. Les couleurs jouent entre elles, se côtoient, se marient, s’enlacent…

Je laisse aller mon imaginaire, et selon mon état d’âme, l’atmosphère de mon tableau est reposante, zen ou au contraire contrastée, violente.

J’essaie toujours de créer un mouvement pour inciter le spectateur à entrer dans l’œuvre et se laisser guider.

J’y intègre aussi des morceaux de feuille d’or, du gravier, du sable…

La vie est jonchée de petits cailloux !…

010_grisaille azurée  (60x60cm) 180

La toile

Devant ma toile blanche
Posée sur le chevalet,
Mon cœur est hésitant.

Vais-je pouvoir traduire
Le souffle du vent,
Le bruit des insectes  dans l’herbe
La pâquerette qui vient d’éclore,
Le papillon si léger qui virevolte ?

Pourrais-je traduire la nature
Sans la défigurer ?
Elle est si belle, si bien faite,
Que je n’ose donner
Le premier coup de pinceau.

Aujourd’hui,
Ma toile restera vierge.
Demain peut-être ?

Eliane Hurtado

000a_photo claudia mompezat - copie

« Ex enseignante d’arts plastiques, aujourd’hui Eliane Hurtado ne se consacre plus qu’à son art à multiples facettes. Elle passe du plus pur académisme au trompe l’œil, du paysage conventionnel aux ambiances composées, de l’abstraction à l’expression dite intuitiste toute chargée de vibrations poétiques.
Eliane Hurtado possède parfaitement bien son métier de peintre ainsi que toutes les techniques dérivées. Sans inquiéter son humilité, il me faut aussi vous avouer qu’elle possède la maîtrise de son métier de peintre, car pour ceux qui l’auraient oublié, au regard d’un certain pseudo-art conceptuel, peindre est un métier à part entière.
Et petite cerise sur le gâteau, Eliane Hurtado est également restauratrice d’œuvres anciennes où blessées par le passage du temps.
Lorsque nous regardons ses œuvres, comme par exemple la série des coquelicots, outre la qualité picturale, composition appliquée, richesse de la matière, nous y découvrons aussi le monde ébloui de l’enlumineur, travaillant en étamage la feuille d’or.
Mais Eliane Hurtado, éprise d’indépendance et de liberté s’adonne aussi à des travaux plus abstraits, plus intuitistes où les ambiances informelles laissent émaner beaucoup de poésie, de rêve et de réflexion lorsqu’elle aborde le thème des «  vanités » sujet récurant du 17 ème siècle. Une manière pour elle de souligner la fragilité des choses, la superficialité du monde des hommes.
Chaque œuvre dite intuitiste, porte une réflexion instinctive qui pose ou soulève les questions informelles de l’existence.
Peut-on pour autant lui mettre l’étiquette de peintre existentialiste ? J’en doute beaucoup, Eliane Hurtado esprit libre par nature, n’adhère à aucune chapelle ! »

Michel Bénard

« Art » de Yasmina Reza : l’amitié, est-elle un bien durable ? existe-t-elle encore ?

11 samedi Avr 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ 11 Commentaires

Étiquettes

Portrait d'un tableau, Théâtre et cinéma

001_fontana_sampietrini_180

Un tableau de Lucio Fontana

« Art » de Yasmina Reza : l’amitié, est-elle un bien durable ? existe-t-elle encore ?

Vendredi 20 mai 2011, dans la grande salle de fêtes au rez-de-chaussée du Cercle national des Armées — 8, place Saint-Augustin (Paris VIIIe) — j’ai assisté à une réplique vraiment remarquable d’une pièce de Yasmina Reza, « Art », qu’on ne jouait pas à Paris depuis 1994. Comme le metteur en scène Pierre Troullier a souligné à la fin du spectacle, Yasmina Reza, qui n’écrit ces pièces que pour d’acteurs vrais, voire d’interprètes « haut de gamme » — comme Pierre Vaneck, Fabrice Luchini, Pierre Arditi ou Jean-Louis Trintignant —, n’avait jamais donné son accord pour la mise en scène à Paris de cette pièce universellement appréciée qui lui avait valu d’ailleurs en 1994 deux « Molières » : meilleur spectacle privé et meilleur auteur. Mais trois élèves de l’École navale — Florian Leguy, Pierre-Marie de Reboul et Arnaud Signoret — ont communiqué leur passion à leur professeur Pierre Troullier, qui a su déclencher avec eux un travail de mise en scène et d’acteurs très original. Je ne sais pas si Yasmina Reza a eu le temps de connaître un peu ce travail, en tout cas elle a donné l’autorisation et tout le public qui a assisté à cette soirée d’exception lui en sera reconnaissant.

L’art en jeu L’idée tout à fait originale d’où cette pièce se déclenche est l’arrivée dans l’appartement de Serge (Pierre-Marie de Reboul), « un rat d’exposition », d’un tableau blanc. Une toile des années 1970, œuvre « rare » d’un certain Antrios, que Serge achète pour 200.000 francs. Ce tableau provoque l’indignation jusqu’à la rage de son ami Marc (Florian Leguy), « l’adepte du bon vieux temps ». Leur ami commun, Yvan (Arnaud Signoret), est « un être hybride et flasque ». Il adopte une position moyenne. Il n’aime pas beaucoup ce tableau, mais respecte le choix de Serge. L’idée de la « page blanche » ou du « tableau blanc » n’est pas une « invention » de l’art abstrait ou conceptuel. Je me souviens d’une aventure de Till l’espiègle, par exemple, qui me toucha beaucoup dans mon enfance impatiente. Ce personnage tantôt charmant tantôt insupportable, qui aimait se plonger dans les difficultés pour s’en tirer de façon parfois maladroite, se prit un jour pour un grand peintre. Avec son savoir-faire et ses allures de dragueur, il eut un jour la hardiesse de convaincre un Seigneur riche et ambitieux à le charger d’une fresque. Je revois encore cet énorme escabeau au centre de la grande salle, Till l’espiègle qui passe des heures à nettoyer les pinceaux et à tracer de grands gestes dans le vide. Il faisait cela pour manger bien et beaucoup, et le Seigneur lui laissait le temps de trouver la bonne « inspiration ». Après quelque temps le Seigneur et ses amis commencèrent à le harceler, car Till ne voulait que personne ne regardât son œuvre. Jusqu’au jour où il y eut une irruption dans la salle et les gens, qui avaient si patiemment attendu, virent le plafond vide, dépourvu d’une décoration quelconque, tout à fait blanc. Aux temps évoqués par cette histoire on pouvait risquer la galère et la mort pour un manque de parole semblable, ou, si l’on veut, pour une moquerie comme celle que Till s’était inventée. Poussé aux cordes, Till se mit à parler : « Ne voyez-vous pas, Messieurs, cette scène de chasse, ces chiens courant derrière un renard à la queue brune ? Ne voyez-vous pas, ici, dans ce coin rose et céleste, cette femme au miroir, qu’un Amour chérit ? » Et, puisque ces gens restaient bouche bée, incapables de répliquer, il insistait : « Monsieur, c’est vrai, cette fresque n’est pas celle de la chapelle Sixtine, que Michel Ange a peinte, mais il y a l’amour sacré à côté de l’amour profane… » Lucio Fontana fut le premier à donner une signification à la toile blanche, en la coupant net avec un couteau. Mais dans son œuvre il y avait déjà un signe, une action d’artiste, comme dans les tableaux « noirs sur noir » de Burri, qui ont en vérité une incroyable richesse de couches superposées qui proposent une lecture « dialectique » : d’un côté l’art conceptuel, de l’autre le retour à la matière. Le tableau « blanc sur blanc » que Serge achète dans une galerie très renommée « faisant tendance » peut apparaître au spectateur comme le niveau extrême de la provocation. On dirait en effet que c’est une toile blanche tout juste traitée pour y peindre, qui vient d’être achetée dans un magasin de beaux-arts. Mais elle pourrait avoir deux lignes noires ou colorées et ce serait aussi un bon point de départ pour une discussion plus ou moins déchirante sur le sens de l’art depuis toujours. En fait, il y a eu toujours de réactions différentes au même tableau. N’oublions pas les échecs de Van Gogh, le choix des Impressionistes d’exposer dans le Salon des « Refusés », l’accueil contradictoire des œuvres cubistes de Braque et Picasso, mais aussi la sous-évaluation de Délacroix, chef de file d’une liste interminable de peintres qui ont eu une fortune posthume. C’est toujours le problème de la lutte réciproque entre ce qui est déjà affirmé et codifié et tout ce qui est « nouveau ». D’ailleurs, il arrive de plus en plus souvent que le « nouveau » soit utilisé « contre le vieux » — pour le détruire, même s’il ne le méritait pas — par quelqu’un qui trouve ainsi la façon de s’imposer et d’imposer une nouvelle « vague » d’expression artistique.

002_le tableau inutile 180

Tableau abandonné près du boulevard Magenta à Paris

Les personnages C’est au nom de cette lutte, du reste éternelle, que les trois amis se confrontent. Ils sont dans la quarantaine, au tournant de leurs vies. Marc et Serge se connaissent depuis 15 ans. Yvan est arrivé plus tard, en transformant le duo en trio. Marc est ingénieur s’occupant d’aéronautique. Il flirte avec Paula. Serge est dermatologue, divorcé de Françoise. Il a deux enfants. Pour remplir ce vide, il a commencé à fréquenter le monde de l’Art. Yvan se présente comme ça : « Je m’appelle Yvan. Je suis un peu tendu, car après avoir passé ma vie dans le textile, je viens de trouver un emploi de représentant dans une papeterie en gros. Je suis un garçon sympathique. Ma vie professionnelle a toujours été un échec et je vais me marier dans quinze jours avec une gentille fille brillante et de bonne famille ». Les trois personnages vivent de façons différentes de crises existentielles interchangeables. Ce qui les fait apparaître différentes c’est le « style » de chacun des trois. Marc règle sa vie et ses rapports selon un style « traditionnel », d’ailleurs, comme dit Serge de lui, « il n’a pas d’humour. Avec toi [Yvan], je ris. Avec lui, je suis glacé. » Serge adopte un style moderne, problématique, mais en même temps il croit dans le progrès et dans la créativité. Yvan est « éclectique », il partage le passé et le futur de ses amis pour s’évader, lui aussi, du présent. Autour du tableau se déclenche une dispute de plus en plus acharnée qui va révéler la nature profonde de chacun de trois, ouvrant des aperçus sur leurs existences malheureuses. Donc, le tableau blanc est un prétexte, que Yasmina Reza a emprunté de longs et ennuyeux débats sur l’art pour parler d’un thème éternel et privilégié de toute littérature. L’homme, le sens des choix que l’homme même fait dans l’amour, dans l’amitié, dans le travail et en général dans l’expression de soi-même. Mais cette « invention » du tableau blanc n’est pas seulement un prétexte. D’un côté, voyant cette pièce, j’ai pensé aux Latins, qui disaient : « de gustibus non est disputandum ». On ne doit pas se mêler des goûts d’autrui, ni des choix que font nos amis et, en général, tous les autres avec qui nous avons affaire. De l’autre côté j’ai réfléchi à la fonction narrative d’une simple et seule négation dans un texte. Le « non », dont José Saramago est, à mes yeux, le paladin le plus brillant et prolifique. Dans le « siège de Lisbonne », l’introduction d’une inversion de l’histoire jusque-là connue — l’aide des croisés au portugais que Saramago s’amuse à nier — donne vie à une histoire moins héroïque et pourtant pas moins dramatique et fascinante. Dans cette pièce de Yasmina Reza, l’arrivée du tableau blanc crée un choc, imposant d’abord une double attention du spectateur — obligé à s’intéresser au tableau, contraint à relativiser les drames humains qui se déroulent dans l’histoire des trois personnages, porté enfin à « disputer » sur les goûts humains sans plus donner une priorité absolue aux questions « de vie et de mort ».

Un hymne à l’amitié Et c’est moins pour le ton « minimaliste » de la pièce que pour cette « inversion » de la visuelle qui s’ouvre au spectateur que cette dispute sur les goûts » de chacun redonne l’espace que mérite au thème de l’amitié. Je comprends, à ce point-ci, pourquoi Yasmina Reza a dit : « Je ne pourrais jamais écrire pour des acteurs médiocres. Mon écriture fait une confiance totale à l’acteur. Avec un acteur médiocre, il ne reste rien d’une pièce, plus de sous-texte, plus de densité dans les silences, plus aucune perversité, rien. » Car l’amitié est une question extrêmement compliquée, difficile à reconstruire dans un récit littéraire comme dans une pièce. Peut-être le thème plus difficile pour un auteur dramatique. Pourrait-on, par exemple, faire revivre « le couple étrange » de Jack Lemmon et Walter Mattau avec d’autres interprètes ? C’est pourquoi le défi qu’ont relevé Pierre Troullier et ses trois élèves de l’École navale — Florian Leguy, Pierre-Marie de Reboul et Arnaud Signoret — a été vraiment terrible. Pourtant, ils en sont sortis de façon excellente. Sont-ils déjà de grands acteurs ? Peut-être. Ce qui est sûr, ils sont amis entre eux, ils ont visiblement acquis un niveau de complicité et de solidarité qui les ont rendus capables d’une prestation ainsi difficile. Car parfois un duo ou un trio d’amis peut devenir invincible. Moi, depuis le commencement, j’ai eu la sensation — de façon plus convaincue lors de l’entrée en scène d’Yvan —, de connaître déjà ces trois amis et de m’être moi-même assis plusieurs fois à ce même canapé. Et c’est sûr qu’à la salle de fêtes du Cercle national des Armées nous avons vu jouer des amis qui en raison de leur « confiance à trois » ont su brillamment briser le « quatrième mur » entre le public et la scène. Je veux ici citer à propos de l’amitié ce qu’en disait Montaigne dans un passage célèbre : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelques occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui ; parce que c’était moi. » Et c’est surtout ce sentiment d’amitié, libre et désintéressée, qu’on ressentit dans cette pièce, de façon particulière dans l’interprétation parisienne du dernier 20 mai. Le succès mondial de l’œuvre de Yasmina Reza vient probablement de cette idée simple d’une page blanche sur laquelle les petites joies de l’amitié prennent corps. Et je crois que cette attitude spécifique de l’homme, ce besoin aussi de s’améliorer à travers les autres, traverse aujourd’hui une crise insupportable. Cela dépend moins de l’égoïsme que de l’aliénation provoquée par un progrès devenu régressif. Et alors, puisque dans cette pièce on parle de goûts et de choix dont on doit absolument discuter, après avoir parlé d’art obsolète et d’œuvres « durables », est-ce que l’amitié est encore un bien durable ? N’est-elle, par hasard, un bien en voie d’extinction ?

Une pièce minimaliste ? Pour conclure, je n’ai pas su me passer d’une confrontation entre « Art » et « Les bonnes » de Jean Genet. Le minimalisme d’un côté, le décor baroque de l’autre. Dans chacune de deux pièces, il y a un triangle. Ici, trois amis. Là, deux bonnes et Madame. Ici, la jalousie éclate, occasionnée par l’achat d’un tableau qui bouleverse les équilibres qui pouvaient sembler éternels. Là, la jalousie est envers cette Madame qui emprisonne les bonnes, plus ou moins consciemment, dans un étau mortel, avant de les abandonner pour rejoindre le quatrième personnage, Monsieur. Les mécanismes de l’amitié et de l’amour sont les mêmes. Dans la pièce de Yasmina Reza, le rôle de Madame est confié à Yvan, l’ami commun, le troisième ami qui ne se dérobe jamais à ses obligations. Il est le « messager d’amour » entre Marc et Serge. Et, comme dans les « Bonnes », l’équilibre se brise lorsqu’une quatrième figure se présente à l’horizon. Et cette figure est le tableau blanc, une chose tout à fait imprévue et neuve qui va occuper une partie de l’attention de Serge, jusque-là encadrée dans le « système » d’évaluation des choses et des faits de la vie que Marc avait sans difficulté imposé. La première différence entre « Les bonnes » et « Art » est dans la façon de présenter cette « rupture » du cadre. Dans la pièce de Genet, on comprend, bien après, quand le rideau est tombé depuis longtemps, que les deux sœurs étaient jalouses de Madame et ne supportaient pas cet « intrus » de Monsieur. Dans la pièce de Yasmina Reza, on comprend immédiatement, dès que le rideau est levé, que le tableau avec son entrée en scène va briser un équilibre. La deuxième différence est dans le dialogue et dans le rôle du troisième personnage. Tandis que Madame s’enfiche des drames des deux sœurs et ne fait rien pour les résoudre, Yvan s’engage avec tous ses moyens pour recoudre la blessure entre Marc et Serge. La troisième différence est dans la conclusion. Les « Bonnes » ont une issue tragique, même si surréelle et de quelque façon légère. « Art » a une fin surprenante qui est un hymne à « l’irrationnel » : Marc, qui avait été le plus rigide dans son intolérance, décide d’un coup « d’aimer » ce tableau blanc. Comme les clients naïfs et grossiers de Till l’espiègle, il a su trouver dans son imagination ce qu’il ne pouvait pas voir de ses propres yeux. Mais les deux pièces ont en commun un motif caché, qui est d’ailleurs ce qui pousse toujours les amants du théâtre à sortir de maison pour aller aux spectacles. Ce motif s’exprime dans l’amour pour la vie, dans le goût indicible qui vient de l’expérience quotidienne et même seulement du plaisir d’avoir un corps qui se lève et s’assied sur un canapé, qui entre et qui sort, qui vit en se regardant vivre…

Giovanni Merloni

Le Petit Enfant et le retour à la Montagne. Randonnée chez les artistes « intuitistes » II/III

15 dimanche Mar 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau

000_gerard stricher l'intuitiste_2 - copie

Gerard Stricher, L’intuituiste

Le Petit Enfant et le retour à la Montagne. Randonnée chez les artistes « intuitistes » II/III

Quelle différence entre « avoir à écrire » et « avoir déjà écrit » ! Voilà une chose que mes amis intuitistes n’éprouveront jamais et que j’ai vécue pourtant, pauvre Christ n’ayant pas encore été touché par la furie d’une telle expression aussi foudroyante qu’immédiate !
Cet après-midi, plus épuisé que d’habitude, je suis tombé dans un sommeil intermittent, mais profond, qui m’a donné l’illusion d’y être… et ensuite la cuisante déception de n’y être pas…
J’avais mentalement commencé à noter des mots-clés… Le premier mot était  « Petit Enfant » (« Fanciullino ») ; le deuxième « Cosmos » ; le troisième « Alphabet » ; le quatrième « Jet » et le cinquième mot « Montagne »…
Sur la belle page, que j’avais juste devant mes yeux, ces mots se mariaient fort bien les uns aux autres, laissant jaillir des phrases, des conclusions mêmes brillantes… qui pourtant se sont volatilisées !
Au bout de deux heures d’apnée, ma conscience s’est réveillée avec l’étrange sensation que je n’arriverai jamais à produire de nouveau des considérations comme celles que l’abandon et l’inconscience m’avaient inutilement dictées. Quel gaspillage ! Et quelle déception !

002_hurtado 02 bis

Eliane Hurtado Incendie sur l’eau

Ce que j’avais promis mardi dernier lors de la première étape de ma « randonnée intuitiste » risquait d’être mis en pièces ! Déjà ? Avant que je touche le camp de base ? Devais-je me décourager, avant d’entamer avec les sherpas (1) la réunion prévue, indispensable pour la préparation d’une véritable escalade au sommet de la montagne ?
Devant la beauté de ce que j’avais écrit dans le vide, sans prendre des notes, hélas, le travail à refaire me semblait gigantesque, voire impossible…
Je savais bien, désormais, le rôle qu’allait assumer, dans la vie de tous les jours, la page virtuelle d’un ordinateur ou d’un smartphone quelconque… Et combien regrettais-je la page réelle, physique, avec toutes ses merveilleuses contraintes d’espace, d’ordre et de propreté !
Mais je n’avais pas assez réfléchi à l’importance de la page qu’on écrit dans un rêve… Oui, le rêve, ce beau mot usagé, auquel on n’attribue qu’une connotation positive ! Puisque le rêve possède son contraire, le cauchemar, avec son immanquable négativité, on ne peut pas dire impunément « rêve » de façon minimaliste, juste pour désigner cette phase d’inconscience qui suit à la fatigue excessive, où l’on glisse sans transition en fermant les yeux. Le mot rêve désigne forcément une évasion gratifiante… du moins, lorsqu’on le prononce, on est obligés de s’attendre à quelque chose de beau… Il faudrait trouver un autre terme, ou alors élargir le concept de rêve, en fouillant dans son côté trompeur… pour admettre, finalement, que si souvent le rêve a une fonction bénéfique, son interruption peut être traumatique, tragique même…

000_Alain Béral intui 3 180

Alain Béral, Profil rêveur en contre-jour

Dans mon sommeil « blanc » et joyeux, caressé du dehors de la fenêtre par une rare journée de soleil constant à Paris, j’étais donc en train de réfléchir aux atouts du mouvement intuitiste — à partir des témoignages de quelques-uns de ses membres, qui avaient réagi (favorablement) à mon premier article —, essayant de faire déclencher « une procédure intuitiste pour parler de l’Intuitisme »… J’avais déjà accompli la partie plus difficile, le « socle dur » de mes petites découvertes et de mes réflexions modestes. Il me semblait avoir déjà saisi les deux ou trois points de force des intuitistes, leurs tendances primordiales :
— leur besoin de revenir, en tant qu’êtres humains, à l’essence profonde et intime (voire à l’enfance libre et omnipotente) trouve un glorieux précurseur dans le « Petit Enfant » (« fanciullino ») qui est au centre de toute la poésie de Giovanni Pascoli : « est poète celui qui sait écouter la voix de l’irrationnel que chacun porte en soi mais que l’on oublie, le plus souvent, à l’âge adulte. Le poète est ce « fanciullino », jeune enfant extatique qui ne cesse de redécouvrir les choses les plus usuelles, autour de soi. Avec la fraîcheur de l’émerveillement, l’enfant-poète sait restituer — grâce à une langue anti-littéraire, à laquelle il confère rytjme et musicalité, mais aussi au paysage, toujours protagoniste chez Pascoli — le mystère des choses et de l’existence même. La poésie consiste à “trouver dans les choses leur sourire et leurs larmes, écouter leur frémissement » (2). C’est exactement ce qu’a dit par d’autres mots un des artistes intuitistes : “le peintre intuitiste est cette personne qui retrouve son âme de petit enfant, libre comme l’air, devant la toile, pour réinventer son monde !” (Jean-Claude Bemben) ;

000_Nadine Amiel Nuits aux Caraibes

Nadine Amiel, Nuit aux Caraïbes

x— une forte ressemblance avec tous les mouvements artistiques et littéraires qui ont essayé d’ancrer leur désir de liberté d’expression à l’idée du « retour » à la spontanéité primordiale, au geste : « … l’intuitisme reflète un dialogue avec l’intime de l’artiste et rien ne saurait un jour remplacer la main qui elle seule est capable de transmettre toutes les subtilités venant des profondeurs de l’être. » (Franceleine Debellefontaine) ;
— il faut considérer enfin un autre « atout » qui peut aider le mouvement intuitiste, en dépit de sa variété expressive, à briser l’écran où se déroule le débat artistique et littéraire pour y occuper une place majeure. Les intuitistes prêchent — tout à fait sincèrement et sans cesse — un esprit « amoureux et confiant » de partage de l’expérience artistique, sans « exclusions a priori ». En même temps, ils demandent « rigueur et travail » à tous. Ceux qui ont le plus à donner, ceux qui travaillent depuis longtemps pouvant vanter un long artisanat et une application constante, adhèrent en premiers au mouvement intuitiste. Cette vision d’une création collective prodigieuse et généreuse, se multipliant à l’infini, fait déclencher en moi l’idée de « la montagne ». Un géant pointant au milieu des nuages qui est aussi une mine bourrée de trésors. Une montagne creusée par d’infinis labyrinthes, une casbah d’ateliers en pleine activité. Un plein de suggestions ascensionnelles et célestes qui est aussi « rempli », voire comblé d’indispensables expériences…

000_Pommery J.C 1 180

Jean-Claude Pommery Le Château

La montagne intuitiste n’a rien à voir avec la redoutable montagne enchantée de Thomas Mann ni avec la décevante tour de Babel ! Le parcours qu’il faudra suivre pour gagner son sommet, bien sûr constellé d’oeuvres intuitistes, ne sera pas une « via crucis » pour mettre des complexes à de pauvres pécheurs pénitents.
La montagne intuitiste n’est rien d’autre que le travail qui se cumule : un trésor inestimable. Même si cela pourrait apparaître dépourvu de logique verbale, l’intuitisme ne peut pas se pratiquer en dehors d’une application constante et opiniâtre, chacun dans son atelier : on ne s’improvise pas « artistes capables d’improviser » !

003_zorko77 - copie

Jean Zorko Nature verticale

Voilà, autour de ces trois mots — « fanciullino » « retour » et « montagne » —, auxquels j’aurais bientôt ajouté les autres deux — « jet » et « cosmos » —, on peut tout de suite entamer une petite confrontation avec les glorieux mouvements du XIXe et du XXe siècle :

Pour cette idée de retour au primitif… j’ai pensé aux Demoiselles d’Avignon…

Pour cet esprit spontané et anticonformiste… j’ai pensé au manifeste dadaïste…

Pour cet orgueil de la vitesse du geste… j’ai pensé aux futuristes, à leur provocation, au défi extrême et impossible qu’ils déclenchaient contre le pouvoir des « monstres mécaniques » en train de tout transformer de façon radicale…

Pour ce besoin de faire « tabula rasa » et repartir à zéro… j’ai songé à la rupture de l’art abstrait comme réaction alors salutaire à l’art figuratif devenu du jour au lendemain stérile et déplacé, survivant à lui-même.

004_J C Bemben lunaison 180

Jean-Claude Bemben La sirène

Toutes les époques ont eu besoin d’un mouvement antagoniste vis-à-vis des impositions d’une réalité au pouvoir grossière, brutale, ennemie de la fantaisie jusqu’à la destruction…
Cela entraîne une petite objection, que je ne peux pas omettre, qui pourtant m’aidera à faire évoluer la réflexion d’aujourd’hui : en général, les avant-gardes artistiques et littéraires se sont formées dans un contexte précis. Si l’impressionnisme et le surréalisme sont nés sans doute à Paris, le futurisme russe et le futurisme italien, liés entre eux d’une incroyable parenté, sont nés peut-être à Moscou ou à Milan, avant de se réfugier à Paris pour s’y transformer dans le but de survivre quelques années encore.
Mais déjà l’exemple de l’Art nouveau montre le contraire. Celui-ci a été un mouvement international à plusieurs facettes sur un fond d’inspiration commune. En Italie, par exemple, comme le dit Wikipedia, ce mouvement « adopte le nom générique de Stile Liberty (du nom du magasin londonien) à la fin du XIXe siècle. Au départ, influencés par l’explosion créatrice autrichienne (Sezessionsstil), britannique (Arts and crafts), française et belgo-néerlandaise (Nieuwe Kunst), les artistes italiens développent leur propre vision moderniste, s’ouvrant également à de nombreux créateurs étrangers. »
Sans compter le pop art nord-américain : son influence a été énorme en Europe et dans le reste du monde… Il y a bien sûr un lien et un échange international entre les différentes écoles et leurs maîtres, même si chacune d’elles reste ancrée à son territoire, à son contexte primaire d’inspiration et de vie…

000_Davido 1 180

Patrick Davido Une rencontre posthume ou aérienne

Mon rêve intuitiste

…J’étais donc dans les tréfonds du sommeil le plus inspiré lorsqu’une phrase s’est affichée sur l’écran blanc :

« L’intuitisme est POUR l’amour et la confiance, CONTRE les barrières entre les arts et les artistes ! Dès le début, l’intuitisme est ennemi de toute surcharge de justifications intellectuelles ! L’intuitisme tend à l’essence émotive, s’écartant de l’art abstrait tout court, qui privilège le côté rationnel de l’acte créatif ! »

Cet écran était dissimulé dans un inoubliable tableau-collage de Robert Rauschenberg, que j’avais admiré un jour dans le Musée d’Art contemporain du palais des Diamanti à Ferrare… Tout d’un coup, je me suis réveillé. Le rideau blanc de l’artiste avait disparu, avec tous ces mots et hiéroglyphes compliqués. Devant mes yeux écarquillés, une montagne s’affichait, solennelle et avenante.

006_haessler

Auguste Haessler Le miroir

Et voilà, je suis déjà en train de me promener dans une forêt épaisse où se nichent des citadelles fourmillantes de trésors… Au fur et à mesure que j’atteins la sortie du bois me frayant un chemin dans cette nature prodigieuse… je m’aperçois de l’existence de différentes populations d’artistes, installées depuis longtemps sur les flancs de cette montagne. Malgré leurs langages « spécifiques », ils cohabitent tout à fait pacifiquement, dans l’esprit du partage et de l’échange continu de leurs points de vue réciproques. D’ailleurs, cette inter-aide ne se referme pas dans une mentalité autarcique et méfiante envers l’étranger (ou « l’extraterrestre » que je suis) : une belle file de cailloux blancs a été déposée sur mon sentier, juste pour moi, pour m’aider à trouver plus tard la voie du retour.

007_feu dec 2006 bis

Franceleine Debellefontaine Le feu

Voilà. Je suis sorti du bois. Dans ce « limbe » entre colline et montagne, les cailloux blancs ne sont plus nécessaires. Devant une espèce de refuge alpin, un homme m’attend. Je suis invité, je partage avec le groupe assis à la longue tablée le pot-au-feu fumant, le vin rouge et la grappe italienne dont le patron au comptoir est très orgueilleux. La conversation est très stricte, essentielle et même abrupte, comme il convient aux gens de montagne :

« L’intuitisme « répond » à une nécessité reconnue par la plupart des artistes. Devant la réalité de nos jours, difficile et riche de suggestions à la fois, ce mouvement essaye de réagir, à travers la création d’un « grand fleuve fédératif », d’un gigantesque atelier de l’esprit créatif où l’art ne se soumet à d’autres disciplines qu’à la rigueur d’une création cohérente » ;
« le point de convergence de toutes les formes d’intuitisme est une sorte d’écologie de l’art se traduisant en défense acharnée de la spontanéité voire de la liberté de l’artiste, contre… »

Je n’ai pas entendu faire allusion à des ennemis ou des cibles, auxquels adresser une éventuelle critique.
Mais je pourrais ajouter que la plupart des artistes, intuitistes ou pas, vivent dans une condition pénible.
Non seulement au point de vue « professionnel », de la pleine reconnaissance de l’activité artistique dans le monde du travail en général, mais aussi pour une véritable « dictature » exercée par les artistes gagnants et leurs sponsors publiques et privées.
Ce qui trouble l’art n’est pas l’invention, la nouveauté, l’expérimentation, et cetera. C’est plutôt cette sorte de totalitarisme qui autorise l’existence — voire la survie, avec leurs élites de représentants — de certaines formes d’art seulement.
De façon implicite, sans recourir à la rhétorique et contre toute conceptualisation abstraite de l’art, les intuitistes soutiennent donc une bataille pour renverser cette condition d’immobilisme et, en même temps, pour encourager les gens à se former des paramètres de jugement tout à fait libres et indépendants.

008_cossutta 180

Franco Cossutta L’univers dans mon jardin

« Vous verrez qu’il y a trois diverses sensibilités parmi les peintres et sculpteurs intuitistes », me susurre l’homme que j’avais rencontré à l’entrée du refuge :
« — l’art s’inspirant au cosmos, aux archipels de l’inconscient, dont Franco Cossutta est l’un des représentants les plus significatifs (rien que pour cela, on pourrait le considérer comme le « père moral de l’Intuitisme ») ;
« — le retour au geste mécanique, où l’esprit intuitiste se rencontre, en tout cas, avec une formation d’atelier maîtrisée. Il suffit de regarder les œuvres de Michel Bénard pour constater une grande vitalité dialectique entre la « nouvelle liberté » de l’intuitisme et l’exigence de structures invisibles pour endiguer ou mieux diriger le geste à l’intérieur d’une grille psychologique de « contraintes stimulantes ». Pour cet artiste c’est la calligraphie, toujours sous-jacente dans ses œuvres, le motif central de sa recherche expressive ;
« — l’esprit ressuscité de l’art nouveau international, c’est à dire le retour à l’identité entre art et artisanat. Dans notre civilisation déchirée, en réaction à la reproduction répétitive, qui banalise tout, cela répond à la nécessité de défendre l’unicité et en même temps le caractère artisanal de chaque œuvre d’art qu’elle soit peinture, dessin ou sculpture. Ce sont surtout les sculpteurs, dont Jean Zorko et Franceleine Debellefontaine, qui s’imposent naturellement à la tête de cette composante expressive du mouvement… Mais aussi des peintres, comme Auguste Haessler, Eliane Hurtado, Jean-Claude Pommery, Gerard Stricher, Alain Béral, Nadine Amiel, Patrick Davido et Jean-Claude Bemben. Ce dernier nous a dit : « réhabilitons l’intuition avec la pensée, par les mains pour peindre ou sculpter… dans la liberté d’un enfant en prise avec le maniement de ses premiers crayons de couleur, et le choix spontané de couleurs qui lui plaisent un jour, puis s’exprime dans une autre harmonie le lendemain, guidé uniquement par son intuition…! » »

009_Bénard Michel 50

Michel Bénard Le soldat

Quant à moi, peintre et poète ordinaire et sans « —ismes », je sors sens dessus dessous de cette immersion cosmique et profonde dans l’univers « intuitiste », mais fort rassuré par la ferveur créatrice de cette multitude d’hommes et de femmes à l’esprit fraternel. Enthousiaste même, devant cette incroyable possibilité d’échange et de soutien réciproque. Je veux fêter cette rencontre avec une petite anticipation du troisième volet, prévu pour dimanche prochain. Une poésie intuististe de Barnabé Laye :

C’est la vie

Ça commence comme une caresse
Ça finit comme un couperet
Ça vient comme une acclamation
Ça finit comme une désolation
Ça vous pénètre comme une aiguille
Ça irradie comme une ivresse

Ça va
Ça vient
Au petit bonheur du jour
Pendule balancier
Imperturbable sablier
Aujourd’hui envol de grains de riz
Demain coulées de larmes amères

Ça va
Ça vient
Au petit bonheur la joie
Au petit malheur le deuil
Et ça s’incruste dans la peau
Au plus tendre de la chair
Et ça trace sur les chemins du pèlerinage
Des labyrinthes de blessures et de cicatrices
Et ça blanchit au niveau du cortex
Et ça s’accumule sur le vertex
Et ça s’arcboute sur des cannes de bois
Ça plie encore mais ne rompt pas

Ça va
Ça vient
L’automne et puis l’hiver
On n’y peut rien

Ça va
Ça vient
Berceau et puis tombeau

On dit que c’est la vie.

Bernabé Laye

(1) depuis Wikipedia : « …Pour les Occidentaux, le terme Sherpa désigne aussi les guides qui mènent les alpinistes sur les sommets himalayens et, par extension, en diplomatie, les hommes et femmes de l’ombre qui préparent les grandes réunions internationales de dirigeants. »
(2) Pascoli, Patrimoine littéraire européen, Vol. 12

Giovanni Merloni

010_intuitisme benard 001 180

(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

L’importance de la main et du geste : préparatifs pour une randonnée chez les « Intuitistes » I/III

10 mardi Mar 2015

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ 7 Commentaires

Étiquettes

Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau

001_mano muratore

Gian Lorenzo Bernini, fontaine des Quatre Fleuves, Rome. Autour de la main du Rio de la Plata, ouverte pour protéger la fontaine de la rage divine, il y a une anecdote liée à la rivalité connue entre Bernini et Borromini, architecte de l’église de Sainte-Agnes, piazza Navona, surplombant ladite fontaine : selon la légende, Bernini craignait l’écroulement de l’église, « mal » bâtie par son rival éternel. Photo de Giorgio Muratore, sur archiwatch

L’importance de la main et du geste : préparatifs pour une randonnée chez les « Intuitistes »

Mes chers lecteurs, suivant ma curiosité et mon admiration sincère, j’entame aujourd’hui une réflexion-reportage en trois étapes, que je vais consacrer à « l’intuitisme » ainsi qu’aux artistes et poètes « intuitistes ». J’essayerai là de vous offrir une représentation synthétique soit des œuvres les plus intéressantes que j’ai pu apprécier, soit de l’esprit original de ce mouvement par rapport aux principales tendances artistiques et littéraires contemporaines.
Mais avant de nous plonger dans le monde « intuitiste », je me suis posé une question préliminaire, à laquelle j’ai donné une première réponse.
Voilà la question : « Quel est le ciment idéal ou le noyau subliminal qui peut relier entre elles, dans un esprit commun, des sensibilités et personnalités parfois très différentes les unes des autres (comme il arrive de constater en examinant les parcours suivis par chacun de ses adhérents) ? »
Et voilà la réponse, que je vais tout de suite vous expliquer : « Dans ce monde où le dérèglement à tous les niveaux de la vie collective et sociale se cale aussi dans le fonctionnement intime de notre action quotidienne et de notre corps même, la récupération de nos attitudes manuelles est tellement nécessaire qu’elle assume une fonction stratégique et même révolutionnaire dans tout art ou expression qui revient à l’humain »…

002_reims 02

Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

Oui, j’ai renversé l’ordre logique de la présentation. Pour la raison suivante. Tous les manifestes des mouvements artistiques évoquent, parfois de façon seulement rituelle, la condition humaine et sociale, voire politique, de l’époque d’où leur provocation jaillit. Dans le manifeste des « intuitistes », cet élément m’a particulièrement intéressé par sa sincérité. Je crois d’ailleurs que c’est justement de là qu’il faut partir, de ce panorama du changement — que les artistes et poètes « intuitistes » évoquent et analysent de façon correcte et fouillée —, pour comprendre et apprécier, sinon partager leurs propositions.
Dans les prochaines étapes de notre voyage nous serons bien sûr plus légers et prêts à développer des confrontations entre ce « -isme » d’aujourd’hui et les nombreux « -ismes » qui ont rempli de passion notre fantaisie et notre amour pour la littérature et l’art.
Avant d’aborder une telle thématique et de procéder à une passerelle des auteurs les plus remarquables, je me dois d’une inversion méthodologique visant à interpréter les raisons et analyser les contextes qui ont déclenché « l’intuition de l’Intuitisme », c’est-à-dire l’exigence concrète d’un mouvement innovateur dans les domaines de la poésie et de l’art.

003_reims 03 180

Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

Dans la constitution de l’école « intuitiste », un mouvement collectif « ouvert » et basé sur un esprit vivement solidaire, on reconnaît d’abord la nécessité de réagir vis-à-vis de l’individualisme effréné caractérisant notre époque — aussi globalisée que paralysée — de graves régressions et crise de valeurs essentielles pour la démocratie et la civilisation. Même en Europe, dans des pays comme l’Italie et la France, par exemple — où vivent et travaillent la plupart des exposants et fondateurs de ce mouvement.
 Une crise économique et culturelle qu’on ne sait pas analyser ni combattre jusqu’au bout, où l’argent n’est pas la seule cause du progressif manque d’attention et de sensibilité envers la culture.
 Si en Italie, malgré les signaux récents de quelques changements au niveau politique, presque la totalité des maisons d’édition est désormais tombée dans les mains d’un seul propriétaire… en France on réduit progressivement les dépenses pour la Culture, oubliant peut-être le rôle propulsif qu’elle a toujours exercé dans la société et dans l’économie du pays. (Il suffit de citer l’énorme pouvoir d’attraction de Paris dans le monde, avec toutes les rechutes économiques et d’emploi dans les infinies activités culturelles, pour confirmer l’importance d’un défi auquel on ne devrait jamais renoncer. Sans compter les initiatives culturelles, théâtrales et la création de musées de grande envergure partout en France.) 
La culture est d’ailleurs une nécessité indispensable pour une société multi-ethnique comme l’actuelle, où l’arrogance de l’argent et les conflits non composés provoquent en eux-mêmes la destruction de la mémoire et la mortification pour la plupart des êtres humains cultivés et des artistes qui se trouvent en définitive coincés dans un sentiment d’impuissance et de solitude.

004_reims 04 180

Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

L’argent et le succès économique sont devenus, à présent, les seuls paramètres pour juger de la validité d’un artiste. Tout comme dans le monde du travail, une séparation nette se creuse entre ceux qui sont « dedans » et ceux qui sont « dehors ». Les artistes affirmés ainsi que les écrivains « adoptés » par les maisons d’édition les plus reconnues, pourvu qu’ils gardent encore quelques marges de manœuvre et de liberté d’esprit et de fantaisie, ils sont toujours assujettis à des règles de moins en moins orientées en fonction du respect de la « libre expression ».

005_reims 05 180

Panoramique de l’exposition des «artistes intuitistes» à Cormontreuil, février 2015
(ZORKO, JM BOUCHER, F Debellefontaine, sculpteurs  ; M BENARD, JC BEMBEN, A BERAL, JC POMMERY, A PERCY, peintres)

Au nom de la « libre expression » le 11 janvier 2015 des millions de citoyens sont descendus spontanément dans les rues et les places de France. Cela était fort approprié au cas de Charlie Hebdo, une véritable île de liberté et d’intransigeance dans le panorama actuel de l’information et de la production littéraire et artistique qui n’est pas partout cohérent et « ouvert » comme celle-ci. Évidemment, la situation de la France n’est pas la même qu’en Italie, pour rester en Europe. On y assiste pourtant à une révolution technologique de l’information et de l’échange de plus en plus répandu et même capillaire, où le support informatique devient sans trop combattre l’arbitre majeur de nos destins personnels et collectifs. On avance dans une culture de l’image virtuelle, que chacun puisse se fabriquer voire proposer ou imposer aux autres, risquant une progressive dévalorisation de l’image même, ainsi qu’une profonde modification des paramètres de la beauté et des innombrables nuances de la laideur possible.
On assiste et l’on participe d’ailleurs à une gigantesque bagarre « entre ordinateurs », armés les uns contre les autres, où personne n’est épargné par des sentiments, tout à fait illusoires, d’euphorie sinon de véritable omnipotence. On plonge dangereusement dans une époque pseudovirtuose ou chacun se prend pour un indispensable et talentueux passeur de relais primordiaux et de vérités révolutionnaires sans que cela ne corresponde aucunement à la réalité.

007_mano 180

L’individualisme, qui nous avait poussés à agir en nous exprimant « librement », s’est transformé désormais en solitude. Ou alors, dans le meilleur des cas, en solitude partagée par de petits groupes « d’amis ». Dans cet univers de plus en plus abstrait, où les réseaux sociaux offerts par Internet se proposent comme des alternatives éphémères au manque des lieux de rencontre traditionnels, il n’y a pas que cette sensation de perte progressive d’un contexte stable auquel se référer. L’ordinateur nous enlève le temps de la vie réelle et des rythmes basés sur les gestes dont on perd petit à petit l’habitude. Chacun de nous se sert de moins en moins de la main pour écrire ainsi que pour tracer des figures. Le clavier de l’ordinateur, de la tablette ou du smartphone devient au jour le jour les uniques expériences tactiles auxquelles nos mains sont conviées…

008_mano 180

Oui, bien sûr, dans les plus récentes tablettes, on essaie de donner aux doigts un rôle moins banal et répétitif. Mais là, tout se résume dans un rapport tactile amélioré entre l’homme et la machine. Dans les rares moments où l’ordinateur reste éteint, nous nous confrontons dramatiquement à la perte croissante de nos habiletés manuelles primordiales. Nous ne sommes plus capables de noter les rendez-vous sur les agendas en papier, perdons toujours nos stylos et ne sommes plus même capables de signer en souplesse le reçu du facteur.
La lutte (hypothétique et disproportionnée) que l’homme contemporain devrait engager pour sauver notre espèce de la perte de ses facultés primordiales (à partir de la réhabilitation de la main) se lie strictement à une lutte plus générale pour défendre la mémoire collective, la culture comme respect et réflexion sur le passé dans sa projection vers le futur.
Une lutte qu’il faut faire soit à l’intérieur des nouvelles modalités d’échange et de confrontations basées sur les moyens informatiques, soit à l’extérieur, dans la société réelle.
Une lutte qu’on ne peut pas conduire seuls.

009_mano 180

Pour un artiste le « programme » est encore apparemment plus dur à réaliser, tellement il est calé, âme et corps, dans le flux de la vie réelle et dans les conditionnements d’aujourd’hui.
Heureusement, les artistes, même les plus solitaires, ont tous dans leur bagage formatif l’idée de la construction artisanale de l’œuvre d’art.
Même s’il existe, depuis quelques années désormais, des systèmes informatiques formidables pour copier jusqu’aux détails les plus infimes, et reproduire ensuite les sculptures en n’importe quel matériel (comme on a fait par exemple avec la statue équestre de Marc-Aurèle près du Capitole à Rome), l’importance des mains est évidente pour le sculpteur qui veut créer quelque chose de nouveau. Il doit forcément se servir d’elles.
Le peintre aussi, s’il a du talent, ne pourra jamais s’adapter complètement à une création à l’écran d’un ordinateur. Il devra, en ce cas, partir quand même d’un dessin réalisé à la main. Sans compter les couleurs. Songer à une oeuvre d’art comme le résultat du « remplissage » des formes closes par les couleurs c’est bien sûr possible. Mais cela serait une forme d’abdication, à la longue inacceptable, non seulement de la part de la main réalisatrice, mais aussi de l’intelligence créatrice.
Pour le peintre, le support est toujours très important. Nous avons vu récemment le grand calligraphe Ghani Alani préparer lui-même des parchemins dorés ou des tissus de soie collés sur des papiers adaptés. D’ailleurs, la plupart des peintres ont besoin de créer des tableaux où les nombreuses couches de peinture donnent vie à des surfaces ondulées, creusées, sillonnées…
Voilà que les arts plastiques possèdent en elles-mêmes des antidotes ancestraux à la tendance actuelle à se passer de la main !
(Pourtant les magasins spécialisés pour les peintres et les sculpteurs ressemblent un peu à des musées, où des gens opiniâtres et anticonformistes s’obstinent à ranger les mêmes outils qu’utilisaient Rembrandt ou Edgar Degas…)

006_COR@INTUITISME 180

Michel Bénard et Franceleine Debellefontaine à Cormontreuil, février 2015

Cher Michel Bénard,
Je t’avais écrit des mots un peu improvisés en voyant tes belles photos de l’expo de Reims. Une petite élégie à la « main » et à cette nouvelle école « intuitiste » que je respecte et cherche petit à petit de comprendre et assimiler. Je crois que le geste créateur de l’artiste d’aujourd’hui doit nécessairement s’inspirer à quelque chose en dehors de tout ce que la technologie aveuglement nous impose.

Bonjour, Giovanni,
Oui ce fut une très belle et bonne exposition où la qualité était présente. Oui, mille fois protégeons-nous de trop de technologie qui réduit et aliène l’homme !

Il faut absolument réagir, Michel, à cette espèce de bureaucratie où les images sortant des ordinateurs jaillissent d’un appareil sans âme et surtout sans mains. Il faut récupérer l’usage des mains, pour écrire et peindre et penser mieux !

Oui, Giovanni, l’usage des mains et de l’esprit est primordial, la main est le plus bel outil du monde ! En tant que fils et neveu d’artisans qui m’ont formé, je sais de quoi je parle ! En fait, j’ai l’ esprit d’un compagnon.

Je crois que si les mains, ces indispensables alliées du cerveau parlaient, elles seraient favorables à une démarche « intuitiste », du moins pour commencer !

En effet, « l’intuitisme » est aussi le jeu libre des mains. Voilà Giovanni, ce que j’avais écrit à propos des « mains » du sculpteur : « elles ne sont pas innocentes. Elles symbolisent la profonde intégralité de l’homme, son résumé existentiel, elles contiennent en mémoire l’histoire passée, présente et future de la vie. Les mains sont des temples qui préservent les secrets de l’humanité, elles sont les livres de la réminiscence de la connaissance. »

Giovanni Merloni

« Pour un Art de l’Intuition »
(paru dans « Pour un Art de l’intuition » en 2003)

« Assez ! Aujourd’hui notre monde est souvent sclérosé par ses habitudes. L’art, quant à lui, est la jeunesse du monde. Il a tout à créer, tout à construire, tout à proposer. Nous revendiquons la liberté de nous imposer des règles, de nouvelles règles, quand nous le voulons et si nous le voulons !
Nous préconisons un art de l’intuition, art de la sensibilité s’exprimant avec spontanéité, une spontanéité qu’il n’est possible d’obtenir qu’après un long travail. Cessons de penser l’art comme une intention. N’appliquons plus de scénario dans le récit. Laissons faire l’intuition ! Du point de vue de la forme, la poésie doit pouvoir mélanger dans le même poème vers libres, vers en prose, versets et alexandrins, si elle le désire. Au nom de quelles habitudes a-t-on décidé que la sacro-sainte unité n’est réalisable qu’au sein d’un repère constant et monotone, l’utilisation d’un vers unique n’offrant pas l’image de la diversité harmonieuse ou chaotique du monde ? L’art de l’intuition se nourrit de doute et non de certitude. Il l’exprime sans intention, en allant à l’essentiel, c’est-à-dire d’abord en manifestant l’intuition, et non pas en cherchant à la reproduire. L’art intuitiste n’a rien à reproduire. Il se contente modestement de laisser l’intuition se manifester dans l’œuvre d’art. La manifestation de l’intuition naît du doute de l’artiste. La représentation de celle-ci naîtrait de sa certitude.
Osons une autre forme de peinture, ni figurative ni abstraite, mais intuitive, peinture sans netteté, née elle aussi du flou, du doute ou de l’éblouissement, de la fulgurance intuitive ! Il est temps de proposer une nouvelle esthétique. L’art en effet connaît une crise sans précédent. Si le talent permet de devenir un artiste, il ne suffit pas pour créer des œuvres dignes du passé. Le passé, plus ou moins consciemment, nous l’avons totalement rejeté pour faire peau neuve. Mais comment ? Arrêtons le massacre !
La poésie voudrait se démocratiser ! Bien. Elle rêve d’élargir le cercle ! Pourquoi pas ? Mais cela ne peut se faire n’importe comment. On ne sacrifie pas la littérature d’un pays par caprice. De la liberté avant toute chose, mais une certaine liberté, celle qui naît d’une réflexion en profondeur sur l’art et le langage poétique. Menons la avec modestie. Sachons reconnaître nos erreurs. Ayons recours au débat. Que l’art de notre temps soit assez ouvert d’esprit pour se remettre en question, qu’il s’engage pour défendre des idées essentielles : droit de l’homme, féconds échanges entre les cultures. Franchissons les frontières, toutes les frontières, à commencer par celles de l’intolérance. Associons même les arts ! Elargissons l’espace pluriartistique, cet espace où les arts se fiancent pour dépasser les anciennes frontières !
Nous disons que la voix de l’artiste n’est plus perçue à sa juste valeur, voix participant pourtant utilement à la vie de la cité. Au nom de quelles valeurs secondes et perverses ? Cela est grave. Excessivement grave. Nous disons halte à l’habitude, halte aux intolérances ! Les temps de l’art mimétique est révolu. Ne convoquons plus seulement les ciels de la vision. Ouvrons ceux de l’intuition ! »
Eric Sivry et Sylvie Biriouk, fondateurs du groupe artistique intuitiste, juin 1998

(Toutes les photos peuvent être agrandies en cliquant sur les images)

Michel Bénard : le geste médiateur et la soie du rêve. Franco Cossutta: au-delà du néant

14 dimanche Sep 2014

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ 9 Commentaires

Étiquettes

Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau

Avant les vacances, mes premiers « portraits du dimanche » consacrés aux poètes avaient concentré leur attention sur le thème de l’amour. Le premier invité avait été le poète Michel Benard, dont on avait « exposé », avec ses poèmes, quelques-unes de ses peintures. Dans le deuxième cycle qui démarre aujourd’hui, où le thème sera totalement libre, Michel Bénard est invité de nouveau. Cette fois-ci, ses poèmes seront commentés par les tableaux de Franco Cossutta, un peintre déjà apparu, lui aussi, une première fois sur ces pages.
Je ne pouvais pas me passer de faire rencontrer ces deux artistes sur mon blog. D’un côté parce que j’avais le sentiment d’avoir fourni une image vaguement incomplète de l’atelier de Franco, ainsi qu’une lecture trop rapide des textes de Michel : cela demandait une nouvelle attention de ma part. De l’autre côté, parce qu’ils sont de grands amis entre eux, et que cette amitié, occasionnée bien sûr par leurs affinités artistiques, se traduit en un déversement réciproque et incessant des expériences et des réflexions de l’un et de l’autre, qui sont devenues dans le temps un repère irremplaçable pour un vaste groupe de poètes et d’artistes en France et ailleurs. Michel et Franco ont sans doute beaucoup de points en commun dans leur façon d’être peintres, mais aussi la même approche directe et sensible à l’expérience quotidienne de la vie.
Leurs personnalités sont d’ailleurs assez différentes. Franco a toujours besoin de vous convaincre que la mort et la vie ne font qu’une seule chose, et qu’il vit bien dans cet « endroit de passage » où « l’on voit tout couler selon les mêmes lois qui règlent les étoiles et les planètes dans le firmament céleste ». Michel aime au contraire savourer les nuances de la vie, où les ombres et les lumières ne sont pas vraiment la conséquence d’une loi surhumaine, mais presque toujours de lois et attitudes très humaines. Il écrit sur l’amour comme le faisait Catulle ; il décrit les surfaces ondulées de la terre et des corps féminins comme le faisait Gabriele D’Annunzio ; il découvre et réinvente les suggestions de la langue française pour que le bonheur soit moins violent et que le malheur soit moins aride…

000_michel et franco

La rue des remparts de Montmirail s’est figée dans ma mémoire avec l’écho des pas de ce petit troupeau, dont je faisais partie, en pèlerinage à l’atelier de Franco Cossutta. En plus que ma femme, il y avait deux poètes, Michel Bénard et Jacques-François Dussottier (ce dernier aussi a été invité ici).
La maison, très simple, bien défendue par un chien fort chaleureux, affiche une attitude spartiate et rêveuse à la fois. Le rez-de-chaussée austère et obscur évoque moins l’atelier d’un peintre que la boutique d’un forgeron. C’est en montant à l’étage par l’escalier en bois qu’on commence à voir la lumière des tableaux de Franco ainsi que les éclats de la journée grise et verte. Dans une vaste salle, Franco nous accueille de sa façon extraordinaire, sans aucune barrière ni précaution dans le contact avec ses « amis ». Et, lorsqu’il parle de ses tableaux — parfois récalcitrants, la plupart du temps prêts à jaillir de ses mains comme une avalanche colorée —, on a la nette sensation qu’aucune séparation ne s’installe non plus entre l’artiste et le monde qu’il nous amène à travers ses tableaux.

franco 2 180

En imaginant de me transférer avec vous, par un seul battement des yeux, de l’atelier de Montmirail au pages tout à fait inconscientes de mon blog, je vous laisse dorénavant libres de lire Michel et regarder Franco selon votre sensibilité.
Je me réserverai, au fur et à mesure, juste une petite série de notations en marge de quelques extraits empruntés aux poésies publiées ci-dessous. Car, au-delà des émotions que ces vers vont provoquer en nous tous, j’aime m’exercer à reconnaître en chacune de ces treize poésies un aspect particulier de la personnalité riche et complexe de Michel Bénard. D’ailleurs, la présence des tableaux de Franco Cossutta n’aura pas qu’une fonction décorative. Car ils sont bien présents dans l’imaginaire de son ami poète et qu’il ajoutent souvent à ce qu’on lit de suggestions nouvelles, des pistes à parcourir ayant la force d’amplifier ou alors de condenser l’atmosphère toujours dense et tendue des poèmes que vous lirez.  

Giovanni Merloni

franco_01 180

Michel Bénard: le geste médiateur et la soie du rêve. Franco Cossutta: au-delà du néant

1. Je laisse glisser la soie du rêve

Je laisse glisser
La soie du rêve
Sur un délié blanc,
Vision d’un monde renversé
Aux reflets du miroir.
Tout n’est plus que transparence
En ce vaisseau fantôme
Battu par de pourpres flots,
Voilures spectrales en déchirure
Dans les quatre vents de l’espoir,
Etrange étreinte d’entre deux,
Noire exclamation,
Blanche interrogation.
Je laisse s’effacer
La soie du rêve
Sur un fil d’argent.

1. La première approche avec la poésie de M. B. est physique. Car il y exploite jusqu’au bout l’art de rêver des yeux ainsi que des mains lorsqu’il « … laisse glisser/la soie du rêve/sur un délié blanc… » (G.M.) 

franco_02 180

2. Cendres

L’œuvre se révèle issue
D’un chaos retenu
Dans des empreintes de terre.
Face aux mouvements
Permanents des foules anonymes,
L’homme porte son regard crucifié
Sur le flux des innocents perdus,
Qui déjà ne sont plus
Que cendres inconnues
En quête d’un temps qui n’est plus.
Le corps se recouvre de bandelettes,
La vie recèle une longue agonie
Aux rythmes cadencés des danses sacrées.
Temps fort d’un signe
Qui transcende les mots,
Se métamorphosant du vert au gris,
En passant par le rose premier
Des fruits gâtés du grenadier.

2. On reste toujours étonnés devant cet impressionnant art de décrire, qui est partout dans les textes poétiques et en prose de M.B. Et, ici : « que cendres inconnues/en quête d’un temps qui n’est plus… » (G.M.)

franco_03 180

3. Vers l’universel

Vers l’universel
Sur la ligne bleue
De la naissance du monde
La mémoire du ciel s’embrase,
Planètes furtives,
Ombres saturniennes,
Ebauche d’une pensée d’amour
En marge de la voie lactée,
Tout est subliminal, volatile,
Il convient alors de mettre l’or
De l’espérance en transhumance,
Pour que l’humain nous conduise
Enfin vers l’universel,
Au rythme des étoiles musiciennes.

3. Lorsque M. B. adresse un de ses poèmes à son ami Franco Cossutta, il nous révèle une disponibilité à peindre l’inconnu qui devient tout de suite un art. Car, tout en acceptant les récits de son ami à propos de l’au-delà, il ne cache pas son espoir d’en revenir : « Il convient alors de mettre l’or/de l’espérance en transhumance/…/au rythme des étoiles musiciennes. » (G.M.)

franco_04 180

4. Les passeurs de rêves

Les passeurs de rêves
Lorsque le ciel se dépose
En paillettes orangées sur le sable
Pour révéler mes signes
Endormis sous la cendre,
Avec plénitude je cisèle les traces
D’écume du visage favori,
Réinvente le geste médiateur
Entre l’homme et son image.
Lorsque la mer dépose
Sur tes seins enfiévrés
Ses cristaux de sel,
Dans le silence bleu nuit
Je rejoins les passeurs de rêves.

4. Peintre et poète de la vie, Michel Benard nous traîne et nous entraîne dans de longs tours et détours, comme s’il cherchait des lieux adaptés à héberger, parmi tous les souvenirs, celui qui le touche ou l’angoisse le plus. Voilà l’importance du « geste médiateur », voilà l’art de trouver un endroit où le souvenir d’un instant de vie ou d’un « visage favori » peut se cacher et se révéler en même temps : « Avec plénitude je cisèle les traces/d’écume du visage favori,/réinvente le geste médiateur/entre l’homme et son image. » (G.M.)

franco_05 180

5. Pour l’homme, sur ce fil tendu

Pour l’homme, sur ce fil tendu
Au-dessus des abîmes du monde
L’équilibre est instable.
C’est l’absence du temps,
Face à l’espace incertain.
C’est le dialogue avec les étoiles,
C’est l’archipel de la mémoire,
Seul passage possible
Vers l’île aux morts.
Au seuil de ce temple sidéral,
Avancer vers la connaissance,
Redécouvrir le signe,
Recomposer la lettre.
Au cœur de ce cénotaphe
L’homme a-t-il encore sa place ?
Le monde profané s’échoue
Aux pieds du poète consterné
Qui consulte les lames de l’oracle.
Il se perd dans ses livres
Et en oublie la signification de la parole.
Mais il s’offre encore le temps
De respirer le parfum des fleurs,
Et de préserver une main
Pour esquisser le galbe d’un sein
Et la courbe d’une hanche.

5. Homme parmi les hommes, M.B. a vécu et souffert, bien sûr. Dans un moment de sincérité indispensable, il déclare : « Pour l’homme, sur ce fil tendu/au-dessus des abîmes du monde/l’équilibre est instable. » C’est à partir alors de cette conscience que son art primordial demeure justement dans sa capacité de vivre en équilibre, de vivre artistiquement, poétiquement, plaçant la beauté (du monde, de la femme, de la vie) à la première place. (G.M.)

franco_06 180

6. Aliénant, éblouissant, l’Amour

Aliénant, éblouissant, l’Amour
Ce terrible fragment de vie
Que l’on porte
Comme une tache originelle
Incrustée à la peau,
Caressant l’instant du doute,
Agrandissant le cœur,
Erigeant la peur.
Alors, seul dans ce dépouillement
Au repli du bois,
Aller au plus profond de soi
Réapprendre les couleurs de terre.

6. Et pourtant, dans la poésie de l’intuition et de l’expérience qui est propre de M.B., la recherche du beau passe inexorablement par les fourches caudines de l’amour… Il faut savoir réagir à la violence destructrice de l’amour en allant « …au plus profond de soi/réapprendre les couleurs de terre. » Il faut savoir mettre en place l’art de la consolation à travers la poésie. Une consolation joyeuse, chez M.B. (G.M.)

franco_07 180

7. L’oiseleur

L’oiseleur de paroles, traqueur du verbe,
J’abandonne les fragments de vie
Aux sanglants épines du monde,
Retrouve dans le fruit des îles
Les saveurs de la chair matricielle,
Les stigmates menstruelles de la femme,
Comme un poème en délivrance
Gravé au fronton de l’abside céleste,
Pour un sourire qui s’offre à la mer
Face aux navires de pierre,
À l’heure où les ombres s’allongent
Et où la terre s’empourpre.

7. À côté des sentiments nobles, capables pourtant de nous tuer dans l’intime, il y a aussi, malheureusement, de destructions où le sentiment est absent, où la culture et la solidarité humaine sont absentes. En ces cas-là, l’art de la consolation à travers la poésie ne suffit pas toujours… L’homme M. B. nous chante alors l’art de ressusciter par le biais d’un nouvel espoir, d’un nouvel amour : « j’abandonne les fragments de vie/aux sanglantes épines du monde,/retrouve dans le fruit des îles/les saveurs de la chair matricielle,/les stigmates menstruels de la femme. » (G.M.)

franco_08 180

8. Ce soir le mystère de la femme

Ce soir le mystère de la femme
Se met en gésine
Dans les sombres profondeurs
Des soies de l’encre.
Sa grâce perle doucement
Sur le bout des doigts,
Son regard s’éprend de transparence,
Tout n’est plus que silence,
Emotion contenue,
Linéaire délicatesse.
Dans un transport magique
Le geste réintègre l’origine,
La racine de l’arbre de vie
Pénètre le cœur de l’éternité.

8. Au fond de cet art de ressusciter en redécouvrant l’envie de vivre, le poète et peintre M.B. exploite avec un grand talent son art de mettre en valeur la diversité entre homme et femme : « ce soir le mystère de la femme/…/…s’éprend de transparence,/tout n’est plus que silence,/émotion contenue,/linéaire délicatesse… » (G.M.)

franco_09 180

9. Terra Incognita

Terra Incognita.
En toi, j’ai défloré une « Terra Incognita »,
Sur son sable j’ai ramassé,
Tombée d’un arbre isolé
L’écorce grise,
La croix du Sud oubliée
Sur une piste touareg,
J’ai trouvé un coffret ciselé
Contenant le sel de la mer Morte,
Et la photo d’une indigène aux seins nus.
J’ai respiré les parfums opiacés
D’un triangle de soie rose et noire,
Je me suis brulé aux feux
D’une boucle obsidienne,
Dans le rouleau d’une vague d’écume
Ton visage en filigrane est apparu,
Avec ce reflet d’âme gitane.
En toi, j’ai fertilisé une terre inconnue,
Et respirant ton sang
J’ai repris goût à la vie.

9. Parfois, une épopée se déclenche, nécessairement floue, dans laquelle le poète M.B. s’adresse indistinctement à toutes les femmes, ainsi qu’à tous les endroits qu’il a frôlés en compagnie d’une femme ou pour l’amour d’elle… Au milieu de cette épopée il maîtrise tout à fait l’art de laisser jaillir un portrait net. Un seul. Le portrait d’une seule femme parmi toutes les femmes aimées : « dans le rouleau d’une vague d’écume/ton visage en filigrane est apparu,/avec ce reflet d’âme gitane. » (G.M.)

franco_13 180

10. Au cœur des ténèbres

Au cœur des ténèbres
Et des brumes visqueuses,
L’empreinte du temps s’interroge
Sur les ombres du passé.
Face au retour des effarés
Ployés sous l’hypocrisie
Des paroles mensongères,
Blessés par le fardeau
Des promesses vénales,
Le paysage devient irréel.
Au seuil du passage
Le sage seul attend,
Dans un champ de lumière
Le temps des résurgences.

10. Plus souvent, notre poète, perturbé et parfois annihilé par les tragédies qui éclatent partout dans le monde, essaie de pactiser avec la mémoire : « au cœur des ténèbres/et des brumes visqueuses,/l’empreinte du temps s’interroge/sur les ombres du passé. » (G.M.)

franco_11 180

11. Le monde s’est inversé

Le monde s’est inversé
Sur le miroir transparent
Des eaux matinales.
Impassibles sentinelles des écluses,
J’ouvre à deux battants
Les portes aux rêves fluviaux,
Qui reviennent de lointains
Pays aux immortelles légendes.
Je touche à l’ineffable
Aux impalpables transparences,
Aux images diaphanes,
À la femme de cristal.
En ce monde renversé
Je ne suis plus que fumeroles.

11. Il arrive cependant qu’il soit obligé de déclarer : « En ce monde renversé/je ne suis plus que fumeroles. » M.B. héberge alors dans sa poésie sensible et généreuse les tragédies insensées du monde contemporain. Dans sa contrariété il est toujours combatif. Fort de ses intuitions et prévoyances de poète il confie toujours que le monde s’en sortira. Mais parfois il faut s’asseoir sur la pierre nue et attendre. G.M.

franco_12 180

12. Le silence s’habille

Le silence s’habille
D’une chasuble de prières,
Mains jumelées,
En voute de cathédrale,
Gardiennes de l’unique
Point de lumière
Seul relai d’espérance
Au cœur de la nuit.
Le silence se met dans l’attente
Du miracle comme passage
D’un point de dérobade,
Franchissant et rapprochant
Des rives troubles de l’absence.

12. L’artiste M.B., comme tous les hommes, est seul devant tout ce qui se passe hors de lui. Il essaie d’accomplir sa mission avec enthousiasme et générosité. Au jour le jour, il se demande si cette chance d’être et de donner lui sera toujours accordée. Et, comme il peut, selon ses croyances et sensibilités, il prie : « mains jumelées,/en voute de cathédrale,/gardiennes de l’unique/point de lumière/seul relai d’espérance/au cœur de la nuit. » (G.M.)

franco_14 180

13. Demeurer dans la permanence

Demeurer dans la permanence
D’une observance insoupçonnée,
Traquer l’image intuitive,
Devenir attentif au moindre indice,
Du plus intime signe,
Furtif ou insolite.
Capter ce qui se voile au regard,
Le fixer, le pérenniser,
Conjuguer dans la fraction de seconde
L’objectif, le motif, la lumière,
Et l’instant d’un « déclic » frôler
L’éternité !

13. Dans ce dernier poème, se reliant naturellement au côté « intuitiste » de sa poésie, M.B. ne s’empêche de désirer de sortir un jour, pendant rien qu’un instant, de sa stricte et laborieuse destinée. Et voilà l’art de tendre vers un but invisible, en dehors de notre portée d’hommes : « conjuguer dans la fraction de seconde/l’objectif, le motif, la lumière,/et l’instant d’un “déclic” frôler/l’éternité ! »
Ce dernier poème représente un évident trait d’union avec cet « au-delà cosmique » des tableaux de Franco Cossutta, où se réalise, selon Michel Bénard même, « une communion avec l’infiniment grand et l’infiniment petit. Son regard intérieur nous place au seuil de l’innomé, de l’innommable et de l’ineffable. Par cela son œuvre devient intangible, intemporelle ! Dans la solitude méditative et le silence de son atelier cet artiste insolite communique avec l’univers, ce fait catalyseur, relai de transmission des lois que le principe universel lui insuffle. Face à une œuvre de Franco Cossutta nous transgressons toutes les notions artistiques habituelles, même les plus minimalistes ou conceptuelles. Ce voyage cosmique est peut-être la révélation inconsciente d’une nostalgie de l’ailleurs ! » (G.M.)

franco_15 180

Textes : Michel Bénard

Tableaux : Franco Cossutta

Commentaires : Giovanni Merloni

franco 1 180

Littérature par images : le phare de Claudine Sales

29 dimanche Juin 2014

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats, les échanges

≈ 9 Commentaires

Étiquettes

Artistes de tout le monde, Portrait d'un tableau

001_faro sotto vetro 180

Après une longue parenthèse consacrée à la poésie (la mienne ;  celle d’autres poètes vivants ou glorieusement disparus) je reviens timidement à la prose, pour vous raconter, de la façon plus simple et dépouillée que possible, d’un tableau.
Je veux dire le tableau que vous voyez ci-dessus, que Claudine Sales m’a affectueusement donné lors de sa récente visite à Paris.
Je suis l’activité artistique de Claudine depuis plus qu’un an et je pense avoir saisi le motif central ainsi que le sentiment de fond qui pousse cette peintre autodidacte à avancer dans un travail de plus en plus cohérent et engageant. Et pourtant, je ne sais pas bien comment exprimer les émotions que ses tableaux suscitent en moi.
J’essaie de m’expliquer, et d’expliquer aussi, indirectement, par le biais de cette observation passionnée, pourquoi j’ai considéré comme « timide » mon retour à la prose d’aujourd’hui.
Je crois qu’à la base de toute œuvre artistique ou littéraire il y a toujours une solitude. Une détresse profonde de l’âme, une nécessité désespérée et pourtant très vivante de briser cette condition de solitude même — qui est surtout une condition psychologique — à travers une fouille acharnée qui s’accompagne à une réinvention du monde. Une fouille dans notre réalité personnelle, mais aussi dans la réalité du monde où nous habitons, qui nous entoure. Une réinvention… parce que le vrai artiste ajoute toujours quelque chose d’universel et d’unique qu’il puise dans son talent et son âme.
Claudine Sales fouille avec cohérence et acharnement dans un univers aussi tangible que mouvant, en train de changer toujours, et pourtant solide avec ses lois et ses comportements typiques. C’est l’univers de la mer, des fleuves, du ciel, mais aussi de la ville. Une série de paysages qui « correspondent » à ce que tout le monde peut voir, reconnaître et mettre en comparaison, et pourtant s’en détachent vivement, en raison d’éléments uniques, en plus, qui en font des œuvres d’art.
On pourrait bien sûr ranger les tableaux de Claudine Sales en fonction des différents « sujets » traités. Mais cela serait une abstraction bureaucratique. Car il peut arriver qu’une forte parenté s’installe entre la représentation d’une plage envahie par les flaques de la marée basse et le ciel nuageux assumant parfois de formes bizarres qui racontent des histoires. Il peut arriver, d’ailleurs, que deux tableaux ayant le même sujet et concernant le même lieu ne se présentent pas comme deux frères jumeaux. Au contraire, ils s’éloignent l’un de l’autre comme deux cousins de deuxième ou troisième degré.
Donc, il y a quelque chose que Claudine ajoute à la beauté d’une reproduction fidèle et passionnée. Une touche invisible, que j’avais perçue déjà à travers les photos des tableaux sur son blog « colors and pastels ». Cette touche assume une évidence encore majeure lorsque je me trouve, comme à présent, devant un tableau réel, finalement en condition de montrer toute sa beauté physique.
Je reviens un moment au thème de la solitude. Cette condition existentielle ou de travail est souvent moins une condamnation qu’une aspiration. La plupart des peintres, d’ailleurs, aiment beaucoup travailler seuls, éventuellement assistés par une radio toujours allumée. Moi, par exemple, je n’ai aucune difficulté à peindre au milieu d’un lieu habité, où les voix s’entrecroisent comme des courants d’air, mais je vis tout cela avec un esprit constant, où ma solitude (projeté dans le travail) cohabite avec la solitude des autres, sauf des échanges tout à fait superficiels. Je crois que le peintre, quand il a son pinceau, sa palette et son rectangle vide devant, il n’a besoin de rien. D’ailleurs, le monde qui coule en dehors de sa fenêtre, ainsi que le monde plus loin, qui court au trot sur le fil de l’actualité de Twitter ou de Facebook, c’est une compagnie, pour lui. Une compagnie, d’ailleurs, aussi inquiétante que nécessaire. L’artiste a besoin de participer, même si d’une oreille distraite, à tout ce qui se passe dans la planète ou dans les grandes et petites communautés qui le concernent de près. Cela ne l’empêchera pas d’avancer, petit à petit, avec son Œuvre.
Lors de sa venue à Paris avec sa famille, Claudine m’a expliqué son parcours et aussi certaines idiosyncrasies qu’elle a mûri dans le temps. J’ai finalement compris l’importance, pour elle, d’un rapport strict — idéal et affectif — avec la littérature. Cela a été marqué au commencement par un échange très riche et productif avec Isabelle Pariente Butterlin et son blog « aux bords des mondes »… Un rapport du même type se réalise aujourd’hui, de façon plus systématique, dans la collaboration très vivante de Claudine Sales avec Francis Royo, témoignée par le nouveau blog « contrepoint ».
Quel est le rapport entre la littérature — penchée vers la philosophie dans le cas d’Isabelle Pariente Butterlin, exprimée en poésie par Francis Royo — et la peinture de Claudine Sales ? Qu’est-ce qu’elle trouve d’enrichissant dans ses quotidiens rapports avec les différents interlocuteurs flottants avec elle dans la quotidienneté de la Toile ? Quel rapport y a-t-il entre la toile réelle de Claudine et la toile virtuelle où nous tous allons, tous les jours, chercher des petites certitudes ou consolations ? Là où, au contraire, nous ne trouvons — hélas très souvent — que le miroir de nos angoisses ?
Et voilà la petite idiosyncrasie de Claudine, que je partage tout à fait. Nonobstant la valeur objective de ce qu’elle fait ainsi que de l’intérêt que ses tableaux rencontrent de plus en plus, elle n’a pas envie d’exposer, ni de s’engager vraiment dans une dimension commerciale de son activité : « Chez moi, au Luxembourg, il n’y a que l’art abstrait ».
Voilà un problème qui s’éternise. À côté de la virtualité « merveilleuse » que le numérique nous fait presque toucher de la main, le monde ne change aucunement. Rien ne brise les idées reçues ni les convictions enracinées comme d’inébranlables tabous.

002_faro di claudine iPhoto 180

En regardant le phare « poétique » de Royan se reflétant avec le ciel nuageux dans la plage envahie par flaques de la marée basse, je me demande comment l’on peut baptiser « figuratif » ce tableau, ou aussi peinture impressionniste. J’y trouve beaucoup plus que cela. Cette œuvre reflète, peut-être, la lecture de la « promenade au phare » de Virginia Woolf. Ou alors les contes de Maupassant ainsi que des films dramatiques comme « La fille de Ryan » ou « Loin de la foule déchainée ». Il y a pourtant, de toute évidence, un « ressenti » émotionnel qui va bien au-delà du rapport visuel avec le paysage réel autour du phare. On a même l’impression que plusieurs « temps » se déroulent dans la même image. Les tableaux de Claudine ne ressemblent pas du tout à des photographies. Ils représentent des émotions, des sensations, d’une façon toujours touchante et parfois choquante aussi. L’art de Claudine c’est un « art qui raconte » et « invente » aussi. Un art qui exprime dialectiquement soit le monde extérieur que le peintre prend en charge, soit le monde intérieur que le peintre même fait déclencher comme dans une action théâtrale où le spectateur est invité à monter sur le plateau, à se promener pieds nus sur les planches parmi les fils électriques et les décors.
Dans les tableaux de Claudine je retrouve aussi la littérature des lettres, des cartes postales, des petits billets que maintenant substituent les vieux systèmes postaux. Je parle évidemment des messages téléphoniques, des mails, des tweets, et cetera. Une espèce de courant parallèle, qui brise notre solitude quotidienne, en nous faisant participer à d’autres vies en dehors de la nôtre, en nous donnant aussi la nécessaire nonchalance pour nous exprimer dans un état de suspension adapté à la création artistique.
Bien évidemment, si cela peut fonctionner pour la peinture (ou la sculpture aussi), la scène change complètement si l’on parle d’écriture. Et je reviens, finalement, à la question de la timidité. Je me suis en fait rendu compte, en me mettant personnellement en jeu, qu’il est presque impossible de publier des textes littéraires « en temps réel » sur un blog. On peut, avec beaucoup de précautions, essayer de présenter des choses qui ont déjà eu une exploitation et un temps d’oubli, comme mes poésies, par exemple. Il est au contraire très dangereux publier ses émotions au jour le jour. Parce que les réactions des lecteurs ne peuvent pas laisser indifférents les auteurs. Au moins qu’ils ne se soient pas complètement détachés de leur « créature ».
Ces mêmes considérations m’amènent d’ailleurs à affirmer que la peinture peut bien être exposée en cours d’œuvre, donc en temps réel. Car elle se base sur un langage tout à fait différent, où chaque tableau ou dessin est conçu par l’auteur et vu par l’observateur comme un « fragment ». Comme une partie d’un travail à long terme ou d’une personnalité plus ou moins complexe qui ne peut se réduire à un seul objet. Tandis qu’il arrive fréquemment que le jugement sur une seule page écrite — même si c’est le résultat d’une extraction depuis un corpus plus vaste — devienne à jamais le jugement dernier sur la personne voire sur l’écrivain qui en est l’auteur.
Je reprendrai bientôt cette question qui me touche directement. Mais je crois que pour chaque exploitation littéraire la dimension du livre ne peut pas être contournée. Il faut donner au condamné à mort le temps au moins de se défendre.

003_faro 02 iPhoto 180

Je termine cette divagation avec un dernier regard au phare de Claudine. À partir de ce tableau, je considérais, jusqu’à hier, possible de m’aventurer dans un conte ou récit fidèle à l’esprit de l’auteur. Je crois maintenant qu’il n’y a qu’à se placer devant cette œuvre, chacun avec sa sensibilité, son histoire et ses idiosyncrasies. On sortira toujours émus et enrichis d’une expérience inattendue. Il n’y a d’ailleurs qu’une seule personne capable de décrire et représenter par mots ce que disent les différentes couches de couleur ainsi que le dessin au graphisme invisible. Elle s’appelle Claudine Sales, elle vit au Luxembourg et j’ai eu la belle chance de la rencontrer, ici à Paris, un des premiers jours du mois de juin.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 29 juin 2014

CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS

Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.

Rire, danser, aimer sur de vieilles ritournelles avec Nadine Amiel

20 dimanche Avr 2014

Posted by biscarrosse2012 in commentaires et débats

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

d'Écrivains et d'Artistes, Poètes et Artistes Français, Portrait d'un tableau, Portraits de Poètes

HUGUETTE ET MOI

« Nous avons déjà connu l’auteur Nadine Amiel, comme romancière, comme plasticienne, voilà qu’elle nous livre aujourd’hui un aspect plus intime de sa personnalité, « la poésie » confidence princière dans le silence de la nuit. » Michel Bénard, lauréat de l’Académie française ainsi que vice-président de la Société des poètes français, poète et peintre, avait introduit par ces mots affectueux le recueil de poèmes Un amour, un cri de Nadine Amiel, dont j’ai extrait aujourd’hui quelques vers assez représentatifs.
Tout en essayant de ne pas me faire influencer par la sympathie de Nadine et aussi par l’allure apparemment insouciante de ses vers — comme si les mots n’eussent pas le pouvoir d’arriver au cœur des joies et des douleurs de la vie ; comme si en définitive les mots mêmes devaient assumer juste une fonction de trait d’union ou d’accompagnateur dans le voyage vers la vérité — je me suis pourtant aperçu que des fleuves de chagrin et de douleur inexprimable coulent au-dessus de cette surface joyeuse.
Heureusement, la vie n’est pas que douleur. Elle vient nous secourir avec des fantômes souriants ou des anges gardiens qui nous aident à trouver une consolation dans les souvenirs des jours heureux…
Cette recherche de « complices bienveillants » se trouve aussi bien dans les poésies que dans les tableaux de Nadine Amiel, qui apparemment avance à la recherche d’un apaisement intérieur auquel a priori elle ne s’autoriserait pas. Elle a tellement souffert qu’elle semble demander la permission avant de savourer même une miette de bonheur. C’est en raison de cet esprit primordial qu’elle partage sans transition les maux qui touchent aux peuples affligés par la détresse, la violence et les guerres. « Ce cheminement plus intime », écrit justement Michel Bénard, « nous met en présence de deux mondes parallèles, celui où l’amour obtient le dernier mot dans une sorte d’évanescence parfumée et celui d’un constat plus sombre qui mettrait en évidence l’agressivité des peuples qui par leurs croyances mèneraient le monde à annihiler tout espoir de paix. Mais si au-delà de la parole, sorte de chrysalide fragile, naissait l’éclosion d’un espoir tel un miracle possible ! et si par le verbe se manifestait la renaissance ?! ».
En parcourant les vers légers et poignants de Nadine, on découvre qu’à côté de la nostalgie d’un passé familial et amical révolu où trône la figure primordiale de Huguette, sa sœur chérie, s’impose la nostalgie de l’amour dans le plein sens du terme ou, pour mieux dire, la revendication des souvenirs secrets qui restent collés de façon ineffaçable dans le fond de son cœur.
Voilà que l’art plastique et la poésie donnent enfin à Nadine l’outil indispensable pour s’exprimer et se libérer en même temps : « Par ce modeste recueil : Un amour, un cri », conclut Michel Bénard, « l’auteur traduit par la poésie ce que sécrètent son âme et son cœur . »
Je suis très heureux de vous présenter, juste le jour de Pâques, cette artiste et poète dont j’aime la force de vaincre son naturel retrait, ainsi que le poids lourd de la vie quotidienne. Par des gestes joyeux qui savent briser les rideaux de l’humaine indifférence.
Giovanni Merloni

D_Charmes de Printemps  H. 15P  50X65

Rire, danser, aimer sur de vieilles ritournelles
avec Nadine Amiel (1)

(« Un amour, un cri », Editions les Poètes Français 2013)

Vous êtes parti en mer mon amour
Pour un voyage au long cours
J’attends déjà votre retour
Je pense à vous tous les jours

Nostalgique je marche à travers champs
Je suis à l’écoute des oiseaux et du vent
Votre image me hante à chaque pas
Votre voix raisonne mais je ne l’entends pas

Sur mon épaule un oiseau ce matin s’est posé
Il m’a parlé de vous avec un air osé
J’ai reconnu là vos propos aimants
Que vous m’offrez si souvent

Ce que j’aime en vous, vous le dirai-je un jour ?
Peut-être quand vous serez de retour
Ce moment hélas est encore loin
L’océan vous y retient à pieds joints

Je vous aime et mon âme inquiète
Rend mes nuits solitaires et muettes
Je rêve du jour où nous serions heureux
Tel est le plus doux de mes vœux

Huguette et moi avec des rubans (poème)

Il fait nuit. Nous descendons sur la plage
Sous la voûte céleste planent de sombres nuages
Plongés dans nos obscures pensées
Pensifs sur l’horizon nos yeux sont rivés
Au loin se détache un somptueux éclair blanc
Une silhouette gracile avance vers nous à pas lents
Son voile léger vole et danse dans le vent
Ses frêles épaules dénudées des perles à son décolleté
Elle s’est assise pieds nus sur le sable mouillé
Et nous dit : Je suis la marchande de rêves…

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Où est le temps où nous étions enfants

Où est ce temps où nous étions heureux

Toi, ma presque jumelle

Toi ma grande de si peu
Te souviens-tu de ces jours heureux

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Il m’arrive de penser à cette île merveilleuse
À ces contes et ces histoires fabuleuses
Que nous contaient nos livres d’enfants
C’était un réel enchantement !

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

À l’abri des intrus et des princes abusifs
Nous voguions joyeux dans ce monde fugitif.

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Elle a disparu notre île. Elle se cache quelque part
Elle nous apparaît dans une sorte de brouillard

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Je t’entraînerais vers notre refuge enfoui dans les bois
Nous répèterions notre serment de bon aloi

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Tu verras comme la vie sera belle
Contre moi tu te blottiras la rebelle
Nous chanterions nos amours d’enfants
En nous souvenant de nos rêves charmants

ADR_tango argentin. H. 12 P 61 X 46

Que faisiez-vous Mademoiselle
Au temps où vous étiez enfant
Jouiez vous à la poupée où à la marelle
Avez votre amie Isabelle

Lisiez vous des contes marrants
Qui mettent en boîte les méchants ?
Dessiniez vous des fleurs au printemps
Comme les enfants de votre âge souvent ?

Du rouge à lèvres en mettiez vous
Et des rubans à vos cheveux roux ?
Vous grimiez vous comme votre maman
Pour ressembler au princesses d’antan ?

À présent vous dansez au son de l’accordéon
Le 14 Juillet place de l’Odéon
Accompagnées de vos princes charmants ?
Que de beaux rêves en attendant !

T_coiffe marocaine

Qui es-tu, femme de l’Univers ?
Toi qui fascines les hommes
Qui les séduis et les étonnes
Toi qui inspires les poètes
Ces âmes sensibles et secrètes
Nous diras-tu, femme, ton mystère ?

On dit que je suis mystérieuse
On dit aussi que je suis rieuse
Que je rends jaloux les hommes
Que je trouble leur somme
On me dit perverse aimant la vie.
Et parfois on me maudit

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Depuis tous les soirs il lui joue des aubades
Elle, assise au piano, lui répond par des ballades
Leurs cœurs battent à l’unisson. Ils se quittent au petit jour
Quand nous reverrons nous mon troubadour ?

J’attendrai que vous soyez grande ma princesse
Soyez patiente je vous couvrirai alors de caresses
Je vous surprendrai au haut de votre tour
Et vous aimerez tout au long de mes jours.

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Souviens toi nous nous étions aimés
À la campagne un beau matin d’été
Tu m’invitas au manège le soleil était présent
Je m’en souviens encore souvent

Moi timide, toi osant, le lendemain
L’air confiant tu me pris par la main
Vers un tunnel obscure dont j’ignorais l’issu
On dévala les méandres d’une montagne bossue

Après ce slalom saisie par l’ivresse je fus transie
J’eus même un vertige et toi tu as souri
De l’ombre à la lumière mes mains sur mes yeux
Me sentant piégée je t’en voulus un peu

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

C’était un soir de la St Valentin
Il m’emmena loin de chez moi
Dans une guinguette de son choix
On se connaissait à peine…

Il m’avait dit que j’étais belle
Que le souvenir serait éternel
C’était… Un soir de la St Valentin
C’est si loin… je m’en souviens à peine

♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠  ♠

Nos rêves à peine ébauchés, nous devions nous quitter
Dans le ciel les prémices de l’automne s’annonçaient
Un doux baiser sur la joue, main dans la main, souriants
Nous repartions le cœur plein de cet amour naissant…

F_Repos du Joueur de Banjo

Tu es ronde et tu tournes
Depuis la nuit des temps tu tournes
Est-ce là ta seule mission ?
Tu ne t’arrêtes à aucune borne
Ton parcours est immuable et morne
Imperturbable tu tournes !

Tes tremblements, tes orages, ta foudre
Nous paniquent et nous tuent
Toi, terre notre mère
Toi, qu’on dit hospitalière
Peux-tu être insensible à la laideur ?
Pourquoi ces guerres, ces morts, ces leurres ?

005_nadine k001 180

Que de rêves au bout de mes doigts
Je regarde, plein d’images au fond de moi,
Mes pinceaux qui sont posés là
Ils m’attendent tels de petits soldats…

Sur le chevalet la toile s’achemine
Mes pinceaux de joie s’illuminent
Ils caressent la toile qui fleurit
Ils sont depuis longtemps mes amis
Ma main les suit, j’apprécie leur magie
Que d’instants sublimes quand tout est réunit
Quand l’esquisse devient lumière et nous sourit
Je pose mes pinceaux la toile est finie !

Nadine Amiel

(1) Cette phrase de Michel Bénard a été empruntée pour le titre de l’article.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 19 avril 2014

CE BLOG EST SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS

Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transposé.

← Articles Précédents
Articles Plus Récents →

Copyright France

ACCÈS AUX PUBLICATIONS

Pour un plus efficace accès aux publications, vous pouvez d'abord consulter les catégories ci-dessous, où sont groupés les principaux thèmes suivis.
Dans chaque catégorie vous pouvez ensuite consulter les mots-clés plus récurrents (ayant le rôle de sub-catégories). Vous pouvez trouver ces Mots-Clés :
- dans les listes au-dessous des catégories
- directement dans le nuage en bas sur le côté gauche

Catégories

  • écrits et dessins de et sur claudia patuzzi
  • commentaires et débats
  • les échanges
  • les portraits
  • les unes du portrait inconscient
  • mes contes et récits
  • mes poèmes
  • mon travail d'écrivain
  • mon travail de peintre
  • poésies de claudia patuzzi
  • textes libres

Pages

  • À propos
  • Book tableaux et dessins 2018
  • Il quarto lato, liste
  • Liste des poèmes de Giovanni Merloni, groupés par Mots-Clés
  • Liste des publications du Portrait Inconscient groupés par mots-clés

Articles récents

  • Le livre-cathédrale de Germaine Raccah 20 juin 2025
  • Pasolini, un poète civil révolté 16 juin 2025
  • Rien que deux ans 14 juin 2025
  • Petit vocabulaire de poche 12 juin 2025
  • Un ange pour Francis Royo 11 juin 2025
  • Le cri de la nature (Dessins et caricatures n. 44) 10 juin 2025
  • Barnabé Laye : le rire sous le chapeau 6 juin 2025
  • Valère Staraselski, “LES PASSAGERS DE LA CATHÉDRALE” 23 Mai 2025
  • Ce libre va-et-vient de vélos me redonne un peu d’espoir 24 juin 2024
  • Promenade dans les photos d’Anne-Sophie Barreau 24 avril 2024
  • Italo Calvino, un intellectuel entre poésie et engagement 16 mars 2024
  • Je t’accompagne à ton dernier abri 21 février 2024

Archives

Album d'une petite et grande famille Aldo Palazzeschi alphabet renversé de l'été Ambra Anna Jouy Artistes de tout le monde Atelier de réécriture poétique Atelier de vacances Avant l'amour Barnabé Laye Bologne en vers Caramella Cesare Pavese Claire Dutrey Claudia Patuzzi d'Écrivains et d'Artistes Dante Alighieri Dessins et caricatures Dissémination webasso-auteurs Débris de l'été 2014 Décalages et métamorphoses Entre-temps Francis Royo François Bonneau Françoise Gérard Ghani Alani Giacomo Leopardi Giorgio Bassani Giorgio Muratore Giovanni Pascoli il quarto lato Isabelle Tournoud Italo Calvino Jacqueline Risset Jeanine Dumlas-Cambon Journal de débord La. pointe de l'iceberg La cloison et l'infini la ronde Lectrices Le Strapontin Lido dei Gigli Luna L`île Mario Quattrucci Noëlle Rollet Nuvola Ossidiana Pierangelo Summa Pier Paolo Pasolini portrait d'une table Portrait d'un tableau Portraits d'ami.e.s disparu.e.s Portraits de Poètes Portraits de Poètes, d'Écrivains et d'Artistes Poètes et Artistes Français Poètes sans frontières Primo Levi Roman théâtral Rome ce n'est pas une ville de mer Solidea Stella Testament immoral Théâtre et cinéma Ugo Foscolo Une mère française Valère Staraselski Valérie Travers vases communicants Vital Heurtebize X Y Z W Zazie À Rome Écrivains et Poètes de tout le monde Écrivains français

liens sélectionnés

  • #blog di giovanni merloni
  • #il ritratto incosciente
  • #mon travail de peintre
  • #vasescommunicants
  • analogos
  • anna jouy
  • anthropia blog
  • archiwatch
  • blog o'tobo
  • bords des mondes
  • Brigetoun
  • Cecile Arenes
  • chemin tournant
  • christine jeanney
  • Christophe Grossi
  • Claude Meunier
  • colorsandpastels
  • contrepoint
  • décalages et metamorphoses
  • Dominique Autrou
  • effacements
  • era da dire
  • fenêtre open space
  • floz blog
  • fons bandusiae nouveau
  • fonsbandusiae
  • fremissements
  • Gadins et bouts de ficelles
  • glossolalies
  • j'ai un accent
  • Jacques-François Dussottier
  • Jan Doets
  • Julien Boutonnier
  • l'atelier de paolo
  • l'emplume et l'écrié
  • l'escargot fait du trapèze
  • l'irregulier
  • la faute à diderot
  • le quatrain quotidien
  • le vent qui souffle
  • le vent qui souffle wordpress
  • Les confins
  • les cosaques des frontières
  • les nuits échouées
  • liminaire
  • Louise imagine
  • marie christine grimard blog
  • marie christine grimard blog wordpress
  • métronomiques
  • memoire silence
  • nuovo blog di anna jouy
  • opinionista per caso
  • paris-ci-la culture
  • passages
  • passages aléatoires
  • Paumée
  • pendant le week end
  • rencontres improbables
  • revue d'ici là
  • scarti e metamorfosi
  • SILO
  • simultanées hélène verdier
  • Tiers Livre

Méta

  • Créer un compte
  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • WordPress.com
Follow le portrait inconscient on WordPress.com

Propulsé par WordPress.com.

  • S'abonner Abonné
    • le portrait inconscient
    • Rejoignez 237 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • le portrait inconscient
    • S'abonner Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…