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Textes libres

« On naît, on essaie de faire quelque chose… et l’on meurt ! » (La pointe de l’iceberg n. 9)

29 samedi Déc 2018

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Edoardo Romano Perna, Vladimiro Arangio-Ruiz

Août 1955, Mon oncle Dodo à Cortina d’Ampezzo

« On naît, on essaie de faire quelque chose… et l’on meurt ! »

Aujourd’hui, 29 décembre 2018, s’il était encore vivant, mon oncle Edoardo Romano Perna, affectueusement appelé en famille « zio Dodo », accomplirait ses premiers cent ans.
Il s’agissait d’un homme unique, auquel j’ai toujours été profondément attaché, qui avait de sa part une sincère bienveillance pour moi.
À la veille de sa mort, en octobre 1988, il m’avait indiqué le coin de sa bibliothèque où il avait tant bien que mal fourré ses cartes les plus intimes, que je récupérai plus tard, en 1995, lors de la disparition, douloureuse aussi, de « zia Antonia ».
Pendant cette trentaine d’années, je n’ai fait pas grand-chose par rapport à ce que mon oncle attendait de moi, quitte à transcrire ses quelques lettres et en faire un provisoire « journal posthume » qui demande encore du travail pour que la mémoire de ses pulsions et de ses rêves ne soit pas maladroitement abîmée.
La difficulté que j’ai eue à parler de lui vient surtout du fait que mon oncle n’était pas qu’une personne charismatique dans le contexte de notre famille ou de nos échanges réciproques. Il n’était pas non plus qu’une personne douée de grande fantaisie et créativité ainsi que d’une vaste culture littéraire et philosophique. Il était un homme public. Un sénateur de la République. Un membre majeur du Parti communiste italien. Un ancien partisan ayant eu un rôle central dans la Résistance à Rome.
Il était d’ailleurs un homme politique assez particulier : un intellectuel. Il était en train d’entamer une brillante carrière universitaire, quand il prit la décision, un jour, de consacrer sa vie à cette idée de « faire le possible », d’abord pour affranchir de la misère les classes plus démunies, ensuite pour bâtir, avec l’ensemble des forces démocratiques, une société « plus juste » : ce que le Parti communiste de Palmiro Togliatti prêchait énergiquement et sut enfin imposer, malgré les innombrables obstacles que la Démocratie chrétienne et ses alliés fidèles ne cessèrent de lui opposer !
Né en 1918 et décédé en 1988, la vie d’Edoardo Romano Perna a presque coïncidé avec la fulgurante et tout compte fait brève parabole du communisme en Europe, débutée avec la glorieuse Révolution de l’octobre 1917 et terminée en novembre 1989 avec l’écroulement du Mur de Berlin.
Et, chose bien plus triste que paradoxale, la dernière partie de la vie de mon oncle a été sinistrement frôlée par le nuage noir de Tchernobyl, qui a été, peut-être, le responsable du mal qui l’a emporté.
Le jour où il me convoqua chez lui pour me confier ses « papiers privés » il me dit qu’il avait peur de mourir. Puis, tout d’un coup, il formula sa plus profonde vérité : « On naît, on essaie de faire quelque chose… et l’on meurt ! »
Dieu seul sait ce que « zio Dodo » a fait pour son pays et en général pour les autres.
Ses camarades ou collègues d’autres partis au Sénat l’ont commémoré comme l’un des piliers les plus solides auxquels s’ancrait l’activité législative ainsi que la discussion quotidienne, ayant au centre le sens de responsabilité du Parlement face aux citoyens et à la défense de la démocratie.
Quant à moi, j’essaierai de faire sortir de leur état suspendu les souvenirs que je garde de lui et chemin faisant de transmettre et interpréter les quelques documents ou textes originaux qu’il m’a laissés. Et bien sûr il sera content de recevoir mon hommage en français, une langue qu’il connaissait très bien et laissait s’imposer à l’improviste dans nos inoubliables réunions familiales :

Auprès de ma blonde,
Qu’il fait bon, fait bon, fait bon.
Auprès de ma blonde,
Qu’il fait bon dormir !

Août 1955, Mon oncle Dodo à Cortina d’Ampezzo avec ma tante Antonia

Dans le but de faire connaître la personnalité de mon oncle, réservé et récalcitrant en famille tout comme, je crois, dans le vaste et compliqué monde de la politique, je me passe, pour l’instant, de sa biographie et des traits caractéristiques de son portrait humain, et commence brusquement par un document tout à fait particulier.
Je vous parlerai plus tard du grand arbre d’où mon oncle est issu, notamment de la famille de ma grand-mère Agata dont j’ai déjà parlé quelquefois dans « le portrait inconscient ». Aujourd’hui, vous aurez affaire à un frère cadet de celle-ci, Vladimiro Arangio-Ruiz, l’oncle préféré de ma mère Pia, avec qui elle partageait son amour pour la littérature et la réflexion inattendue. Professeur universitaire d’italien et de philosophie à Florence et Pise, « zio Vlado » faisait bien sûr partie de la génération qui avait participé, jeune, à la Première Guerre et avait dû ensuite exploiter son travail sous le régime de Mussolini. Homme libre et intransigeant, toujours attentif à ne pas se faire contaminer par les mauvaises habitudes du régime au pouvoir, même s’il se professait libéral, Vladimiro Arangio-Ruiz pourrait être de ces temps appelé « humaniste ». Un homme ouvert vers le futur et prudent à la fois.
Il était très affectionné à son neveu Dodo, fasciné par sa brillante intelligence et sa curiosité sans bornes pour les questions littéraires et philosophiques dont il s’occupait. Au lendemain de la Libération, avec l’adhésion de ce « neveu rebelle » au Parti communiste, les discussions se multiplièrent dans cette famille très unie où l’estime réciproque n’était pas moins importante que l’affection sincère liant les uns et les autres.
Lors de leurs disputes politiques, très vivantes et parfois douloureuses, j’imagine bien le Dodo communiste passionné et tranchant — que j’ai vu plus tard discuter avec mon père, socialiste, par exemple — en train d’affronter son oncle Vlado, pas moins passionné, qui était alors affecté par une hypertension tellement grave qu’il ne pouvait quitter son lit lorsqu’il accueillait ses parents et amis en visite…
Or, parmi les papiers que Dodo m’a transmis, il y a une coupure de journal très intéressante : « lettre ouverte à un ami communiste ».
Je connaissais déjà l’existence de cette lettre, publiée sur « Il Giornale d’Italia » du 13 septembre 1949, quelques mois après la disparition de ma grand-mère Agata Arangio-Ruiz. Malgré la perte de sa sœur aînée, ô combien aimée, qui laissait sans doute son benjamin aussi dans la plus profonde détresse, la vivacité du débat politique ne cessait pas de se produire entre Dodo et Vlado ! Je vous laisse lire l’article.

Giovanni Merloni

1927, de droite à gauche, ma grand-mère Agata, son frère Vincenzo,
son père Gaetano et ses autres frères Vladimiro, Valentino et Vittorio Arangio-Ruiz

LETTRE OUVERTE À UN AMI COMMUNISTE

CHER AMI,
Ta lettre, ô combien agréée et attendue, je t’avoue, avec une certaine anxiété ; cette lettre, ainsi courtoise envers ma personne, ainsi cruelle envers mes idées, ta lettre m’a sur le coup — c’est le mot — frappé, et un peu, comme il arrive, attristé. Tiens, je me disais, la distance, la séparation qui peut se produire entre deux galants hommes, deux collègues, deux amis. Deux qui, plus ou moins, ont la même préparation, et envers plusieurs choses, essentielles, les mêmes goûts : faits, dirait-on, pour s’entendre ! Ensuite, comme il arrive aussi, je me suis calmé, rasséréné. Ce qui m’a rasséréné, c’est une pensée qui elle aussi m’est arrivée soudainement à l’esprit ; une pensée qui m’a fait rire cordialement, bruyamment, même si j’étais seul. Il m’est venu à l’esprit ce personnage de Molière, je ne me souviens plus duquel ni de quelle comédie il s’agissait ; à un certain moment, celui-ci dit : « Je dis toujours la même chose, parce que c’est toujours la même chose ; et si ce n’était pas toujours la même chose, je ne dirais pas toujours la même chose ». Une boutade très drôle, très juste, très amusante, qui me paraît (je ne sais pas bien pourquoi) de goût rabelaisien, que j’appliquais, libéralement et également, à toi et à moi. Parce qu’en fait tous les deux, c’est bien vrai, nous disons toujours les mêmes choses, toujours immobiles, tous les deux, sur les mêmes positions.
Mais au-delà de cette immobilité qui m’a fait si cordialement rire, il y a dans ta lettre, hélas, d’autres choses aussi. Il y a… à mes yeux, bien entendu… Et l’un de nous deux, de cela on n’échappe pas, c’est le meilleur, — ou alors meilleure c’est l’idée qu’il professe; objectivement meilleur ; et donc il a tout le droit et la dignité et la capacité de juger ; et pour moi, c’est moi le meilleur ; tandis que pour toi, au contraire, c’est toi, et avec quelle terrible assurance tu l’affirmes ! Dans ta lettre — que je garderai comme document d’une maladie, d’une épidémie qui attrape aussi (ou de préférence), je vois, les meilleurs —, il y a, esquissée de façon magnifique et exemplaire, cette mentalité nouvelle qui vous appartient tout à fait. Mentalité qui — pour parler net — m’est odieuse, répugnante ; mentalité que franchement, honnêtement je méprise. En force de laquelle donc, avec vous, il est inutile de parler : ce serait du temps gaspillé et même pire. Parce qu’enfin vous ne voulez pas, ne pouvez pas, ne devez pas nous écouter ; vous ne pouvez, ne voulez, ne devez écouter que vous-mêmes. Parce qu’à n’importe quelle chose qu’on vous dise autrement, vous ne pouvez pas, ne savez pas, ne devez pas prêter oreille (entre les trois verbes que les maîtres de la grammaire appelaient « serviles », vas-tu à découvrir lequel est le juste. Juste étant sans doute leur mélange, d’ailleurs caractéristique d’une certaine mentalité). Et vous ne voulez pas, ne prenez pas le soin de nous écouter, tandis qu’en dehors même de l’autorité de vos maîtres, vous avez forgé de vous-mêmes, pour votre usage, avec une délectation extrême, une « liste des livres interdits ». Et tous les livres figurent désormais parmi les livres interdits, tous moins un, ou alors moins deux ou trois. Pour quelle raison ? Parce qu’en vous occupant de nous, en nous écoutant, vous perdriez cette connaissance, cette vérité que vous avez conquise, ou alors vous risqueriez de la perdre. Il s’agit donc d’un concret que nous avons depuis longtemps perdu, que nous allons perdre en tout cas. En face de vous, si « concrets », nous serons toujours des enfants éternels (pour qu’on nous accorde, du moins, la bonne intention), d’éternels grands dadais.
Est-ce que vous dites pour de bon ? Sais-tu, mon cher ami, comment elle s’appelle cette mentalité ? Quel est le nom qu’on doit donner à cette attitude de n’écouter que vous-mêmes, qu’une seule voix ? Ce manque de soin, ce manque d’écoute pour les autres, parce que vous connaissez bien leurs lubies et finalement celles-ci ne peuvent ni ne doivent plus vous intéresser ? Cette épouvantable fermeture, sais-tu, mon ami, quel nom elle porte ? Dans l’un de ses écrits, la lettre à Coen, Manzoni définit et condamne magnifiquement cette mentalité. Cherche ces mots, lis-les ! Sauf si vous classez Manzoni aussi parmi les bons à rien et les dépassés qu’il vaut mieux ne pas approfondir, ne pas lire. Tandis qu’au contraire, si vous le lisiez à fond, il est bien possible que cela suffise à vous montrer l’absurdité et la partialité de votre concret. Cela pourrait vous défigurer.
Au contraire, moi — libéral — je vous lis, je vous écoute. Parfois, je dois vaincre une certaine répugnance, mais chaque jour je lis l’Unità, et souvent Vie Nuove, Società, tous les mois Rinascita. Et, je dois le dire, combien de choses ai-je apprises de vous ! Sans vous et, disons-le bien, sans votre pression, je ne ressentirais pas la nécessité de la « justice »; je ne souffrirais pas, comme j’en souffre, de la gravité insoutenable de certaines différences, de la monstruosité de certaines injustices.
Ce que tu dis (tu quoque), cher ami, c’est une chose, crois-moi, spectaculaire, épouvantable, et exemplaire. Voilà pourquoi je garde ta lettre ; et, une fois ou l’autre, pour son caractère de paradigme, je la commenterai. Mais, pour la commenter, il ne me suffira pas d’un article ni d’un essai. Il me faudra un volume. D’ailleurs, tout ce que j’écris, quand j’écris, est désormais consacré au commentaire de cette mentalité excessive, monoculaire, partielle, qui d’une petite vérité fait, tout simplement, le tout, et court tout de suite aux extrêmes. Il s’agit d’une mentalité pour laquelle plus rien n’existe au milieu, que vous avez choisie, que vous avez imposée à vous-mêmes. Une mentalité que tu adoptes, parmi les autres, et avec toi beaucoup d’hommes d’intelligence et de culture, tant de jeunes parmi les meilleurs que j’ai connus (les extrêmes, on le voit bien, possèdent en eux un terrible attrait). Et chaque fois que je commente cette mentalité, je ne peux pas éviter désormais d’en faire sentir toute l’erreur et toute l’horreur que j’y vois. C’est la même chose qui m’arrivait pendant le fascisme où tout ce que j’essayais sérieusement de dire et écrire — versus erat — c’était forcément antifasciste ; ainsi m’arrive à présent avec vous. Et il arrive à vous aussi, je vois, de parler de politique, d’art, de philosophie. Et pardonne-moi si j’ai dit ce que j’ai dit, si j’ai fait cette confrontation. Excuse-moi, mais c’est ainsi. Et je sais bien quelle différence y a-t-il entre le fascisme et votre « -isme » : le vôtre c’est une chose tragique, mais sérieuse, ayant en tout cas le but de faire une justice ; tandis que celui-là n’était qu’une tragique mascarade. Je vois maintenant que même mon Sophiste (le sophiste de Platon) est consacré au combat de cette mentalité. Il s’agit d’un texte contenant un passage pour lequel je me suis adressé à toi, à ta compétence, un texte dont j’ai longuement discuté avec toi. Et bien, ce texte combat certaines démesures, certains excès et des manques d’humanité. C’est une lutte que dans le Sophiste (auquel — ce n’est pas une boutade — j’ai travaillé pendant à peu près dix ans) je combats avec le Maître, avec Platon. Même si, contre le vieil ami Platon, me découvrant surtout ami, il faut le dire, de la vérité, je me suis vu obligé à combattre le dogmatisme, le naturalisme. Des choses plaisantes et intéressantes, tu verras que tu aimeras aussi, du moins à certains égards.
Une seule observation particulière. Tu dis que c’est une ridicule renonciation au concret celle de Jèmolo, et, si tu veux, la mienne… En fait, mon commentaire à un essai de Jèmolo, publié sur ces mêmes colonnes, est à l’origine de notre dispute : tu dis que nous nous dérobons à la lutte rien que pour défendre certaines lubies… Et non, cher, il ne s’agit pas de lubies, mais de choses bien concrètes, concrètes comme le besoin et la faim — même si c’est sûr, j’en suis bien d’accord qu’il faut d’abord vivre, et après l’on peut philosopher. Tu dis que nous osons même dire : — il vaut mieux demeurer seuls ; c’est sans doute mieux ! et que nous en éprouvons le désir. Et tu dis qu’il faudrait comparer notre « renonciation » à la fameuse taquinerie que fit un mari à sa femme pour la faire enrager… Il s’agit d’ailleurs d’une très vieille comparaison, toujours efficace et jolie… mais cela n’est pas pour moi, puisque moi, je le répète, je demeure toujours pleinement dans le concret. Et bien si notre renonciation est risible et méprisable, je me demande qu’est-ce qu’ils sont votre activisme et votre concret.
Cela amène les hommes, la majorité des hommes, à une invalidation, à une émasculation collective, que plusieurs subissent avec du plaisir même (il arrive cela aussi, au monde), — exception faite pour les gens du parti qui détient la dictature et pour les dictateurs du parti dictateur. Peux-tu m’expliquer tout cela ? Ou alors s’agit-il encore d’un éhonté mensonge, d’une bagatelle idiote ? Vous êtes capables même de dire que cette invalidation, oui, on ne peut pas la nier, mais c’est une chose, hélas, nécessaire dans un premier temps, et provisoire. Bien sûr, provisoire ! Et toi, reste ici à nous attendre, Calandrin ! (1)

Me vient à l’esprit ce qu’on dit justement de la rédemption. Après laquelle, comme après chaque conversion, s’engendre, dans l’âme du converti, une force dans l’amour et dans la pratique du Bien qui n’existait pas avant ni aurait pu y être. Le doute, la victoire sur le doute sont en fait salutaires ; tandis que la plupart des missionnaires font partie de ceux qui ont douté. Non, ça c’est sûr, ceux qui ont toujours été braves et bons comme papa et maman les avaient voulus. Mais de ceux que papa et maman ont renvoyés, à un certain moment, à se faire bénir. D’ailleurs, il est bien clair que cela doive se passer ainsi. S’il n’avait pas été ainsi, si tous les enfants avaient été toujours de braves enfants attachés au père et à la mère, il n’y aurait même pas été le Christianisme. On était encore à l’ère païenne ou même au fétichisme ou alors… laissons tomber ! Cependant, si l’on considère comme vrai ce qu’on disait à propos de la bonté et de la nécessité de la conversion et de la rédemption (et, même si cela n’arrive pas bruyamment, toute personne bien est, de quelque façon, un redent, un converti), je me demande si pour cela un père voudrait que sa fille fît provisoirement la… traviata, ou que son fils, avant, faisait le voleur. Ce que serait aussi un éloge de l’hérésie que vous n’admettez pas, que vous condamnez. Toujours, bien entendu, provisoirement ; ou jusqu’à l’eschatologie de la disparition définitive du mal du monde, jusqu’à l’unification de tout le monde. Utopie, uchronie (2), bien majeure que l’unification envisagée par le pauvre Dante.
Toujours est-il que, comme je dis une fois malignement, vous ne comprenez plus ces mots à nous. Et vous ne voulez pas les comprendre, parce que vous êtes naturellement ou, comment dis-je ? sub-volontairement « bouleversés » (pour répéter le terme utilisé dans mon article). Et vous ne les comprenez pas parce que dans la « nouvelle société » que vous préparez (oui, à une société nouvelle ou renouvelée, on aurait tous pour de bon le devoir de penser, mais avec un autre esprit, une autre mesure — : vous riez bien sûr de la mesure), en cette société nouvelle, vous serez les geôliers et non les détenus, ou du moins vous aspirez à ce rôle de geôliers. Tout comme Platon (tu vois, cher ami, que je te mets en bonne compagnie), qui est geôlier et non détenu quand il se laisse conduire par l’imagination et la méditation à ordonner toutes les invalidations et les saletés qu’il ordonne. Sans s’en apercevoir. (Tout cela arrive dans La République, dont je veux publier une anthologie bien soignée : cela pourra être une chose très instructive)

Dans quelques jours nous nous verrons, dans quelques jours, tu me promets, nous nous rencontrerons. Ce que nous nous dirons, je ne le sais pas. Ce qu’il arrivera, qui sait, avec le cœur que nous avons ; ayant la chance de n’être pas diplomatiques, tous les deux : ce que nous avons dans le cœur, nous l’avons sur la bouche.
Ce sera ce que ce sera. Mais je suis bien heureux de la rencontre, et toi aussi, je l’espère.
Avec beaucoup d’amitié et de cordialité
ton
Vladimiro Arangio-Ruiz

15 janvier 1983, Mon oncle Dodo lors de mon second mariage

(1) Calandrin est un personnage très naïf du Decameron de Giovanni Boccaccio, qui, entre autres, avait cru à l’existence d’une pierre appelée “elitropia” : une pierre au pouvoir extraordinaire : n’importe quelle personne qui la porte sur elle ne peut pas être vue par aucun de ceux qui regarde là où cette personne n’est pas.

(2) Le mot est inventé par Charles Renouvier, qui s’en sert pour intituler son livre Uchronie, l’utopie dans l’histoire, publié pour la première fois en 1857. L’« Uchronie » est donc un néologisme du XIXe siècle fondé sur le modèle d’utopie (mot créé en 1516 par Thomas More pour servir de titre à son célèbre livre, Utopia), avec un « u » privatif et, à la place de « topos » (lieu), « chronos » (temps). Étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas.

A ou Autrement II/II (alphabet renversé de l’été 2013 n. 33)

19 samedi Oct 2013

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Héloïse, Palladio, Paolo Perrotti, Spazio psicoanalitico

A mur blanc Abélard 480

Je ne me rappelle pas les mots exacts que Paolo Perrotti utilisa dans son intervention inoubliable. Nous étions au centre de Rome, dans le siège de l’ancienne Bourse — un édifice bâti à la même époque et dans le même style de la Bourse de Paris ou de celle de Bruxelles —, juste au dos des plus anciens « Burrò » (les bureaux…), édifices gracieux et apparemment fragiles qu’un architecte « rococo », aussi génial que bizarre, avait réalisés sous la suggestion, je crois, du théâtre de Palladio, comme de véritables décors en perspective, juste en face de l’église baroque de Saint-Ignazio. « Cela est d’ailleurs une caractéristique de la ville de Rome », me disait un jeune architecte, assistant lui aussi au Séminaire titré Anonymat et Responsabilité. « Son incontournable beauté est due surtout aux strates des époques successives, ainsi qu’aux ruptures, que le temps et l’immobilisme des habitants de Rome réussissent toujours, de quelques façons, à badigeonner ». J’aurais voulu protester : c’était la lumière unique de Rome la véritable panacée ! Cependant, l’architecte ne s’arrêtait pas : « examinez le contraste entre l’église et les petits immeubles tordus, c’est déjà un chef d’œuvre du hasard. Mais, lorsque vous vous faufilez dans ces ruelles de service reliant la place à la Bourse, vous traversez en quelques mètres de distances énormes sans vous en apercevoir ». « À qui le mérite ? Au hasard anonyme ? À la responsabilité grossière de quelques papes ou cardinaux ou nobles corrompus ? » Je voulais lui répliquer, mais déjà un des intervenants avait entamé son thème. En me voyant perdu, l’architecte me prêta son Rapidograph à l’encre de Chine en me lançant son défi. « Prenez des notes ! »

L’un après l’autre, les intervenants donnèrent vie à un forum extraordinaire, surtout pour moi qui entendais pour la première fois ce langage nouveau de la psychanalyse s’acharner sur les personnages de la mythologie et de la littérature. Freud et Ulysse, Bion et le Minotaure…

paolo perrotti

Paolo Perrotti (1926-2005)

Tout en glissant cet art de l’inconscient dans mes doigts, j’avais désormais rempli le petit cahier aux feuilles blanches que j’avais trouvées sur ma chaise, lorsque Paolo Perrotti, l’homme aux cheveux blancs dont personne ne pouvait contester le charisme, d’une voix extrêmement faible et presque inaudible, s’exclama : « les conclusions au séminaire… pourraient y être ou ne pas y être… »
Il y avait un silence vraiment miraculeux et l’on entendait quand même la contrariété de la plupart des présents. Tout le monde s’attendait à un de ses exploits, où l’intérêt scientifique du sujet se serait bien sûr enrichi de cette ironie, de ce goût de la surprise, de l’inattendu… Mais on aimait aussi ses qualités d’imitateur des voix, des dialectes, des personnalités les plus diverses, son talent d’acteur qui ressortissait toujours au milieu d’une divagation inspirée et tout à fait imprévue.
Cette petite douche froide fit encore plus relever la gêne généralisée que successivement la dernière intervention entraîna sans remède. Mais, qu’est-ce qu’il dit, celui-là ?
Même l’architecte, qui avait été jusque-là respectueux et impassible, avait réagi d’un geste vulgaire.
Finalement, juste au moment où les gens étaient en train de se lever et qu’un sourd vacarme commençait à se diffuser, les conclusions arrivèrent.

Et je me rendis petit à petit compte des raisons des précédentes hésitations de Paolo Perrotti. Ce n’était pas facile et même juste de tirer les fils d’une discussion aussi vaste et éparpillée sur ce thème fascinant et difficile de l’anonymat vis-à-vis de la responsabilité. Moi aussi j’aurais eu de choses à dire, par exemple au point de vue politique. On risquait, à la fin, de se confronter à un nombre ingouvernable d’anonymats et de responsabilités différentes.
Paolo Perrotti annonça tout de suite qu’il aurait évoqué Abélard et Héloïse. C’était un prétexte pour s’aventurer dans les labyrinthes du cerveau humain, particulièrement chers aux nouveaux philosophes, dont certains psychanalystes représentent à mon avis une pointe particulièrement avancée. Le thème était celui du pillage des immenses trésors qui sont cachés dans les coins les plus cachés du crâne. Mais il avait longuement hésité, tout en baissant la voix, en obligeant les présents à garder un silence absolu, adapté au couvent d’Argenteuil où la pauvre Héloïse avait accepté à contrecœur de se verrouiller, adapté aussi au silence de la vie amoureuse qui enlevait au pauvre Abélard la partie plus intime de sa force ! Comment soigner un homme blessé comme Abélard ? pensais-je, quand finalement la petite voix eut un sursaut. 
D’un coup, tous les présents se trouvèrent groupés dans un quartier reculé du cimetière Père-Lachaise. « Là-bas, les restes d’Abélard et Héloïse dialoguaient tranquillement, sans trop bouger », commença Parrotti. « Ils étaient calés dans les cercueils qu’on leur avait assignés, reprenant toujours les mêmes questions éternelles, qu’ils retrouvaient au même point tous les soirs. Ils se tenaient compagnie dans les heures les plus redoutables de la nuit… » Ce fut à ce point-là que nous devinâmes, surprise des surprises, qu’il aurait recouvert sans difficulté les deux rôles, en passant d’Abélard à Héloïse et vice-versa sans autre transition qu’une petite inflexion de la voix vers l’aigu ou le ton grave…

Héloïse  — Considère, je t’en supplie, ce que je demande : c’est si peu de chose, et chose facile. Si ta présence m’est dérobée, que la tendresse de tes mots, dont tu es si riche, me rende du moins la douceur de ton image ! (Abelard et Héloïse, Correspondance, Préface d’Étienne Gilson, Édition d’Édouard Bouyé, Folio classique Gallimard, 2000, p.120)

Abélard — Pour toi, il ne t’est pas donné de jouir de ma présence, si misérable qu’elle soit. Et si tu ne peux rien à mon bonheur, pourquoi me préfères-tu vivant et malheureux, plutôt qu’heureux et mort ? Je ne le vois pas. (ibidem, p.151)

(Héloïse essaie de soulever le couvercle, pour mieux entendre la voix grave d’Abélard, qui poursuit.)

A. — Si c’est pour toi que tu désires voir prolonger mes misères, c’est qu’évidemment tu es mon ennemie, non mon amie. Si tu crains de paraître telle, trêve, je t’en conjure, trêve à ces plaintes. (ibidem, p.151)

H. — Puis-je espérer te trouver libéral dans les choses, quand je te vois avare de paroles ? (p.120)

A. — Si j’avais mérité ce qui m’est arrivé, tu en aurais donc moins souffert, tu en serais donc moins affligée ? Ah ! certes, s’il en était ainsi, tu serais d’autant plus touchée de ce malheur qu’il serait pour moi une honte, pour mes ennemis un honneur ; pour eux en effet, dès lors, la satisfaction de la justice et l’éloge ; pour moi, la faute et le mépris ; pour eux plus de reproches, pour moi plus de pitié. (ibidem, p. 154)

H. (après avoir écrit dans le vide : Justice, Éloge… Faute, Mépris) — Écoute, Abélard, je ne réussis pas à séparer la pitié des reproches. J’éprouve bien sûr de la pitié envers toi, et même plus, mais ton absence me bouleverse et me meurtrie. Et c’est très difficile de me résoudre à la patience du moment que tout ce qui m’entoure, même ces murs noircis, me renvoie à ton image sainte… et pourtant aimée…

A. — Cependant, pour adoucir l’amertume de ta douleur, je voudrais encore démontrer que ce qui nous est arrivé est aussi juste qu’utile, et qu’en nous punissant dans le mariage et non dans la fornication. Dieu a bien fait. (ibidem, p. 154)

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H. — D’accord, je t’écoute. Mais je le fais surtout parce que j’aime ta voix. N’oublie pas cela. Tu es mon cocon et je reçois tout ce que tu m’envoies comme une promesse de ta main et de ton regard près de moi.

A. — Après notre mariage, tu le sais, et pendant ta retraite à Argenteuil au couvent des religieuses, je vins secrètement te rendre visite, et tu te rappelles à quels excès la passion me porta sur toi dans un coin même du réfectoire, faute d’un autre endroit où nous pussions nous retirer. (ibidem, p. 154)

H. — Tu me fais rougir, Abélard. Laisse tomber cette attitude da gamin, quoi. Car si tu souffles sur le feu je recouvre vite mes seize ans. Mais, si je reviens en arrière, si peux choisir mon destin librement, je me sauve ailleurs. Dons attention. Rien n’est escompté. Même pas le passé. Et pourtant je te vois y revenir avec une désinvolture excessive. Sais-tu que tu pourrais trouver le passé changé ? Sais-tu que je pourrais un jour n’être pas d’accord avec toi sur ce que ce passé a été pour moi ?

A. — Tu sais, dis-je, que notre impudicité ne fut pas arrêtée par le respect d’un lieu consacré à la Vierge souveraine. Fussions-nous innocents de tout autre crime, celui-là ne méritait-il pas le plus terrible des châtiments ? Rappellerai-je maintenant nos anciennes souillures et les honteux désordres qui ont précédé notre mariage, l’indigne trahison enfin dont je me suis rendu coupable envers ton oncle, moi son hôte et son commensal, en te séduisant si impudemment ? (ibidem, p. 154)

H. — Cela me semble un paradoxe. Mon oncle s’est servi de son pouvoir, tout à fait archaïque, pour t’attaquer… Mais, est-ce qu’il aurait orchestré un crime similaire sur ta personne si tu n’étais pas Abélard ? Sa trahison a été un acte lâche et brutal.

A. — La trahison n’était-elle pas juste ? Qui pourrait en juger autrement, de la part de celui que j’avais le premier si outrageusement trahi ? Penses-tu qu’une blessure, la souffrance momentanée de ma plaie ait suffi à la punition de si grands crimes ? De tels péchés méritaient-ils une telle grâce ? Quelle blessure pouvait expier aux yeux de la justice divine la profanation d’un lieu consacré à sa sainte mère ? Certes, si je ne me trompe pas complètement, une blessure si salutaire compte moins pour l’expiation de ses fautes que les épreuves sans relâche auxquelles je suis soumis aujourd’hui. (ibidem, p.154-155)

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H. — Tu as déjà oublié les violences subies. Ce sont des violences des hommes, il est difficile de considérer ces mains sanglantes comme instruments de la justice divine !

A. — Tu sais aussi qu’au moment de ta grossesse, quand je t’ai fait passer dans mon pays, tu as revêtu l’habit sacré, pris le rôle de religieuse, et que, par cet irrévérencieux déguisement, tu t’es jouée de la profession à laquelle tu appartiens aujourd’hui ? Vois, après cela, si la justice, que dis-je ? si la grâce divine a eu raison de te pousser malgré toi dans l’état monastique dont tu n’as pas craint de te faire un jeu ; elle a voulu que l’habit que tu avais profané servît à expier la profanation, que la vérité de la chose fût le remède du mensonge de la parodie et en réparât la fraude sacrilège. (ibidem, p. 155)

H. — Tu insistes trop sur le pêché et tu oublie l’amour…

A. — Tu sais à quelles turpitudes les emportements de ma passion avaient voué mon corps ; ni le respect de la décence, ni le respect de Dieu, même dans les jours de la passion de Notre Seigneur et des plus grandes solennités, ne pouvaient m’arracher du bourbier où je roulais. Toi-même tu ne voulais pas, tu résistais de toutes tes forces, tu me faisais des remontrances, et quand la faiblesse de ta nature eût dû te protéger, que de fois n’ai-je pas usé des menaces et des coups pour forcer ton consentement ! (ibidem, p. 156)

H. — Je t’ai toujours pardonné, même avant que tu arrivais, je savais déjà comment ce serait passé entre nous… Ne t’en fais pas…

A. — Je brûlais  pour toi d’une telle ardeur de désirs, que, pour ces voluptés misérables et infâmes dont le nom seul nous fait rougir, j’oubliais tout. Dieu, moi-même : la clémence divine pouvait-elle me sauver autrement que m’interdisant à jamais ces voluptés ? (ibidem, p. 156)

H. — J’avais cru jusqu’ici m’être assuré bien de titres à tes égards, ayant tout fait pour toi, et ne persévérant dans la retraite que pour t’obéir ; car ce n’est pas la vocation, c’est ta volonté, oui, ta volonté seule qui a jeté ma jeunesse dans mes austérités de la vie monastique.. (ibidem, p. 120)

A. — Rejoins-moi, toi aussi, inséparable compagne, dans une même action de grâce, de même que tu as participé à la faute et au pardon. Car Dieu n’a pas oublié ton salut ; que dis-je ? il a toujours songé à toi : par une sorte de saint présage attaché à ton nom, il t’a particulièrement marquée pour le ciel en t’appelant Héloïse… (ibidem, p. 138)

002_abelard notte 180

Ce fut à ce point-ci qu’Héloïse s’aperçut d’un léger frémissement, tout de suite après suivi par le bruit sourd d’un corps qui devait être tombé juste à côté. Un sac avec quelques butins ? Elle fit signe à Abélard de se taire.
— Voilà, dit grimaçant le jeune homme aux cheveux blonds et lisses, j’ai réussi à soulever la pierre. C’est formidable ce pied-de-porc !
— Moi aussi, dit la jeune fille brune, laissant tomber à terre son chapeau de Carnaval. Et, maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
— Je n’ai pas trouvé grand-chose dans ce petit crâne. Pourtant elle serre une chose dans les mains…
— Quoi ?
— Un billet… Non, c’est un parchemin. Très bien conservé, tu vois !
— Arrache-le !
— Impossible… Et… voilà, j’ai réussi.
— Viens ici Joël, de ce côté il y a un rayon de lune. Essayons de lire…
— L’a..ni…ma..lité est parfaitement saine !
— Animalité ? Impossible qu’Héloïse ait pu écrire cela, dit Gaëlle.
— Mais c’est l’écriture d’Abélard !
— Alors c’est vrai, commenta la jeune pilleuse de tombeaux, il avait tout prévu avec mille ans d’avance. La répression, le sentiment de culpabilité… Il essayait de se convaincre qu’on pouvait, qu’on doit vivre « autrement », se passant de l’amour, il essayait de renier tout cela, et aussi de convaincre son ancienne compagne. Mais, comment peut-on accepter de vivre « autrement » ?

En discutant, les deux voyous s’éloignent. Quand l’habituel silence du Père Lachaise, juste un peu perturbé par les échos des voitures glissant dans la nuit reprit le dessus, Héloïse sort la tête du tombeau, regarde autour d’elle avec une nouvelle curiosité, avant de reprendre son babillement millénaire :

H. — Quand tu me poussais jadis aux voluptés honteuses, tu me visitais coup sur coup par tes lettres, et tes vers mettaient sans cesse le nom de ton Héloïse sur les lèvres de la foule ; c’était de mon nom que retentissaient toutes les places, de mon nom toutes les demeures. Combien il serait plus juste aujourd’hui d’exciter à l’amour de Dieu celle que tu provoquais alors à l’amour du plaisir ! Considère, je t’en supplie, ce que tu dois, regarde ce que je demande, et je termine d’un mot cette longue lettre : adieu, mon unique. (ibidem, p.121)

A. — Je pense, très chère sœur dans le Christ, avoir suffisamment répondu à… tes demandes… : vous embrasserez maintenant les devoirs auxquels vos vœux vous obligent avec d’autant plus de zèle que vous en connaissez mieux l’excellence… que vos mérites er vos prières m’en obtiennent la grâce. Porte-toi bien. (ibidem, p. 347)

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 24 septembre 2013

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A ou Alimentaire, mon cher Watson ! I/II (alphabet renversé de l’été 2013 n. 32)

18 vendredi Oct 2013

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Rita Pavone, Roger Rivière

000_a_480

Mes chers lecteurs, on est presque au terminus, c’est-à-dire à l’Arrivée de cet Alphabet Anachronique et Anticonformiste, tandis qu’en suivant les règles de toute bonne école buissonnière on devrait être à l’Avant-propos, c’est-à-dire au seuil de l’Antichambre. Là, il aurait fallu attendre avant de passer dans le Boudoir et entrer dans le vif de la discussion se déroulant dans une Chambre pleine de monde, où déjà plusieurs seraient inscrits à parler, dont Diderot.
Mais c’est comme ça, le tour de France des écrevisses est fini et va se rencontrer idéalement au Parc des Princes avec le Giro d’Italia.
Prochainement, pendant quelques temps, au lieu de ces essais d’écriture renversée vous trouverez ici d’autres exploitations non-résidentielles qui seront en général affranchies vis-à-vis d’une contrainte quelconque.
Cela dit, je ne peux pas nier que je me suis fort amusé, tandis que la fréquentation nonchalante du dictionnaire de la langue française m’a peut-être appris une centaine de mots dont j’avais mal compris la signification, en plus d’une trentaine que je ne connaissais pas du tout.
Je remercie tous ceux qui m’ont encouragé dans cette aventure, et je profite du microphone pour saluer mes parents :

« Ciao maman, ciao papa ! »

Comme tout brave cycliste, qu’il soit grégaire ou champion, je vous remercie, avant d’embrasser la Miss de la course et me lancer dans la dernière descente, à la façon hasardeuse de Roger Rivière. Une descente terrible, même Affreuse, mais Allègre, tout à fait Adaptée à nos temps Affolants et Aveugles.

001_freres lumières 180 seppia

Alors, je descend. Ou plutôt, je précipite dans un monde en noir et blanc où je ne trouve d’autres couleurs que celles des étoiles filantes du carnaval ou de l’habit de fou follet, rouge de la tête aux pieds.
Assis avec mon frère dans un coin que je ne reconnais pas, je vivais partagé et déjà épuisé… D’un côté la joie de la lumière et du jeu, les promenades à Villa Borghese ; de l’autre côté la peur de la nuit, la solitude avec l’oreiller froid et cet escalier en colimaçon retentissant de l’écho menaçant de mon propre cœur essoufflé. D’ailleurs, la joie du dîner familial autour de la petite table ronde n’était pas toujours à la hauteur des ombres déplacées, presque physiques, secouant mon tronc et mes branches fragiles… J’étais terrorisé par l’épingle enfoncée dans la calotte noire, entourée de cheveux électriques, de la nouvelle maîtresse, sévère et même méchante — rien à voir avec l’âme gentille qui l’avait précédée, qu’on avait prématurément accompagnée au cimetière.
Je ne sais pas si cette espèce de radiographie photographique très proche d’un négatif remonte à la période où je me sauvais dans le placard pour me dérober à la sorcière noire se détachant contre le vide bleu de la fenêtre. Mais oui, c’était déjà la phase obscure où l’adolescence frappait à la porte et que je me perdais dans un labyrinthe de nombres…
Avec ma sœur aînée et mon frère cadet, je ne renonçais pourtant à mon rôle mitoyen d’état tampon qui ne manquait pas d’avantages : au risque de paraître parfois imbécile, je ne cessais de rire, même convulsivement, devenant ainsi sur le champ paladin de l’évasion et de l’insouciance comme infaillibles antidotes contre la Mort.
J’aimais la « pastasciutta » [1] au-dessus de tout autre genre et forme d’aliment. Elle me réconfortait presque tous les jours et c’était justement la simplicité  de ses ingrédients, d’ailleurs très pauvres, qui m’avait conquis depuis ma première enfance substituant sans une vraie transition le lait maternel et celui des nombreuses nourrices (auxquelles je dois mon esprit sombre et mélancolique).
Maintenant, tout en considérant les différentes recettes de sauce aux tomates, que nous appelons « sugo », je ne réussis pas à m’expliquer les différences de saveur, parfois énormes, qui touchent mes papilles gustatives à chaque fois qu’on mêle le même sugo à de différents types de pâtes. Pâtes longues, pâtes courtes : l’ainsi dite cuisine méditerranéenne, caractéristique des régions du centre et du sud de l’Italie — se basant plutôt sur le grain dur que sur le mélange de la farine avec les œufs — donne vie à un nombre infini de suggestions, dont il n’y a que les Anellini, consacrés aux soupes, qui commencent par A.
Je crois que ce soit la forme, c’est-à-dire la différente géométrie des multiples qualités de pâtes,  le facteur décisif pour le déclenchement d’une variété étourdissante de plaisirs.
Je pourrais continuer longuement, jusqu’à tracer les lignes, peut-être, d’un essai aussi passionné que scientifique. D’ailleurs, je pourrais raconter plusieurs anecdotes où le rôle de la pastasciutta à été central dans les différentes saisons de ma vie.
Parmi tous les souvenirs, souvent très nets et vifs — où la pastasciutta occupe la place de la madeleine de Proust — il y a le glorieux épisode, plusieurs fois raconté en famille, du jour où je me refusai de manger la viande en boîte même si confondue dans un strate généreux de mayonnaise en tube.
On était debout, près d’un mur de pierres à sec, dans un intervalle de la visite aux tombeaux étrusques de Cerveteri : je n’obtins pas la pastasciutta, mais on me laissa quand même libre de rester à jeun. D’ailleurs, je comprenais les raisons du programme, cette fois-là assez stricte. J’acceptais en bon ordre, mais je voulais marquer le primat absolu de cette assiette de couleur rouge dans mon existence présente et future.

002_pastasciutta 180 seppia

Figurez-vous, au contraire, quelle joie absolue et inoubliable cette fois-là, en 1955, au milieu de longues vacances à la montagne… Un groupe d’amis de mes parents, avec leurs enfants — jeunes pousses venant directement, en grand nombre, de l’après-guerre —, s’était donné rendez-vous dans un vaste pré pas loin du pas Tre Croci (Trois Croix), au nord de Cortina. De cet endroit partait une très connue excursion aux Cinque Torri (Cinq tours) et au mont Nuvolau (qu’on pourrait appeler Nuageux). Une randonnée, à travers le bois, à la portée de tout le monde, aboutissant dans un paysage lunaire ressemblant, au couchant, même si à la petite échelle, aux canyons du Colorado.
Mais, cette fois-là, les randonneurs — dont quelques-uns se glorifiaient peut-être de leur participation à la guerre de Libération de 1943-1945, tandis que la plupart se réjouissaient surtout de la survie —, avaient décidé de piqueniquer. Je ne me souviens pas de barbecue ni de saucissons ou de poulets rôtis. On avait bien sûr monté un joli bûcher de sapin dans un endroit adapté… Tous ces particuliers se fragmentent et se pulvérisent dans ma mémoire, où reste pourtant bien central, certes aidé par cette photo efficace, le souvenir de la marmite fumante et des spaghettis prêts à être distribués à la troupe.

004_camilluccia 180 antique

Presque trente ans après, en janvier 1983 (donc il y a exactement trente ans), un fait divers se déroula dans mon existence Ambulante. Cela fut l’occasion pour rassembler quelques-uns des personnes avec lesquelles j’ai souvent très strictement renoué les fils de mes incertitudes et de mes passions. Ici, ce n’étaient pas des parents ou des vice-parents qui s’occupaient de tout, en laissant la «pipinara» [2] libre de s’éparpiller partout comme des mouches dans une bouteille. Ici, c’était moi, aidé par la fidèle Daniela, qui avais enlevé tous les Zucor et toutes les traces de dessins et de trucs typiques du travail des architectes-urbanistes pour aménager une véritable salle des fêtes.

(Rita Pavone, Viva la pappa col pomodoro)

Giovanni Merloni

[1] les pâtes.

[2] groupe, assez bruyant et vivant, d’enfants ou de jeunes garçons et filles.

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 18 octobre 2013

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B ou Boh ? (alphabet renversé de l’été 2013 n. 31)

15 mardi Oct 2013

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Italie

000_b_modifié-1 480 Je l’ai créée jusque du fond de toutes les choses
les plus chères pour moi, et je ne sais pas la comprendre.

(L’ho creata dal fondo di tutte le cose
che mi sono più care, e non riesco a comprenderla.
Cesare Pavese, Incontro, dans Lavorare Stanca, 1936)

001_boh c'est mon cri_180

C’est un mot qui m’obsède
ce Boh interrogatif
ce Boh indifférent
ce Boh la Bouche pleine
ce Boh sans aucun élan
ce Boh que j’entends encore :

Caïn, où est Abel ?
Boh ?
Caïn, où est Abel ?
J’en sais rien…

J’ai toujours eu le Bonheur
d’être né Bourgeois Border line
d’être tôt devenu Bohémien
ensuite flâneur de Boulevards
habitué de Bouquinistes
de Baguettes tradition
de Bistrots près des stations
du métro Bastille.

Mais pourquoi préfère-t-il Boiter
dans une capitale Bruyante
sous un ciel Brumeux ?
Boh ?

002_Giordano_Bruno NB 180

Au centre de la place rectangulaire
de Campo de Fiori, à Rome
survit, debout, au centre des ombrelles
Blanches du marché, sérieuse,
toujours effondrée en difficiles pensées
hérétiques, intelligentes, modernes
la statue de Giordano Bruno.

Mais, pourquoi ont-ils brûlé Bruno ?
Boh ?

Là-bas, au pied du Bronze, parmi
les fleurs, fleurit une Boulangerie
qu’on appelle forno ; là même un Bistrot
nommé trattoria : là dedans des Bourgeois
se déguisant en Bohémiens Bavards
échangent des mots d’incompréhension
avec des Bouquinistes Border line.

Quoi disait le Bouquiniste, au juste ?
Boh ?
Quoi répondait le Bohémien ?
Boh ?

003_navona 180

On appelait tout cela Bel paese, Bel endroit
aux toits ensoleillés, aux Bancs de pierre
aux coupoles Baroques de Borromini et Bramante
aux statues envoûtantes de Bernini
aux cathédrales de Brunelleschi
aux peintures de Botticelli
Beato Angelico, Giovanni Bellini.
Rome, Florence, Bologne.

On m’a dit qu’il est parti !
Mais pourquoi s’est-il Banni tout seul ?
Que va-t-il faire à Bologne ?
Boh ?

004_archiginnasio NB - copie

Ce fut ma Balance Branlante
Brûlant sans soucis les distances
entre Boh et Bologne
ce fut elle, la Bêtise
de chercher le Bonheur
qui tant pis, m’amena la Bonne
humeur, la Belle ivrogne
en compagnie de Berthe
de Barbara et Béatrice
et aussi de Bérénice.

Déjà Bologne c’était au delà
des Bornes ouatés des Apennins
et Bientôt les arcades, Bleutées
par la Brume de l’été,
Bienveillantes comme des Berceaux
infinies au-dessus de mon Béret
pouvaient Bouleverser mes Béates
résolutions d’aller jusqu’au Bout

Pourtant, il avait Beaucoup
de Bonnes intentions
et aussi d’idées Bonnes.
Pourquoi n’a-t-il pas su
Badigeonner les petites Blessures
Qui lui cassaient la figure ?
Boh ?

005_Stazione di Bologna 2 Agosto 1980 180

Sous la menace des Bandits assassins
cachés derrière une Bombe lâche
Bologne ne se fit abattre, mais depuis là
on n’a pas su s’adapter à la Besogne
de se Battre contre les Brutes
on a préféré naviguer à la Bouline
s’adonner à la dérive, s’accrocher aux Bouées ;
certes, Bosser, mais sans jamais
Bondir sur la scène, la Bouche Bée
éventant la Bannière de la Belle liberté.

Ensuite il est reparti, aimanté par une Boule
de verre, qu’une Bohémienne Blonde
lui lançait, le prenant pour une quille
de Bowling.
Ah, vraiment, laisse-t-il Bologne ?
Pourquoi ?
Boh ?

006_piazza di spagna BN 180

Brinquebalant, une à une les années quatre-vingt
se sont échouées, telles des Brins de Buée
sur la vitre Brisée d’une fenêtre romaine
ou d’en haut d’un Balcon. Au Bureau
le temps s’épuisait, les mots se Brouillaient
et plutôt que faire du Bien on Badinait
avec des solutions qui seraient Balayées
avant de naître, ratées. Rien ne Bougeait
sous le soleil de Rome. Bien sûr
on faisait du Bruit, on Babillait
on se rendait dans des Boîtes, on se déshabillait
on s’aimait au Bout de souffle, on hurlait :
Bonjour, Bonsoir, Bonne nuit !

C’est pour qui le Bon plan, le Beau prix
les voyages aux Bermudes, les vacances à Bilbao ?
Boh ?

007_paris 2006 180

Un Beau jour, Bécassine est venue
experte de Bonnard et de Braque
anxieuse de Boccioni et futur-Balla
emmenant le Bonheur des cartes postales
le plaisir des mots Bizarres, Barbouillés
aux Bords cornés des Bandes dessinées,
ajoutant la Béatitude d’une amitié de loin
avec le Besoin retrouvé
de lancer des Bribes de chair et de sang
au-delà de la mer Bouleversée
au-delà des montagnes Blanches.

Elle m’écrivait depuis Bayonne ou Blaye
de Sévres-Babylone ou de Brest
(toujours Bourrée d’une pluie qui ne cesse)
elle me racontait déjà les Balades
de Bastille à rue du Bac
de la Bibliothèque à Bonsergent
je lui renvoyais la poésie de Bassani
le conte de Buzzati
la nouvelle de Boccace.

Mais pourquoi, un Beau jour
Bécassine se rendit à Bordeaux ?
Boh ?

008_l'animalité NB 180

Carte postale reçue d’un ami de Bordeaux

Tandis que lui, il voulut Baigner
ses draps dans le Bleu-jaune
de la Garonne. Au Bord de quelle
illusion voulut-il se Bercer ?
Boh ?

Giovanni Merloni

(cliquez sur les images si vous avez envie de les agrandir)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 15 octobre 2013

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C ou Casque d’or IV/IV (alphabet renversé de l’été 2013 n. 30)

11 vendredi Oct 2013

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Henri Serre, Jacques Perrin, James Stewart, Jean-Louis Trintignant, Jeanne Moreau, Katherine Hepburn, Marcello Mastroianni, Mel Ferrer, Oskar Werner, Ruth Gordon, Serge Reggiani, Simone Signoret

c ou casque_dor_480Dans le noir, un vacarme assourdissant de roues sur les rails conclut la parenthèse de l’engagement politique et moral et des questions philosophiques les plus difficiles. À sa place, une petite inscription rouge s’installe au centre de l’écran blanc. Blanc ? Qu’est-ce qu’il arrive ? Je me lève et dans l’étrange lueur Chantilly je m’aperçois que ma chambre est devenue un champ de bataille. Le lit a remonté le mur du dossier et maintenant demeure vertical, tandis que les livres sont à terre… Les livres que j’avais rangés avec autant de soins dans l’étagère derrière l’écran ! Je suis abasourdi, imaginant les réactions de ma femme.
Je m’approche de l’inscription et finalement je lis : « Rien ne va plus ! Les jeux sont faits ! Rendez-vous demain au guichet du métro Bastille. On vous enlèvera le Ciné-Clic en quelques minutes. La Compagnie de voyages C-C vous prie d’enlacer vos ceintures. Attendez l’atterrissage de l’avion, avant de descendre vous-mêmes sur la piste. »
Comment interpréter un message semblable ? D’un côté, ils m’ont notifié, par un langage assez obscur en vérité, que cette expérience unique va bientôt terminer et que je devrai restituer le truc que j’ai dans la tête. De l’autre côté, je suis soulagé à l’idée que tout va finir.
Je commence à m’interroger sur le sens de ces deux journées et de cette nuit mitoyenne où mon pacte avec le Diable n’a abouti à rien. Je n’ai pas rencontré celle que je cherchais parce que je lui ai donné le temps de se déguiser en quelqu’un d’autre ou parce que je l’ai exposée à une passerelle trop dure. Elle n’est même pas là, peut-être, cachée dans une poche secrète de cet écran blanc…

017_J_jules-et-jim 480

Peut-être la Catherine de Jules et Jim  [1] est une femme incommode. Mais je la comprends tout à fait. Si Gustave Flaubert osait déclarer qu’il était, lui-même, Madame Bovary (comme pareillement c’est le cas de François Mauriac à propos de Thérèse Desqueyroux) je peux dire sans hésitations que Catherine… c’est moi. Évidemment une cohabitation infinie de deux amours différents n’est pas humainement possible. Mais, il y a toujours, dans la vie de plusieurs, des périodes difficiles que je n’appellerais pas d’incertitude mais de recherche de soi. Une recherche souvent acharné et sans répit, toujours nécessaire. Qui peut emmener au compromis, comme dans le cas de la dame au petit chien, à la séparation déchirante comme il arrive à Baptiste et Garance, ou à la mort, comme il arrive à Jim et Catherine. Une mort qui s’installera à jamais dans le survivant du trio, Jules, comme il arrive pour tous ceux qui ont la chance de sortir de soi pour vivre l’amour, un sentiment qui s’empare de nous, auquel nous nous adonnons parfois contre nous mêmes. Cela existe pour l’homme à l’identique que pour la femme. Et le visage unique de Jeanne Moreau, rien que pour le regarder, j’aurais passé volontiers une vie entière à le contempler.

Indiscretions 480

Même si moins proposé chez le cinéphiles d’aujourd’hui, je suis très affectionné à Katherine Hepburn, une actrice tout à fait différente vis-à-vis de Jeanne Moreau, par exemple, mais habituée elle aussi des rôles anticonformistes comme celui de l’orgueilleuse Tracy dans ces Indiscrétions [2] avec Cary Grant et James Stewart que je considère comme un véritable joyau. Même si le scénario presque théâtral aide beaucoup à analyser le dualisme d’une personnalité s’accrochant aux certitudes et refusant de se mettre en cause, qui se résoudra évidemment dans le final aussi orageux qu’inattendu, Tracy, tout en négligeant de se prendre pour une femme fatale, exploite admirablement son naturel et sa sensualité caché. Elle ne serait pas un « love at first sight » comme aurait dit Frank Sinatra, ni surtout un flirt passager. Elle incarne l’idéal de l’amour durable et, en même temps, de la promesse que cet amour ne sera jamais une prison.

harold et maude 480

Je ne me suis jamais trouvé dans la condition d’aimer une femme de quinze ou vingt ans plus âgée que moi. Tandis qu’à mes quatre ou six ans je voulais carrément épouser, entre autres, une amie et une cousine de ma mère, jeunes et belles. Donc à partir de cela je comprends et apprécie beaucoup le Choix de mon régisseur subliminaire. Car en fait le thème de Harold et Maude [3] est surtout celui de la liberté et bien sûr de l‘art de la rencontre. En fait, je me sens très proche de Harold, qui avait mis à point une forme de théâtre un peu extrême lorsqu’il feignait de très fantaisistes formes de suicide pour briser l’indifférence de sa mère. Je n’ai pas eu une mère indifférente, au contraire. Mais je vivais le double souci de ne pas être sûr de son attention totale et celui de devoir correspondre à des attentes, les siennes, qui n’étaient pas toujours à la portée de ma sensibilité complexe. Et je me suis sauvé, tout en gardant ma dévotion et son amour, grâce à la fréquentation quotidienne de mes vice-mères, des êtres familiers et sacrés, mais pour la plupart libératoires. Je ne pourrai jamais oublier mes excursions au cinéma avec zia Augusta, ma tante, ni nos promenades sans queue ni tête autour de la Biblioteca Nazionale à Rome, où elle travaillait. Avec elle, je me sentais libre de rire, de critiquer, de franchir la distance de l’âge en me moquant d’elle, affectueusement, bien entendu. J’ai pensé à cette liberté, à la joie de découvrir la beauté et l’unicité de lieux qui ne rentraient pas, a priori, dans une liste approuvée par une autorité quelconque : ce n’est pas beau ce qui est beau, c’est beau ce qu’il nous plaît. Alors que les premières rencontres entre Harold et Maude se déroulent dans un cimetière ; Harold est très jeune, Maude très vieille, mais c’est justement cette distance qui fait déclencher deux catharsis parallèles : Harold, sortant de lui-même pour s’aventurer dans l’univers de l’amour découvre la valeur de la survie ; Maude, depuis toujours très attachée à la vie, trouve son apaisement dans le désir de la mort.
Ces deux personnages me fascinent aussi pour leur anticonformisme vis-à-vis des clichés imposés aux États-Unis par une morale assez stricte et tranchante. Tandis qu’il faudrait toujours respecter l’amitié et l’amour, deux aspects de l’humain qui souvent se mêlent, tandis qu’il reste toujours difficile de creuser une frontière entre eux. D’ailleurs, il n’y aurait pas société s’il n’y a pas d’infinis liens affectifs qui se croisent dans l’air de plus en plus en dépit des règles codifiées. Ou alors il y aurait des sociétés subjuguées par la pulsion de mort qui depuis en plus souvent accompagne des régimes aussi totalitaires qu’indifférents à la dimension humaine. Heureusement, il y a l’amitié, l’amour qui nous emporte et bouleverse, nous entraînant là où nous n’aurions jamais envisagé de nous rendre. Il ne faut donc pas hésiter devant une impulsion sincère, surtout si l’on est libres d’en affronter les conséquences. Je sais bien qu’à la pulsion amoureuse s’accompagne souvent une pulsion de mort. Et j’arrive à comprendre comment cette mort, de plus en plus évoquée dans les disputes des amants extrêmes, ne comporte pas la négation de l’amour et de la vie, mais, au contraire, devient l’élément central d’une forme de vie amoureuse tout à fait possible.

guerra e pace

Guerre et paix [4] est un film que j’ai vue plusieurs fois dans ma vie. Toujours, je me suis identifié en Pierre Bezukov, toujours j’ai vu en Natasha une jeune fille éternelle, me rappelant les amies de ma sœur, pour la plupart belles et gaies, que ma sœur m’interdisait de regarder parce que j’étais « petit » même s’il n’y avait entre nous, qu’un an et demi. Donc pour danser avec Natasha je serais toujours trop petit, tandis que pour l’aimer je me sentirais sans remèdes vieux.

La ragazza con la valigia - Film 1961

La Claudia Cardinale de la Fille à la valise [5] à été pour moi la première « donna vera » du cinéma. Moins destructrice de Brigitte Bardot, dans ce film la Cardinale vous fait tomber amoureux. En plus, le jeune personnage qui a la chance de avoir une liaison d’été avec elle, avait presque mon âge quand j’ai vu le film la première fois. Est-ce que j’ai rencontré moi même une CC dans une plage au seuil des dix- huit ans ? Je ne sais pas. Une chose est sûre : ce film pouvait m’aider à incarner le rôle du soupirant gentile et plein d’attentions, l’accompagnateur sur la petite Fiat cinquecento…

un été violent - 480

La femme qui tombe amoureuse de Trintignant dans Été violent [6] ne m’aurait daigné d’un seul regard, au temps des grandes plages de Romagne. Mais la force de son interprétation, la vérité de son portrait d’italienne qui trouve la force d’assumer son propre destin, la rend idéalement abordable. Je connais des femmes comme ça et je les estime toutes.

La Dolce Vita 2 480

J’aime énormément Fellini et je ne pouvais pas me passer d’inviter Anita Ekberg sur mon écran bâti sur un nuage sombre. Dans La Dolce vita [7], elle est belle et vivante, mais je ne saurais pas capable de l’entretenir comme le fait admirablement Marcello Mastroianni. Pourtant, si jamais m’eût arrivé de rencontrer ses faveurs, il est sûr que j’en serais tombé gravement amoureux.

garance et jeanne 180 480On était « sous l’aube», à l’heure qu’Anna Jouy préfère, au moment solennel du réveil pas encore mûr, lorsqu’on croit voir tout clair, et qu’on n’a pourtant la promptitude d’esprit de tout transcrire sur une feuille de papier quelconque. L’heure des mots d’ailleurs très fragiles, qu’on devrait saisir au vol comme des papillons avant de les renfermer dans une malle solide.
J’étais épuisé par toutes ces visions et ces voix féminines, par ce mélange inévitable entre images et souvenirs… par cette idée de l’heure « x », toujours redoutable dans la petite dimension d’une histoire privé qui nous semble parfois infinie et insaisissable, ou étrangère, comme dans la trop vaste dimension de l’Histoire dont on partage rarement le sentiment d’y participer mais dans la plupart du temps se décide ailleurs…

casque d'or def 480

Ce fut à ce point-ci qu’un carrosse tiré par deux chevaux traversa mon écran surpris. Le cocher s’arrêta. La dame habillée en blanc passa la tête par la petite ouverture. Elle lui demanda par un petit geste s’il pouvait rentrer un moment dans la boutique du charpentier. On est à Belleville, juste à la fin du XIXe siècle, dans une belle journée de lumière. Le cocher, très gentil, frappe à la porte vitrée. Félix (Serge Reggiani) est assis à table avec son patron et, je crois, sa jeune fille. C’est le repas de midi qu’ils prennent dans le même local où Félix le charpentier travaille… et dort aussi. Émerveillé, mais pas trop, pour l’interruption inattendue, Félix s’excuse, referme poliment la porte, avant de se tourner et reconnaître, au sommet de la petite butte d’en face, la belle Marie (Simone Signoret), appelée par tout le monde Casque d’or [8], la femme qu’il a connu un dimanche dans une guinguette de banlieue.
Ils avaient dansé, et ce peu de temps avait suffi pour faire déclencher une sympathie réciproque. Ensuite, un ami de Félix, responsable de lui avoir fait connaître Marie, invite Félix à s’asseoir à la table des voyous où Marie traîne sans éclats. Mais cette rencontre a été totalement négative. Félix est un homme honnête, un travailleur, croyant dans l’amitié et tout à fait direct dans ses sentiments.
Félix vole à la rencontre de Marie. Ils se regardent d’une façon inoubliable (pas seulement pour eux). Ils s’embrassent. Mais ils n’ont pas le temps pour s’accorder, pour envisager quelques choses, parce que la fille du patron, très gentille d’ailleurs, intervient, en révélant la vive contrariété d’une femme amoureuse. Juste pendant un instant, elle traite Marie de putaine. Celle ci réagit. La jeune fille insiste pour récupérer Félix et le ramener au laboratoire. C’est alors que Marie flanque une gifle contre la joue de son aimé, avant de partir, résolue à la renonce.
Voilà qu’une étreinte ravie et une gifle de déception brûlent en un seul bref midi de soleil la vie de deux êtres trop entiers, tous les deux. C’était déjà l’heure « x », avant de commencer vraiment leur histoire d’amour et de mort. Mais, il auraient dû trouver la façon de se dérober aux chaînes perverses et hostiles du pouvoir, de l’envie, de la misère humaine.
Je ne me lève pas des yeux le regard de Simone Signoret, ainsi que celui de Serge Reggiani. Ici, ils ressemblent beaucoup à Arletty et Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du Paradis. D’ailleurs il y a beaucoup de parenté dans les deux sujets. On pourrait aussi dire qu’ici on essaie d’exploiter une deuxième possibilité, celui de la détermination dans le choix. Si Baptiste renonce, Felix se lance courageusement en avant. Pourtant leur amour s’inscrit, lui aussi, dans la longue liste des amours impossibles…

parete di fronte mattino

Fini le dernier film, Ciné-Clic ne m’épargna une dernière surprise. Dans un Paris complètement bouleversé par un curieux mélange de siècles, je vis Simone Signoret et Liz Taylor se disputer l’amour d’une statue, placé au centre de place de la Bastille à la place de la Colonne de juillet. C’était au cours d’une manif de 1968, bien sûr. Les deux femmes, fatigués, s’étaient assises sur un banc public et une foule de curieux les entourait. Les cheveux noirs de Liz ou les cheveux blonds de Simone ? Cléopâtre ou Casque d’or ? Ce fut à ce point-la que la pellicule a pris feu. Je la regardai brûler extasié, Enthousiaste pour l’odeur acre du celluloïds qui se décomposait dans le noir…

Giovanni Merloni

[1] de François Truffaut (du roman du même nom de Henri-Pierre Roché) avec Jeanne Moreau, Oskar Werner et Henri Serre (1962)

[2] (titre original : The Philadelphia Story), avec Katherine Hepburn, Cary Grant, James Stewart et John Howard est un film américain réalisé par George Cukor en 1940 

[3] est un film américain réalisé par Hal Ashby sorti en 1971, avec Ruth Gordon dans le rôle de Maude et Bud Cort dans le rôle de Harold. Musique de Cat Stevens.

[4] de King Vidor (d’après le roman de Léon Tolstoï) avec Audrey Hepburn, Henry Fonda et Mel Ferrer (1956)

[5] de Valerio Zurlini, avec Claudia Cardinale et Jacques Perrin (1962)

[6] de Valerio Zurlini avec Eleonora Rossi Drago et Jean-Louis Trintignant (1959)

[7] de Federico Fellini, avec Anita Ekberg et Marcello Mastroianni (1960)

[8] de Jacques Becker, avec Simone Signoret et Serge Reggiani (1952)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 11 octobre 2013

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C ou Crimes d’amour et de guerre III/IV (alphabet renversé de l’été 2013 n. 29)

10 jeudi Oct 2013

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Arletty, Jacques Prévert, Jean-Louis Barrault, louis malle, marcel carné, maria cazarès, philippe noiret, Susan Strasberg, winston churchill, zazie dans le métro

000_C_enfants paradis 480

J’ai encore dans les yeux le Mépris et l’arrivée soudaine de cette Cigale blonde à la taille de guêpe, capable de faire le vide dans les têtes, contraignant tout le monde à oublier tout de ce qu’on disait, pensait et espérait. Moi, comme les autres, je ne regarde personne en dehors d’elle, je n’attends que son regard, le cadeau de sa compagnie… jusqu’à ce que sur l’écran s’affiche le mot

INTERVALLE.

J’en profite pour consulter les instructions du Ciné-Clic. Heureusement, j’y trouve confirmés mes suspects et aussi mes souhaits. Dans l’évolution sophistiquée et inexorable de ces trucs d’ordinateurs, des GPS et du Wi-Fi, on a tellement profité de la paresse et de la duperie humaine qu’on ne se borne plus à la localisation de chacun de nous et, je crois, à l’accumulation de dossiers de plus en plus inquiétants, voire écrasants, sur notre compte. On devine nos besoins, on nous prévient avec des propositions tellement promptes qu’elles nous semblent même inattendues. Tandis qu’elles ne le sont pas.
Donc, j’ai trouvé dans le manuel de Ciné-Clic un mot-clé : « Curiosité ». Derrière ce mot se Cache, bien sûr, un logiciel ultra avancé qui permet de Classer les morceaux des films Choisis et d’en tirer des Conséquences. Pendant un instant, une violente Colère s’empare de moi : c’est moi, le Curieux ? Ou, au contraire, sont eux ? Eux… Je m’arrête. Car je ne me suis pas aperçu que pendant le premier temps des projections (jusqu’à cette heure profonde, que je ne veux même pas savoir)… le Choix des films et des relatives vedettes ce n’était pas celui que j’avais envisagé avant de me rendre au sous-sol du métro Bastille pour me faire cette microlobotomie volontaire.
Il y avait eu des changements importants, soit dans l’ordre soit dans les titres. Par exemple, Zabriskie Point — un des rares films où l’amour, sans jamais glisser dans la pornographie ni dans l’érotisme vide, s’exprime avec une évidence qui touche — s’était vivement imposé dans la bagarre avec Zazie dans le métro, que j’avais envisagé en premier, tandis que Souffle au cœur avec Lea Massari avait substitué Sept ans de réflexion avec Marilyn Monroe.

rue de la lune antique 480Ces gens-là, comment pouvaient-ils savoir qu’au-delà de mes retours nostalgiques à rue de la Lune et au quartier où habitait Philippe Noiret, l’oncle de Zazie, la fuite rebelle des deux jeunes Américains, de mon même âge, dans la vallée déserte de Zabriskie point, serait plus adaptée et cohérente ?
Et le mythe de Marilyn, était-il le fruit d’un élan sincère ? Pourquoi ne pas l’admettre ? Lea Massari, avec sa dualité de mystère et d’affectivité désarmante, et ses yeux noirs, peut être bien considérée comme un des archétypes de mon imaginaire caché. Mais, comment ont-ils su que je tenais particulièrement à Louis Malle et à son esprit indépendant ?
Enfin, en commençant par la non-actrice Daria Halprin, ils ont terminé avec Brigitte Bardot. N’ont-ils pas voulu me signaler l’importance de l’amour physique, espèce de bête en cage que nous tous emmenons en voyage dans une roulotte brinquebalante ? Cela exalte, peut-être, le sentiment de la fuite comme pulsion ou de l’amour comme exception, parenthèse, luxe.
Ils, ils… c’est un peu inquiétant que ces personnages se soient mis en jeu dans une étrange dialectique de bon et de mauvais, d’honnête ou de malhonnête, ou sinon d’ambigu… Qu’es-ce qu’il y a de vrai dans ce qu’on a dit de Cléopâtre depuis deux milles ans ? Était-elle vraiment une manipulatrice ? 

001_arletty et barraultTout d’un coup, l’obscurité devient encore plus épaisse. L’amour de Garance (la belle et mélancolique Arletty) pour Baptiste (l’élégant et insaisissable Jean-Louis Barrault) dans Les enfants du Paradis [15] représente pour moi une pierre milliaire non seulement cinématographique.. C’est le paradigme du véritable amour et, dans la plupart des cas, de l’amour impossible, dont je ne voyais jusqu’ici qu’un aspect, celui de l’amour absolu de baptiste et Garance, que je voulais voir libéré de tout autre lien et contrainte.
Auparavant, je l’avoue, je ne voulais pas accepter les raisons de Nathalie, la belle et poétique femme de Baptiste, Maria Cazarès. Tandis que maintenant je vois défiler deux histoires parallèles, deux possibilités ouvertes et refermées d’un jour à l’autre. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Ne crois-je plus au grand amour, au destin unique ? Non, c’est justement le film même qui s’ouvre à une double interprétation, qu’il sollicite d’ailleurs. On pourrait théoriquement et même effectivement aimer deux êtres différents — ayant pourtant plusieurs choses en commun —, mais on ne peut pas vivre avec la même intensité deux vies parallèles. Ça ne peut pas durer.

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Une réponse possible à ce drame du trio avait été formulée très élégamment dans le premier des films inspirés au conte de Tchecov, La dame au petit chien en noir et blanc du réalisateur russe Iossif Kheiflitz Une histoire touchante, racontée de façon stricte et efficace. Le protagoniste, un homme marié, une fois tombé amoureux de sa Dame unique, qui lui correspond pleinement, se tourmente avec l’hypothèse d’un impossible changement de vie. Les amis de son club, assez cyniques, lui conseillent tout banalement de louer une garçonnière pour y rencontrer de temps en temps cette « maîtresse ». Il se rebelle, s’emporte jusqu’à frôler le désespoir. Jusqu’au moment où, finalement, les deux amants se résignent à « continuer comme ça », par une vie cachée que la société censure. Il donne donc raison à ses conseillers. Mais cette leçon amère ne se traduit pas, en fin de compte, dans une tragédie majeure. Comme dit bien Don Alfonso dans Cosi fan tutte de Mozart : « ne pouvant avoir ce qu’il veut, chacun voudra ce qu’il peut ».

le due vie 91 480

Vis-à-vis du conte d’Anton Tchekhov, Les enfants du Paradis [15], basés sur le scénario de Jacques Prévert, est le théâtre d’un drame plus subtil. Celui des affinités électives et de l’amour unique qui naît justement d’une nécessité secrète se révélant d’emblée, au moment même de la rencontre cruciale. Peut-être, Baptiste, avant de connaître Garance, était heureux avec sa femme dévouée et positive. Certes, derrière sa timidité se cachait une souffrance profonde, une rupture intérieure que seule Garance pouvait dénicher et soigner. Mais, aurait-il, Baptiste, continué dans ses succès artistiques, s’il avait eu la présence d’esprit de cueillir l’instant fatal ? Quant à Garance, elle se déclare une femme libre, une artiste :

Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j’ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J’aime celui qui m’aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n’est pas le même
Que j’aime chaque fois
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi…

En fait, elle est libre parce qu’elle n’aime personne. Cela lui donne un charisme absolu, mais aussi un certain fatalisme. Pour elle l’art de la rencontre ne fait qu’un avec l’art de l’adieu. Toujours souriante, elle souffre énormément après la première séparation de son unique amour.
Mais, dans ce film, en plus des deux amants perdus et de cette Marie qui ne cède même pas d’un millimètre, il y a un quatrième personnage : la foule du boulevard du Crime (à deux pas de chez moi, dans l’actuel boulevard du Temple, le premier trait du parcours entre République et Bastille). Cette foule d’abord unit les frais amoureux, en rendant extrêmement facile leur rencontre, mais au final, lorsque les temps sont devenus stricts pour se trouver dans une action commune, la foule même devient une barrière insurmontable, un étau inexorable.

la déchirure 480

Je ne crois pas que le régisseur, d’en haut de sa cabine, ait voulu empirer mon égarement venant de l’empathie sincère que j’ai prouvé en assistant de près à la déchirante séparation entre Garance et Baptiste…
Pourtant ma chambre est secouée de fond en comble par le bruit étourdissant d’un train qui passe à mon côté. Un train lancé vers la déportation avec la presque certitude de la mort. C’est le sentiment brûlant que Baptiste éprouve, je crois, lorsque la foule le bloque. Garance ressentira, peut-être plus tard, le même chagrin. Sans doute, elle souffrira le plus, au jour le jour, au fur et à mesure qu’elle s’en rendra compte, d’être plongée dans le labyrinthe de l’absence :
« Quand vous serez bien vielle, au soir à la chandelle… ». Combien de fois cette ritournelle s’est-elle répétée dans nos vies, tel un typique chantage ou menace venant de cet amour désormais lointain et perdu, même si rigoureusement silencieux ?

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Mais pourquoi un film italien engagé des années soixante sur les camps d’extermination nazis ? Qui a décidé ça ? Pendant les premiers instants, je suis furieux, vis-à-vis de la grossièreté de ceux qui ont transformé mon libre choix (la petite opération près du guichet de place de la Bastille) en séquestration chez moi.
Je commence à me demander aussi où est ma femme, pourquoi m’a-t-elle laissé seul (j’aurais dit libre, il y a une heure). Est-ce qu’elle aussi est prisonnière dans la chambre des hôtes, en train de subir, elle aussi, la programmation d’une série alphabétique ayant au centre des hommes ? Mais j’abandonne tout de suite cette hypothèse symétrique. J’ai peur. Je suis terrorisé par cette situation apparemment tranquille, mais je n’ai pas le courage de réagir, en sortant de ma chambre, car le film m’attrape à la gorge.
C’est un film terrible sur un camp nazi, avec cette pulsion de mort et de violence de plus en plus exhibée et même fière de son atrocité… où des femmes juives aux cheveux rasés à zéro essaient de survivre en recouvrant les rôles de Kapò [2]. Cette contradiction, le fait de partager activement la barbarie qu’elles sont en train de subir, donne lieu à des situations touchantes qui percent au fond de l’âme de chacun. Voyez-vous les larmes de Susan Strasberg coulantes sur son visage désespéré ? Elles réclament l’attention et le respect pour l’orgueil extrême d’une petite collectivité d’humains qui réussit à survivre è des conditions de plus en plus terrifiantes et incroyables.

parete di fronte mattino 480

Cela me contrarie de devoir l’admettre, mais ce film m’a aidé à relativiser et à comprendre aussi le film précédent, tout à fait calé dans la paix (même s’il fut tourné au temps de la même guerre). Cela m’a donné en plus l’envie de dire un mot sur l’heure « x ».
D’abord, le message de Prevert-Carné est un message d’espoir. À condition que l’on accepte de donner un rôle décisif au hasard, sans devenir par cela des fatalistes ou des lâches. La relativité dans la considération des destinées humaines peut nous aider à aller au-delà de la seule disponibilité à accepter les échecs et les ruptures comme des conséquences inévitables des manques de volonté et de cohérence.
Celle de Prévert est une idée de relativité positive, où l’homme reste encore au centre, le seul forgeron de son propre futur. Car la vie ne se décide que très rarement comme ça, sur les deux pieds.
Pourtant l’heure « x » existe, tout comme l’étincelle qui peut faire déclencher une révolution. Une rafale ou une brise légère qui vient à notre rencontre. Et voilà le point qui m’intéresse. Il n’y a pas que l’heure « x » où Baptiste, ayant la possibilité de saisir au vol le bonheur amoureux avec Garance, ne le fait pas. Il y a aussi l’heure « x » que l’Histoire accorde aux hommes et aux peuples pour réagir à de redoutables perspectives de changement. D’un côté, le gouffre d’une nouvelle vie s’accrochant à l’amour ; de l’autre côté, le gouffre de la destruction, de la régression et de la mort que quelqu’un pourrait préparer pour une entière société, en équilibre précaire, mais heureuse.
Le champ de déportation de Kapò m’oblige à revenir au drame de la Shoah. Aurait-on pu l’éviter ? Y a-t-il eu une heure « x » où les Allemands et les autres Européens pouvaient défaire les plans d’Hitler, l’empêcher de continuer dans son action criminelle ? Quand était-ce ? Avant la guerre d’Espagne, peut-être ?
Il y a bien sûr un moment où le « changement », voire la dérive destructive devient irréversible. Car cela se prépare pendant longtemps. D’ailleurs, on ne s’aperçoit pas toujours de l’arrivée soudaine de l’heure « x » des changements négatifs. Celui-ci se manifesta assez sournoisement, s’appuyant sur des raisons et justifications « logiques » qui apparemment allaient à la rencontre des exigences du peuple allemand. En fait, les Allemands ont eu tout le temps de s’apercevoir ce qu’Hitler leur préparait, mais ils n’ont pas su voir ni cueillir l’heure « x » où tout cela pouvait s’arrêter.

Winston_Churchill_1941 480Heureusement, il y a eu la rébellion soudaine du général de Gaulle au lendemain de l’invasion de la France qui a déclenché une lente, mais sûre revanche des nations européennes. Mais, s’il n’y avait pas eu Winston Churchill et sa détermination sans bornes contre Hitler, je ne sais pas si le gouffre n’aurait été jamais conjuré.
Combien de temps a elle duré l’heure « x » pour Winston Churchill ?
Même pour le petit gouffre italien il y a eu bien sûr une heure « x », où la vertu de certains hommes conscients aurait pu avoir le dessus sur la violente déstabilisation démocratique, politique et culturelle de l’Italie au fur et à mesure que Berlusconi en devenait l’arbitre et le patron. Malheureusement, une grande partie de mes compatriotes ont accordé à Berlusconi un temps infini, le laissant libre de perpétrer des dégâts même plus graves vis-à-vis de ce qu’avait fait avant la Démocratie chrétienne. Les Italiens ont été amenés à croire — comme Pinocchio (notre héros national) — d’avoir plongé dans un éternel « Pays des jouets », aussi vulgaire qu’illusoire. Ils se retrouvent maintenant dans une espèce de camp d’extermination ou goulag en temps de paix où des ordres absurdes se croisent sans produire aucun résultat.
Mais nous avons eu deux ou trois fois la chance de conjurer une telle dérive. La dernière fois, c’était en 2006, avec l’élection de Romano Prodi. On l’a laissé seul. On n’a pas compris le danger et la gravité de cette heure « x » que le hasard nous offrait sur un plat d’argent.
Mais pourquoi pensé-je cela ? Mais pourquoi dis-je cela ?

Giovanni Merloni

(vous trouverez la quatrième C vendredi 11 octobre)

[1] de Marcel Carné d’après un scénario de Jacques Prévert avec Arletty, Jean-Louis Barrault, Maria Casarès et Pierre Brasseur (1945)

[2] de Gillo Pontecorvo avec Susan Strasberg, Emmanuelle Riva, Didi Perego, Paola Pitagora et Laurent Terzieff (1961)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 10 octobre 2013

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C ou Chien de la petite dame II/IV (alphabet renversé de l’été 2013 n. 28)

08 mardi Oct 2013

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Ingrid Bergman, Kim Novak, Lea Massari, Liv Tyler, Marie Dubois, Michèle Morgan, Roméo et Juliette, Silvana Mangano

c ou cinema prive

Dans le noir verrouillé de mon Cagibi privé, je découvre finalement ce que je vais faire : parcourir à nouveau, le temps d’une nuit, une dernière fois, les étapes de mon voyage dans le monde de l’alphabet, arpenter des provinces reculées de la mémoire où la langue est rarement réglée par des lois démocratiques, mais l’on peut découvrir des choses inattendues. Je ne sais plus si Elle aime encore voyager ou pas et j’ignore jusqu’à quel point elle s’effondrerait dans les coins sombres, elle qui pourtant a toujours cherché avec acharnement la consolation du soleil. Où s’est Cachée sa silhouette unique ? Derrière quelles ressemblances ou vies vécues ? Se déguise-t-elle en Claire, Corinne, Clémence, Catherine, Christine, Cécile, Charlotte ?

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A-t-elle pris le nom de Zazie, celui de Thérèse Desqueyroux ou d’O., celui d’Héloïse ? Endosse-t-elle une Chemise ou bien a-t-elle une jupe très Courte au-dessus du genou ?
Est-elle la jeune étudiante dont on tombe amoureux en la voyant libérée dans Zabriskie Point ? [1]

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A-t-elle des Yeux noirs [2] comme ça ? Se promène-t-elle avec un petit chien houppe de poils sur la rive de la mer de Crimée tout en hochant la tête voilée avant de prononcer un seul mot, « Dommage » ?

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A-t-elle quelques ressemblances avec la femme de Xavier Cugat [3], c’est-à-dire la danseuse explosive répondant au nom d’Abbe Lane ? A-t-elle perdu ses attitudes de garçon manqué toujours au centre de la piste, que son visage de velours inexorablement dément ?

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A-t-elle joué encore une fois le rôle de Juliette, ou celui du personnage inoubliable de West side story ? [4] Et lorsque c’était moi le grand échalas étendu à même les marches de l’ancien escalier de pierre, étais-je vraiment moi son Roméo ? Se souvient-elle de mes longs discours pour la convaincre à sourire, de mes soliloques inutiles, du moment qu’elle avait tout prétendu et accordé en avance ?

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(J’ouvre une petite parenthèse pour expliquer aux lecteurs-spectateurs comment se déroule mon spectacle privé. En fait, ce n’est pas du tout la perfection. L’écran invisible et immatériel n’est pas aux normes, soit dans les deux dimensions principales soit dans l’épaisseur. On dirait un vieux drap ou les vêtements usés d’un fantôme, traversés par un vent bizarre et tout à fait spontané. Cela peut rendre parfois floue l’image, ou faire ressortir à l’improviste des ombres ou des éclats de lumière. En échange de cette précarité de pionniers et de clandestins d’un cinéma tout à fait nouveau… surprise ! Merveille ! Je reçois jusque dans mes bras des scènes de vie qui me touchent directement… comme si j’étais le souffleur ou un personnage invisible étendu au milieu d’un plateau de tournage… Ou même plus, car la scène n’est plus le fragment d’un patchwork inachevé, elle est déjà la vie, l’action, la situation. Je devrais me faire lier au mât de ma barque et coller des couches de jambon sur mes oreilles pour me dérober à l’épreuve. Oui, Daria et Mark faisaient l’amour derrière mon dos [j’avais juste eu la présence d’esprit de tourner la tête ailleurs]. Oui, la dame au petit chien me disait tout bas « Sobatchkoï », presque en posant ses lèvres sur les miennes. Oui, Abbe Lane me provoquait, en dansant tout près de moi. Elle chantait des litanies tellement envoûtantes que j’étais emporté par un rire idiot. Oui, Juliette ne souriait qu’à moi. Elle restait apparemment figée, indifférente au sommet de l’escalier menant à son balcon. J’étais complètement enfoui dans le lierre (donc je la voyais de biais) tandis que le Roméo officiel occupait sa place institutionnelle. Pourtant Juliette, tout en restant imperturbable, lançait de temps en temps son regard exprès vers moi. Elle secouait la tête, pour souligner sa déception, en s’accompagnant par des petits gestes… Oui, elle me souriait !)
(Vous comprendrez dorénavant, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la peine que je vous explique, tous les moments, mes cauchemars techniques !)
(En général, je ne sais pas si ce Ciné-Clic fonctionnera pour tout le monde. D’abord à cause de cette force d’emportement qui frôle la violence… Mais, pour moi, je suis sûr que je n’oublierai pas une Chose comme ça…)

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D’un coup, je ressens de véritables sueurs froides. Quelque chose d’encore plus nouveau et d’inattendu qu’avant me touche vivement. Kim, la femme ressuscitée de Vertigo [5], s’adresse à moi, juste pour me demander une cigarette. Mais je ne fume plus depuis 1979, je réponds. C’est beaucoup, observe-t-elle, avant de m’inviter à danser, ne faisant qu’un avec elle et son décolleté parfumé. Ensuite, je la suis, comme un petit chien, dans l’escalier en colimaçon… J’entends un cri…

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La chambre est grise. Il pleut à verse. Je suis étendu sur le coffre blanc. Nous venons de quitter la plage de Deauville. Trintignant est au volant, comme d’habitude. De dehors, je regarde sa bouche qui cherche les mots et celle d’Anouk qui se mord les lèvres. Un homme et une femme [6]. Elle est belle, élégante, profonde, tout à fait plongée dans une pluie d’émotions qui hantent l’habitacle de la Ford Mustang. Elle ne se soucie pas de ma présence encombrante ; il ne me voit pas non plus, tellement usé qu’il est à la pluie, d’ailleurs tellement expert de la rue qu’il pourrait conduire les yeux fermés. J’essaie alors de me convaincre que ce n’est pas elle, Anouk, celle que je cherche, que je ne souffrirai pas de la disparition de son visage, tellement ressemblant à celui d’une autre femme voyageant jadis à côté de moi, que je savais prisonnière du passage d’une histoire à l’autre, d’une vie à l’autre…

07_T_tirez sur le pianiste 480

Ce matin, il m’est arrivé une énième coïncidence, assez inquiétante. Dans la brève attente de la petite opération au cerveau qui devait se dérouler chez les très gentilles employées du métro « Bastille », j’ai trouvé confirmé, dans un magazine, ce que j’avais depuis toujours ressenti vis-à-vis d’une scène de Tirez sur le pianiste [7] de Truffaut. Tellement belle qu’elle m’avait donné une suggestion pour les derniers passages de mon deuxième roman. La voiture qui avance dans la neige sans faire de bruit. Truffaut déclarait dans l’article qu’il avait fait le film justement en fonction de cette scène, merveilleusement décrite dans le roman américain de David Goodis auquel Truffaut s’est inspiré. Et maintenant, sans aucune préparation, Ciné-Clic me place devant une voiture très ordinaire, où je découvre la malheureuse dernière femme du personnage incarné par Aznavour en train de s’adresser à lui d’une expression familière, intime.
(Je me demande si ce truc qu’on m’a installé au-dessus du sourcil gauche a été programmé pour exaucer mes envies les plus secrètes. Certes, il suit une séquence tout à fait arbitraire et même tranchante. Pourtant, je ne peux pas nier que, jusqu’ici, ce que Ciné-Clic a choisi pour moi correspond très bien à mes attentes secrètes.)
La simplicité de la discussion en face de moi ne laissant pressentir aucune tragédie imminente, je trouve le temps de me souvenir. Moi aussi j’ai voyagé dans une voiture comme celle-ci, au milieu des montagnes, avec quelqu’un qui parlait sans cesse du rien qui nous remplit la vie, de choses qu’inévitablement nous oublions. Le bonheur reste adossé à nos corps, pendant des mois, des années. Un beau jour, tout cela nous manque horriblement. Nous n’avons rien dans la poche, même pas une photo froissée pour avoir le droit de regarder ce regard, de caresser ces cheveux, de souffler encore une fois, comme dans un jeu d’enfants, sur cette bouche.

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J’ai toujours aimé Lea Massari de façon secrète et exclusive. Un visage unique, des yeux merveilleux, un regard traversé par le doute, une vitalité au bout de souffle. Une résistante, une femme secrète dont on aimerait devenir le partenaire public. Ici, dans le Souffle au cœur [8], elle exploite d’un tel naturel la partie d’une mère morbide que cela devient une chose finalement supportable jusqu’à ce que la douleur ne dérive pas du jugement du monde, mais du mal de vivre qui reste lorsque les coeurs brisés essayent de trouver une voie de fuite !

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Avec la Silvana Mangano de Riz amer [9] je me serais appliqué à la suivre, à l’accompagner, à essayer de la contenter. Toujours, pendant une vie entière. Et je n’aurais eu aucune gêne ni aucun souci à l’attendre. Je crois qu’en échange elle m’aurait demandé un rapport profond et simple. Pour elle, j’aurais renoncé bien sûr à mes aspirations personnelles. Cela pouvait me suffire que de correspondre à un être qui n’avait besoin, je crois, que d’aimer.

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Ce film incontournable me dépasse, je les suis pas à pas, Jean Gabin et cette jeune femme aux yeux clairs, mais je reste dehors, incapable de voir une brèche pour franchir la distance de ma dévotion et me sentir concerné. Je ne me séparerais jamais du visage lumineux de Michèle Morgan, de la force de cet être essentiel, concentré dans l’assomption délibérée de son propre destin. Pourtant, je n’ai pas le courage de me promener avec elle sur le Quai des brumes [10]. D’ailleurs, je ne suis pas jaloux de l’homme qu’elle aime : je réussis très bien à me faufiler dans ses draps tandis qu’il l’embrasse dans un passage sombre et lui dit : Tu as de beaux yeux, tu sais…

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Je ne crois pas être gâté et légèrement vaniteux comme l’écrivain Pierre Lachenay (interprété par Jean Desailly), protagoniste de La Peau douce [11] avec la très mignonne Nicole Chomette (interprétée par Françoise D’Orléac). Pourtant je n’aurais pas réussi, à sa place, à agir de façon différente, une fois venu le moment de la vérité. De peur de ne pas être capable de vivre un amour simple ? Tiens, j’ai parlé de simplicité. Y a-t-il quelque chose de simple, dans l’amour ?

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Par contre, l’amour d’Onegin [12] correspond assez bien à l’esprit que j’aimerais découvrir en moi-même, avec tout ce mélange de situations livresques et très éloignées. D’ailleurs, l’amour de loin inspire toujours, de même que les voyages impossibles, les traversées infinies, le défi héroïque de la fatigue et de la mort, rien que pour se faire dire « Non, c’est trop tard ».
D’ailleurs, la Tatiana aimée par Onegin a quelques points en commun avec la dame au petit chien créée par Anton Tchekhov et aussi avec Lara, l’héroïne du Docteur Jivago de Boris Pasternak.
Je ne peux pas éviter de voir moi-même comme un personnage de film, au terminus de la traversée de la Russie et de la Sibérie. Que ferais-je si j’y rencontrais une Tatiana — ou une Lara au petit chien — prête à m’accueillir dans sa Dacia ? Resterais-je auprès d’elle ? Serais-je capable de m’effacer du monde comme une multitude de soldats de la Seconde Guerre l’a fait et couper net, en laissant toute ma vie à mes épaules ?

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Une fois disparues les musiques incontournables de Tchaicovski, la classe et la force d’Ingrid Bergman suggèrent une sorte d’inaccessibilité. Mais ce n’est pas la même inaccessibilité caractérisant certains personnages de Kim Novak. Il y a des différences énormes entre elles. Et je ne sais pas lequel de leurs partenaires envier le plus. Car dans Vertigo James Stewart avait affaire avec une femme alternant une élégance gelée et inaccessible avec un attirail physique, voire érotique, sans bornes. Tandis que la beauté d’Ingrid dans Notorious [13] s’exploite surtout dans la sensualité du visage, dans le profil unique, dans son air sérieux qui peut s’ouvrir d’un moment à l’autre dans une embarrassante et touchante explosion de sincérité.

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Je ne peux manifester que de l’enthousiasme absolu vis-à-vis de B.B., la « diva » qui a longuement occupé une position centrale dans mon imaginaire juvénile. Et je la trouve très adaptée au rôle frustrant et frustré que Godard lui assigne dans Le Mépris [14], car cela n’empêche pas le réalisateur de créer autour d’elle un filtre ou une vitrine à la Hopper, au-delà de laquelle on peut toujours apprécier ses qualités, même exaltées par la nonchalance obligée de son rôle. Pourtant, si Ciné-Clic m’en donne le temps, je ressens avec urgence le besoin d’exprimer une petite critique, vaine et déplacée, mais sincère. En fait, je ne comprends plus le sentiment décalé et froid de Moravia, écrivain qu’un jour j’aimais, auteur du roman homonyme auquel Godard s’était inspiré. Parmi les auteurs des années cinquante et soixante, je préfère maintenant les écrivains comme Natalia Ginzburg, Dino Buzzati et Giorgio Bassani. En ce dernier, je découvre de grandes affinités avec Antonioni. À l’aliénation du Mépris, où Godard semble se complaire, de quelque façon, des malaises existentiels qu’il décrit, je préfère l’incommunicabilité amoureuse dont parle Antonioni, qui trouve d’ailleurs en Monica Vitti une alliée extrêmement positive.

Giovanni Merloni

(vous trouverez la troisième et la quatrième C jeudi 10 et vendredi 11 octobre)

[1] de Michelangelo Antonioni, avec Daria Halprin et Mark Frechette (1970) de Louis Bunuel (1967)

[2] de Nikita Mikhalkov, avec Elena Safonova, Marcello Mastroianni et Silvana Mangano (1987)

[3] Xavier Cugat, musiciste, travaillait en couple avec sa femme, Abbe Lane (années 1950)

[4] de Robert Wise et Jerome Robbins (adaptation cinématographique du drame musical américain crée en 1957 par Leonard Bernstein, Stephen Sondheim et Arthur Laurents inspiré de la tragédie Roméo et Juliette de William Shakespeare) (1961)

[5](Sueurs froides) de Alfred Hitchcock avec Kim Novak et James Stewart (1958).

[6] de Claude Lelouch avec Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant (1966)

[7] de François Truffaut avec Marie Dubois, Charles Aznavour, Nicole Berger, Michèle Mercier et Jean-Jacques Aslanian (1960).

[8] de Louis Malle, avec Lea Massari et Benoît Ferreux (1971)

[9] de Giuseppe De Santis, avec Silvana Mangano et Vittorio Gassmann et Raf Vallone (1949)

[10] de Marcel Carné (du livre de Pierre Mac Orlan), avec Michel Morgan, Jean Gabin, Michel Simon et Pierre Brasseur. Scénario de Jacques Prévert (1938).

[11] de François Truffaut avec Françoise D’Orléac et Jean Desailly (1964)

[12] de Martha Fiennes (du roman en vers Eugène Onéguine de Pouchkine) avec Liv Tyler et Ralph Fiennes (1999)

[13] de Alfred Hitchcock, avec Ingrid Bergman et Cary Grant (1946)

[14] de Jean-Luc Godard (du roman de Alberto Moravia), avec Brigitte Bardot (1963)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 8 octobre 2013

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C ou Cherchez la femme I/IV (alphabet renversé de l’été 2013 n. 27)

06 dimanche Oct 2013

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Louis Bunuel, michelangelo antonioni, monica vitti

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« Cherchez la femme ! » C’est une expression typique d’Hercule Poirot, figurant dans la presque totalité des romans d’Agatha Christie, où celui-ci joue le rôle du sournois trouble-fête. Une espèce d’œuf de Colomb freudien. Un mobile aussi banal que caché, le plus soigneusement caché dans la plupart des hommes, se révélant tôt ou tard de réels ou potentiels assassins par amour.
Et c’est maintenant que tout cela se révèle, juste à l’avant-dernière lettre de cet incomplet et bizarre alphabet renversé, sans attendre le dénouement final ni respecter non plus les règles du rythme et du format. Un personnage encombrant, qui hante désormais, comme un fantôme inquiet et rebelle, les Coins les plus reculés de ma vie fictive, a finalement voulu que l’impatience la plus invétérée prenne le dessus.
 Que se passe-t-il ? Quoi d’autre se cache-t-il dans cette C. Complice, qui veut Courir Coûte que Coûte  au Commissariat pour Confesser ?
Est-elle, la C., la lettre Clé de ma vie ? Ou, au contraire, en est-elle le Clou fastidieux, le tourment souterrain et durable, le Cadavre dans le placard, le Corps secret ? Et de quel Corps s’agit-il, de mon propre Corps, usé, Connu et sans éclats ? Ou plutôt du Corps rond et indéfinissable d’une femme Colonne, d’une Copine inlassablement Chérie et Convoitée, tellement réelle que les Coïncidences et le Circonstances de sa vie — et de celle de mon personnage principal — l’ont enfin Contrainte à devenir une espèce de Catharsis ambulante dans les méandres vides de mon labyrinthe mental ?
Je ne veux et peut-être je ne peux dire plus. Car, même si je l’ai rencontrée plusieurs fois, même si elle ressuscite comme le phénix dans d’autres regards et d’autres sourires, même si parfois elle se daigne de me tenir Compagnie dans une Camaraderie Calme ou Cochonne, elle voudrait se dérober à tout Croisement, Contact, Caresse ou Coup de fil.

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À Rome, on dit « pezzo di Marcantonio » lorsqu’on veut parler d’un homme grand et Costaud que les femmes sont obligées d’aimer, devenant d’emblée victimes d’un Coup de foudre aussi inexorable que périssable et banal.
D’ailleurs, c’est toujours comme ça que les Choses de l’amour se présentent si on les observe de l’extérieur, c’est-à-dire d’une position Commode.
L’amour entre Marc Antoine et Cléopâtre [1] représente un Cas typique qui n’est pas banal du tout, un Cliché qui va se répéter éternellement, toutes les fois que l’amour et le pouvoir se croisent : le pouvoir de l’amour — c’est-à-dire de la femme sur l’homme et vice-versa — et le pouvoir sur les hommes en général. Aujourd’hui, on appellerait ce deuxième « pouvoir politique » ou « gloire sur terre », ou…
Mon personnage n’a pas de nom. Toujours engagé dans sa quête impossible, peut-être narcissique et sans répit, dans des labyrinthes où sa Copine Chérie n’est jamais à sa place, comme la Marinette de Brassens, il ne s’appelle pas Marc Antoine, tandis qu’elle n’est pas une Cléopâtre. Il ne ressemble pas à Richard Burton tandis qu’elle n’a que quelques lueurs secrètes dans les yeux en commun avec Elizabeth Taylor…
Pourtant Cléopâtre, avec son air de sphinx en Chair et os, pourrait efficacement correspondre à la femme cherchée par Hercule Poirot. Ainsi, cette petite divagation servira, mes chers lecteurs, à jeter un rayon de lumière sur le sens ultime de cet alphabet renversé, que je considérerais comme la recherche d’un Corps ou, plus exactement, de deux Corps perdus. Une recherche proustienne, oisive et parfois obsessionnelle.

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Hier soir, en songeant à cette femme sans Corps et sans nom, je suis redevenu enfant. Car j’aurais voulu appeler mon âme jumelle et goutte d’eau par un mot désignant une activité humaine qui va disparaître elle aussi et que j’aime de façon spasmodique : la belle Calligraphie. Cela me fait souvenir de ma Classe, de mes Camarades, de la Craie dessinant des Consonnes arrondies sur l’ardoise, du Crayon rouge et bleu de notre maîtresse posé nonchalamment sur la Chaire, des Cahiers où tout cela se fixait sur les pages, se multipliait, jusqu’à en Corner les Coins…
À l’âge où la belle Calligraphie était la chose la plus importante, pour la peur des reproches ou même des châtiments on remplissait des pages et des pages de lettres arrondies ou étroites ou Courbées, essayant de leur donner une personnalité exquise. Et l’on repartait « da Capo », derechef, toutes les fois que quelques accidents arrivaient dans le parcours vers la gloire d’une soupe chaude. La Coquille c’était une tache d’encre que la gomme à plume ne réussissait pas à effacer. Une jambe en plus ou des Copeaux inattendus dans des lettres distraites… On se faisait des illusions, déjà à cet âge d’objective innocence. On espérait effacer la « faute originelle » en remplissant un nouveau cahier de lettres polies, ordonnées de façon militaire, impeccables…
Hier soir, à cet âge spéculaire — lorsqu’il me manque à vivre peut-être les mêmes six ou sept années que je venais alors de cumuler, ou même moins — j’ai ressenti le besoin de parcourir à nouveau mon alphabet pour comprendre les Causes de ce Conflit intérieur Contraignant mon Cargo à s’arrêter.
Je devais remonter à nouveau vers la source et parcourir toutes les étapes de mon voyage à la recherche des traces d’un Corps et d’un nom, perdus les deux ensemble derrière un D, ou un F, ou un U… Ou enfin, atteindre ce Z tracé avec l’épée de Zorro, pour effacer ou jeter les traces dans la poubelle…
Une fois horizontal, dans mon lit, je me suis tout de suite rendu compte que je n’aurais pas dormi. Un long travail m’attendait.
D’ailleurs, à force de progrès, après une suite d’outils de plus en plus sophistiqués — comme les smartphone, le wi-fi et la clé-3G — on avait inventé ce qu’il me fallait. Beaucoup plus performant vis-à-vis de la machine pour faire l’amour que Woody Allen avait inventé dans le Dormiglione. Je l’avais déjà envisagé un truc comme ça, en Italie, au temps où j’avais « inventé » la trottinette-parapluie (le « monopattino-ombrello »). J’avais appelé ce miraculeux machin « fantaschermo buio ».
Aujourd’hui, on peut installer cet outil assez facilement. On le trouve partout, c’est gratuit et n’a pas de prix. Il suffit d’éteindre la lumière en créant l’ambiance noir fondu d’un cinéma. Oui, des rideaux occultant du BHV peuvent suffire…
C’est un truc qu’on installe directement dans notre cerveau au cours d’une séance de quinze secondes qui peut se tenir aussi bien chez Darty que dans les bureaux d’accueil des principales stations du métro parisien.
On m’avait assuré que je n’aurais rien ressenti. Je me suis donc rendu l’esprit confiant dans le confortable sous-sol du métro Bastille, je me suis assis dans un fauteuil rose foncé et j’ai attendu sans bouger.
Sortant à l’extérieur, dans une journée pluvieuse comme d’habitude, j’ai eu l’impression que la colonne avait changé de place. Rien d’autre, à part un sous-fond d’agitation qui me Coupait les jambes et le souffle. J’aurais voulu partager avec mon frère l’émotion de cette nouvelle chance cinématographique qui s’ajoutait. Mais, j’ai eu peur qu’il ne me croirait pas. Ou alors qu’il m’aurait dit que cela n’existerait pas s’il n’y avait pas eu les frères Lumière, s’il n’y avait pas eu la Calligraphie, s’il n’y avait pas eu la main…
Apparemment, la main ne servira plus. À part les étreintes amoureuses, destinées elles-mêmes à disparaître. On ne vivra que d’images… et d’obsessions !
Hier soir, j’essayais de me souvenir de ce drôle de voyage où chaque Carrosse avait dû Contenir des Contes, des noms Célèbres, des souvenirs Célestes… Je comprenais vaguement que je n’aurais jamais franchi la porte de Charenton si je n’avais pas présenté au Contrôleur la liste des passagers du train Caen-Cannes. Et je me préparais à déclarer aux policiers : « Oui, je me suis voué Corps et âme à la contrainte alphabétique, mais je n’aime pas du tout les listes. Car chaque choix, même le plus constructif, comporte aussi des exclusions. Sans considérer les listes ayant le but d’identifier l’un et l’autre pour le persécuter ou le tuer… »
Juste à ce point il arriva quelque chose à mes épaules. C’était le Déluge, l’Envie de Fuir, la Gêne de vivre, la Honte, le sentiment d’Inutilité, le Jacassement d’un Koala ou d’un Loup, la Mort même… Non, je n’Oublie Pas les Questions Ridicules Soulevées dans le Train Unique Voyageant vers la Waterloo …. X, Y et Z…

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Hier, j’étais dans mon lit. Seul. Devant moi, une nuit étrange m’attendait. Je regardais la paroi devant moi et j’essayais de remonter vers la source de mon fleuve alphabétique sans vouloir réfléchir à la véritable origine de mes maux. Petit à petit, je comprenais qu’on m’avait laissé faire, on m’avait laissé libre de parcourir à rebours cette route que tout le monde entame par le juste lieu, par la juste station. Je devais considérer qu’il y aurait eu, tôt ou tard, un passage douloureux, une fourche Caudine…
Avant de déclencher mon Ciné-Clic, version évoluée du « Fantaschermo buio », je suivis les instructions :
Fermez bien la fenêtre ou les fenêtres
Assurez-vous que vos rideaux occultant ne laissent pas entrer la lumière de dehors.
Éteignez toutes les sources d’illumination à l’intérieur du lieu choisi
Asseyez-vous ou bien étendez-vous juste en face d’une paroi quelconque, à condition que vous ne voyiez rien, grâce à l’étanchéité totale du noir que vous auriez réalisée.
Donnez-vous une contrainte quelconque pour obtenir la concentration du cerveau et sa disponibilité à voyager dans le labyrinthe de votre choix.
Enfin, lorsque vous serez bien plongé dans votre obsession, vous pouvez tranquillement faire démarrer Ciné-Clic…
J’écris sur une ancienne tablette à laquelle je suis très affectionné, j’écris ce dernier passage, très délicat :
Quand vous serez prêt, fermez les yeux. Comptez jusqu’à trois avant d’ouvrir l’œil gauche. Restez comme ça pendant quinze secondes, puis refermez les yeux. Réfléchissez un moment à ce que vous vous attendez vraiment puis ouvrez grands les yeux. Vos sourcils auront fait deux déclics. Le premier pour mettre en marche le programme qui flotte dans le nuage invisible de l’Iciné-Cloud, le deuxième pour faire démarrer votre séance.
Sans trop m’arrêter sur le sens menaçant de ce terme – séance – glissé nonchalamment dans les instructions, je me fais courage, avant de prononcer dans mon esprit un nom quelconque : Anna. Je continue : Arbre, Alouette, Amitié, Amour, Aventure…

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J’ouvre l’oeil gauche. Je le referme, je compte, essayant de rester calme. Tout de suite après, j’ouvre grand les deux yeux et je vois Monica Vitti dans L’Avventura [2] de Michelangelo Antonioni (1960)… Mais ce n’est qu’un flash, juste le temps de voir un visage très jeune, égaré, surpris et comme endormi.

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J’ose continuer ce qui aurait été normal de faire bien avant d’entamer ce voyage en contre-courant sur les rails abandonnés… B comme Brume, Bonté, Beaujolais nouveau, Beauté… Belle de jour [3] de Louis Bunuel (1967) ! Et je vois Catherine Deneuve lorgner dans un petit trou…

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Non, ça ne marche pas. Depuis sept ou huit minutes, je replonge dans le noir. Apparemment, Ciné-Clic, ce truc ultramoderne au nom légèrement rétro ne marche pas. Je m’interroge longuement et m’inquiète, même si je n’ai rien payé. Où est le Caillou qui a empêché le passage du liquide invisible ayant le pouvoir de tout ressusciter, même les Cailloux ? C’est peut-être un mot, c’est-à-dire un nom, ou tout simplement un prénom qui commence par C ?
La porte s’ouvre. C’est ma femme. L’enchantement est Coupé, Cassé, surtout Censuré. Mais quelques échos de mes déclics brisent l’embarras du moment : tu es en train de faire l’amour avec ton alphabet ? me Crie Claudia avant de refermer la porte.

Giovanni Merloni

(continue mardi 8 et jeudi 10 octobre)

[1] de Joseph L. Mankiewicz avec Elizabeth Taylor et Richerd Burton (1963).

[2] de Michelangelo Antonioni (1960)

[3] de Louis Bunuel (1967)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 6 octobre 2013

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D, un Dada pour Don Giovanni (alphabet renversé de l’été 2013 n. 26)

01 mardi Oct 2013

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Denis Diderot, Karl Böhm, Leporello, mozart

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Dans les années cinquante, en Italie, la rentrée scolaire tombait toujours le 1er octobre.

001_1 octobre 180Devoir à Domicile : « Désinvolture et Délinquance de Don Giovanni. Décryptez et, si nécessaire, Démystifiez ce Diabolique Deus ex machina de la Démesure où Demeure D’ailleurs un Décalage entre le De profundis et le Diapason d’une Danse Débridée. »

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Après la Dictée du Devoir le Déluge.

Dès le Début du Dimanche Dernier, je Demeure assez Détourné par la Disparition de la voyelle E, à laquelle je n’ai peut-être pas Dédié assez d’attention. Donc, en Débarquant dans les Délices Douces-amères du « D », je ne sais pas, tout D’un coup, me Débrouiller.

Et je me Découvre Démuni et presque Dément Devant le Devoir ci-Dessus, D’ailleurs très Difficile à Développer. Un Devoir qui Défie toute Dévotion Due à la Douce patrie d’Antoine Doinel.

Dérangé par toutes ces Devinettes, j’essaie Donc de me Dérober au Devoir du Devoir, en m’allongeant sur un Divan du Dortoir : « Dorénavant et Désormais, je Dormirai jusqu’à Demain », je me dis, le Dos renversé contre le Dossier du lit.

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Tout D’abord, je ne réussis pas à me Détendre. Depuis, Dopé par une Double Dose de Doliprane, je plonge dans le Délire Douillet de Discours à la Dérive se mêlant au sommeil…

Derrière les Dolmens, au-Delà du Domaine des Ducs de Bretagne, je Devine des figures… et D’emblée, par un Divin Déclic, une véritable Déesse, Diane je dirais, Démarre une Danse Dangereuse sur le Dos ou la pointe de mon Doigt, en y Dessinant Dessus le Dôme d’un invisible Domicile Doré.

Déjà, par ses gestes Dignes et Délicats, la Danseuse au généreux Décolleté me fait bien entendre qu’elle va m’entraîner dans une Dangereuse Dérive de Douleur et même de Désespoir.

Désemparé, je poursuis son Dessin, en Descendant au Dedans d’un petit Donjon, unique construction qui tienne Debout, située à l’orée d’un Domaine Dont la plupart des Défenses ont été Désormais Détruites.

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« Qui êtes-vous ? »

Déguisée en Demoiselle en Deuil mon guide Déclare : « Je suis Donna Anna, une pauvre Douce Demoiselle ayant eu (quel Dommage !) un Destin Difficile. J’avais rencontré Don Giovanni juste avant que mon père puisse me Donner en épouse à Don Ottavio… »

« Pouvez-vous me Dévoiler quelques Détails sur la personnalité Double… oh, pardon, trouble, de ce Démon nommé Don Giovanni ? »

« Décrire l’âge D’or ou le Déclin de Don Giovanni ce n’est pas Drôle du tout… » me répond-elle, avant d’entamer, la voix Désarçonnée, tout en Dodelinant de la tête, la Description des nombreux Délits que ce monstre Damné a commis…

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Tandis que Donna Anna chante, je Dors d’un sommeil léger. « Et vous ? » D’autres silhouettes, Déambulant sur le Damier, pointent leurs Doigts vers mon Divan. « Croient-ils que c’est moi Don Giovanni ? » Du coup, je voudrais noter sur le Dos de la main gauche mes Doutes, qui se Doublent au fur et à mesure que Donna Anna devient Donna Elvira ou Don Ottavio ou même le serviteur Dévoué de Don Giovanni jaillissant de temps en temps, comme un Diablotin, derrière le Damas du rideau…

Dérangée et presque Débile, Donna Elvira s’écrie : « Dov’è ? Dov’è ? Où s’est-il caché ? », tandis que Don Ottavio, grinçant des Dents, chante : « Depuis sa paix Descend la mienne… ».

En fait les Deux Dames, Debout près du Débarcadère, semblent Dédramatiser plutôt que Déblatérer contre les Délits de Don Giovanni, tandis que les hommes Dupés se Débrouillent très bien dans leurs vaines Démonstrations contraires.

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« Est-ce que vous pouvez m’aider à remplir mon Dossier ? Je peux vous payer, bien sûr ! »

« Je suis Désolé, me répond le serviteur Dévoué, mais nous Devons décliner votre offre Démesurée car Dans notre Dictionnaire plein de Dictons et Définitions Détaillées nous ne pouvons Discerner, à ce sujet, que Douleur et Désinvolture. Prenons pour exemple ce vieux Disque microsillon : Direction, Karl Böhm. Don Giovanni y Défile ou bien il y glisse tout en répétant ce que Lorenzo Da Ponte lui laisse Déclamer avant le fatidique Dîner où son Destin Dramatique se Dénouera au milieu de Décors très Dignes. Voyez-vous, tout se répète à l’infini. Et pourtant il est insaisissable comme un Daim… »

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« Damné à me charger des Débarras les plus Durs, Délégué dans des Devoirs assez Drôles », poursuivit le serviteur Dévoué « j’ai Dû Décrire dans un long Dossier les Démarches Diaboliques de ce Dragon vert se Détachant comme une ombre Délicieuse derrière les Dentelles des Dormeuses… Ô Destin d’un Dessinateur de Débandades d’hommes Désabusés ainsi que de Déceptions de Dames Domptées ! Ô Dessin Dada du Dos d’une Dame Déshabillée par un Diable Déguisé en Destin Débonnaire et Doux… Ô Dépouilles du violon D’Ingres ! »

Pause Décisive du serviteur Dévoué, qui reprend Délicatement : « D’ailleurs, mon patron et Despote est aussi un homme assez banal, comme moi, ainsi que tous les autres Damoiseaux et Demoiselles de son entourage. Dans les anciens ou modernes Diaphragmes des appareils photo — tout comme dans les Dessins de Daumier, David ou Delacroix — des Défroques animées Défilent par milliers en passerelle sans jamais nous Dire s’ils ont été invités ou pas aux somptueux dîners de Don Giovanni… »

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À l’arrêt du Disque, seul et Déçu, je Dure dans de beaux Draps. Il n’y a plus de Dérobades possibles. Où que je prenne la question — D’en haut, D’en bas, en fouillant dans les Dépôts de Drouot ou dans l’encyclopédie de Diderot —, il n’y aura jamais une route de Damas où ce diable puisse se démentir. Cependant, il ne sera jamais si dégoûtant aux yeux des hommes même les plus envieux ni des « Donne »  les plus Dévotes.

Paul Anka, Diana (1958)

Giovanni Merloni

(cliquez sur les images pour les agrandir)

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 1 octobre 2013

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E ou Existence en vie (alphabet renversé de l’été 2013 n. 25)

29 dimanche Sep 2013

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Pinocchio

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Ex abrupto, passer du F à la voyelle « E » m’obligerait d’Exploiter un Examen Excessivement Exact ou Exaspéré, au risque d’Exhiber certaines Extravagances Extracommunautaires ou Exaltations Extraconjugales, sans compter une possible Extension à tout ce qui m’est arrivé d’Excentrique ou d’Exceptionnel dans ma vie Exécrable ou Exemplaire.
Je ne crains pas vraiment d’être Excommunié Ex cathedra par le jugement aussi Exacerbé qu’Extemporané de mes Examinateurs ou Exacteurs. Je ne crains pas non plus d’être Exproprié de mon Exagération Explosive ni de voir Extirpée mon Exubérance, mon Exigence Exponentielle d’Existentialisme.

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Giovanni Merloni, image d’un tableau qui n’Existe plus en entier (cliquer pour l’agrandir)

Expatrier ce n’est pas qu’Exploiter une Excursion Extra-moenia. Même dans le cas où l’Exil ne ressemble pas à une Expulsion, et qu’on n’est pas considérés comme des Excréments Excédants ou comme des Exemples d’une Exclusion dictée par l’Extériorisation d’Exigences Exagérées vis-à-vis des possibilités de plus en plus Exiguës d’un pays Excellent sinon Extraordinaire.
Exit. Cette Exhortation puissante et Excitée vers l’Extérieur ne peut pas devenir une Excuse Exhaustive pour Extorquer un Expresso ni pour en Exiger l’Exhalation Exquise.
Pourtant, l’Export est admis pour une œuvre Expressionniste Exhibant un corps féminin Exténué et Exsangue dans sa nudité Exclusive. On fait volontiers Exception et l’on Exulte même vis-à-vis de l’Exactitude d’un Exercice Exécuté Exprès par un artiste aux Exordes.
Voilà un Ex-voto sans liens Externes s’attendant à l’Exclamation et à l’Extase d’un prix Ex æquo, avec le flux Extra d’un public Exterminé, jusqu’à l’Extinction des billets.

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Rijksmuseum, Amsterdam (cliquer pour agrandir l’image)

E ou Existence en vie

Rien de plus adapté à un alphabet renversé que cette sensation de renversement de l’existence même qui me touche parfois, ou pour mieux dire périodiquement, lorsque j’ai affaire avec mon pays d’origine pour de questions bureaucratiques assumant presque toujours un semblant dramatique et pervers.
La petite anecdote dont je parlerai se lie très strictement au sentiment de la « disparition » que le rendez-vous avec la lettre « E », donc avec Georges Perec, inévitablement me suggère. Mais, cela va même au-delà. Car je suis resté étonné quand m’est arrivée de l’Italie, il y a deux jours, l’injonction de l’attestation « d’existence en vie » : — est-ce que vous vivez encore ou alors vous êtes déjà mort ?
Comment ? On sait tout de nous, le  nom du lycée que nous avons fréquenté, notre anniversaire, le lieu où nous avons pris notre dernière photo, sans compter la banque et les fichiers sanitaires… nous sommes obligatoirement inscrits, près du Consulat, à l’association des Italiens résidents à l’étranger (AIRE), directement branchée aux bureaux de l’état civil des communes de provenance… et l’on nous dit de répondre tout de suite, dans le moindre délai, afin de déclarer, comme Monsieur de Lapalisse, que nous sommes encore vivants, au risque de perdre notre pension ?

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Mais, ce qui m’a étonné le plus, c’est le fait que je dois envoyer cette réponse, non pas à l’Institution chargée de garantir ma retraite, ayant un nombre infini de sièges et de boîtes postales en Italie. Non, messieurs-dames, cette Istitution est trop chargée pour s’occuper des éventuelles « âmes mortes », elle a délégué une société intermédiaire et je dois envoyer cette déclaration indispensable « par avion », dans le Royaume Uni !
Je me demande si c’est à moi de déclarer mon existence en vie, ou plutôt à cette institution fantôme qui n’a même pas le moyen d’entretenir une correspondance directe !

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Delft 2013, cliquez por agrandir l’image

Voilà, si l’on ne meurt pas et que l’on survit, on est obligé de suivre de près la parabole descendante d’un glorieux contrat social d’antan qui plonge — avec nous ou avant nous ? — dans un néant sans remède.
J’exagère ? Évidemment tout le monde me le dit depuis mon âge le plus tendre. Pourtant, ce sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant ceux qui disent aujourd’hui ce que je disais hier. Personne n’accepte, bien sûr, mon analyse actuelle ni surtout les trop simples remèdes que je pourrais essayer d’imaginer, mais je n’exagère pas. Pourtant, je me tais, de peur d’être écrasé par un Pinocchio quelconque sous le poids d’un gigantesque marteau. Ce serait embarrassant, en plus d’être classé comme le pauvre Grillon parlant sans l’être.

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Amsterdam 2013, Bibliothèque Rijksmuseum (cliquer pour agrandir l’image)

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication et Dernière modification 29 septembre 2013

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