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Photo Merloni, reproduction interdite

L’INFINI de Giacomo Leopardi
(traduction de Giovanni Merloni)

Toujours me fut si cher ce mont sauvage,
Et cette haie qui pour une si grande part
Du dernier horizon la vue m’exclut.
Mais si assis je regarde, d’interminables
Distances au-delà d’elle et des silences
Surhumains, et les profondeurs du calme
Dans l’esprit je me peins, d’où pour un rien
Mon cœur va s’épeurer. Et quand j’entends
Le vent bruire entre ces plantes,
Ce silence infini à cette voix
Vais comparant : je me souviens alors de l’éternel,
Des saisons mortes, de la présente
Encore vive et du son d’elle. Ainsi, dans telle
Immensité se noient toutes mes pensées
Et le naufrage m’est doux dans cette mer.

Petite digression sur l’infini/1

Après une interruption plus longue que prévu, le « portrait inconscient d’une table » réapparaîtra bientôt sur ces écrans avec la vraie histoire de la mort du père de Giovanni Pascoli, les difficiles adolescences parallèles de Pascoli et Zvanì, jusqu’au dénouement du mystère des noms des participants à la veillée de Sogliano-al-Rubicone, il y a cent ans, en 1913.

Cependant, dans ma proverbiale sincérité, je me vois obligé à expliquer au lecteur et à la lectrice du « portrait inconscient » les raisons de cette rupture.

La principale a été la maladie qui a touché mon amie Catherine. Elle va bientôt s’en sortir, bien sûr, mais cela n’a pas été ce qu’en Italie on appelle « la route du potager ». La pauvre, harcelée par une grippe dure, ne pouvait même pas rejoindre l’ordinateur pour lire mes lettres ou me lancer un signal que ce soit. Je me suis arrêté. Je ne pouvais pas faire semblant qu’elle me lisait quand même, ou le faire croire à vous qui me lisez avec confiance.

Cela a entrainé, évidemment, plusieurs réflexions sur le sens (et aussi le contre-sens) d’une écriture comme ça.

J’en ai parlé franchement avec Catherine, lui demandant si je pouvais, exceptionnellement, la remplacer pendant quelques jours… elle a dit oui, bien sûr, mais je n’ai pas trouvé d’emblée quelqu’un qui pouvait me soutenir avec le même enthousiasme aveugle qu’elle. Je ne dis pas que Catherine est bienveillante a priori, ce n’est pas ça… Mais, effectivement, vous allez la connaître, car je vous en ferai bientôt le portrait, Catherine est capable de s’aveugler lorsqu’elle estime une personne… ou pour mieux dire ce qu’une personne fait : contre mon avis incertain, Catherine a toujours insisté sur l’utilité de cette recherche. Selon elle, la mémoire d’une certaine Italie peut intéresser quelqu’un, même plusieurs…

Voilà la première raison de cette rupture.

Mais, il y en a une autre. Je peux garder plusieurs secrets, les révéler plus tard, au moment donné, attendre que le tableau soit achevé… Mais je ne peux plus taire le point essentiel, le nœud gordien — l’Aleph peut-être — où toutes les routes mystérieuses de mon existence se croisent et se mêlent dans une pelote très embrouillée.

Un lieu. Un lieu qui d’ailleurs n’a pas vraiment une énorme personnalité et importance, sauf pour moi, peut-être. Ce lieu se trouve à Sogliano, juste en dehors de cette sombre maison où le dîner qui fête mon grand-père Zvanì ne cesse de se dérouler. Un lieu d’ailleurs fort ensoleillé, brûlant de soleil, m’obligeant, après quelques minutes d’étourdissement, à rentrer à la hâte dans cette maison, à demander à mes tantes-cousines de refermer les volets des fenêtres, à me retrouver dans une sensation identique à celle que décrit si poétiquement François Mauriac toutes les fois qu’il parle de son été à Malagar ou des sombres histoires de familles plongées dans la chaleur des Landes….

Ce lieu « incliné » à l’orée du village n’est que le bout d’une anonyme route montante, la même qui a inspiré un incontournable poème de Pascoli, longée par une très simple balustrade en fer forgé… Au-delà de cette balustrade, on peut se réjouir d’un panorama toujours changeant, aussi abrupt qu’heureux. Ma chère Romagne, je pense à toi à la veille d’élections terribles, cent ans après celles qui amenèrent Zvanì à la Chambre des Députés du très jeune Royame d’Italie… Je m’amuse à rechercher les couleurs des collines et des villages… tandis que là-bas une Babel déchirante envahit les discussions et meurtrit les espoirs. Non, je veux croire que mon pays s’en sortira, que la moitié généreuse et responsable de cette nation coupée en deux sera capable de convaincre l’autre moitié, égoïste et aveugle, à reprendre le chemin vertueux d’une construction graduelle, partagée, honnête, dans le respect de ce merveilleux territoire et des trésors d’art et de culture que tout le monde nous envie.

Voilà, mes chers lecteurs pour la plupart français, vous aussi concernés par ce qui se passe dans le pays voisin (votre cousin), je vous ai avoué les raisons de mon silence, que je vais rompre, aujourd’hui, pour entamer une petite, mais nécessaire digression.

Comment parlerai-je de la balustrade de Sogliano et de son rôle central et dramatique dans la suite des événements qu’on y narrera sans faire mention de Leopardi, Foscolo, Goya et Mauriac ?

J’entame ma première petite digression d’aujourd’hui par une énième tentative de traduction du texte poétique plus important de la littérature italienne moderne : « L’infinito » (« L’infini ») de Giacomo Leopardi (1798-1837). Je le fais dans la pleine conscience de mes limites. Mais, en même temps, conscient aussi de la nécessité d’une provocation. Je me suis en fait convaincu qu’il est vraiment très difficile de traduire une poésie d’une langue à l’autre. Par exemple, vous ne le croirez pas, mais c’est presque impossible traduire « Le bateau ivre » en italien. J’ai essayé plusieurs fois et toujours abandonné, même si j’ai la présomption d’en avoir cueilli la musique et le rythme. En tout cas, je crois que seulement un écrivain, un véritable poète peuvent arriver à cela. C’est un énorme travail créatif et sauf des exceptions il faut se méfier de la traduction d’entières anthologies. Par un travail long et immense, Jacqueline Risset, qui est sans doute une poète, a su faire ça, arrivant à traduire la « Divina Commedia » de Dante (1265-1321). Mais, Dante, grâce à ses symboles, à ses allégories et sa solide structure narrative, peut se traduire peut-être plus facilement que Leopardi. Celui-ci s’exprime par des mots très simples, qui ont d’ailleurs leur place précise dans le texte, toujours fortement évocateur de valeurs profondes et universelles.

Ce serait surtout fautif la traduction de Leopardi au pied de la lettre. Car il faut toujours garder quelques piliers…

Dans un poème qui commence par « Sempre caro mi fu quest’ermo colle » il ne faut surtout pas traduire « caro » avec « tendre », peut être plus correspondant dans la stricte signification. On peut trouver d’autres termes pour les autres mots, mais « caro » est le point d’appui de ce premier vers et, je crois, de tout le poème.

En même temps, par exemple, le mot « haie » ne tient pas debout, au point de vue du rythme musical, comme traduction de l’italien « siepe » (une « balustrade végétale »). Je crois qu’ici s’adapte mieux le mot « charmille », inventé par Mauriac pour décrire sa haie de Malagar, qui a d’ailleurs la même fonction de « filtre » entre l’observateur (assis) et l’infini.

Je vous parlerai demain plus à fond de cette poésie, où l’on découvrira aussi des emprunts évidents des « Lettres de Jacopo Ortis » d’Ugo Foscolo (1778-1827), un autre Italien que les Français devraient absolument connaître…

Giovanni Merloni

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Photo Merloni, reproduction interdite

L’INFINITO di Giacomo Leopardi

Sempre caro mi fu quest’ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell’ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e rimirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo, ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando: e mi sovvien l’eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s’annega il pensier mio:
E il naufragar m’è dolce in questo mare.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni Première publication et Dernière modification 23 février 2013.

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