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Pierangelo Summa : son génie généreux et clairvoyant marche avec nous

06 samedi Fév 2016

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Il m’arrive souvent de constater que les gens de génie, au bout de leur existence, sont punis par une maladie qui les touche, inexorablement, dans le point le plus vivant et essentiel de leur expression artistique.
Parfois, la nature se trompe, en privant par exemple Edward Hopper de l’ouïe au lieu de la vue ou de l’usage des mains, en lui donnant, pour ainsi dire, en échange, la possibilité de raconter à la postérité son étrange univers ouaté, sa vision « égarée » des rapports humains en deçà et au-delà d’un gouffre.
Même Homère, complètement aveugle, a pu tout de même développer sa dramaturgie poétique, apprenant et débitant par coeur ses édifiantes batailles, tandis que Tirésias, pour mieux regarder dans le futur, pouvait renoncer sans trop de tragédies à sa vue d’homme ou de femme.
Mais je ne pourrais jamais amoindrir le poids de la souffrance de Ludwig van Beethoven, frappé dans l’organe le plus important pour un musicien… ou de ce grand coureur des cent mètres qui finit sur un fauteuil roulant… ou d’Auguste Renoir, qui tomba de bicyclette, compromettant son épine dorsale tout en perdant progressivement l’usage de la main.
Certes, Renoir peignit jusqu’à la mort, tandis que Beethoven réussit à voir dans le noir de sa surdité les notes de sa neuvième symphonie, sans en perdre une mesure ni la moindre nuance.
Par contre, combien devait-il souffrir ce grand peintre italien du XXe, Carlo Levi, quand, devenu désormais aveugle, il essayait tout de même de laisser une trace de son travail interrompu, peignant à l’intérieur d’un filet suspendu au-dessus de la toile qu’il appelait « cahier en forme de grille » ?
D’autres grands hommes, comme Michelangelo Antonioni, ont dû passer les dernières années de leur vie dans un état de confusion ou d’absence, ayant perdu par le seul déclic d’une maladie invisible la force aiguë et inépuisable de leur raisonnement, de leur faculté d’inventer, de scandaliser, de renverser les paramètres donnés et finalement de transmettre une forme nouvelle d’art et de culture.

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Pierangelo Summa : son génie généreux et clairvoyant marche avec nous

Pierangelo Summa a été l’un de ces génies uniques et extraordinaires dont le généreux parcours artistique a été interrompu par un mal sournois qui ne se borne pas à toucher un seul organe ou un seul sens, mais agresse progressivement tout le corps. Il était justement un artiste ayant dans le corps son primordial instrument de communication et d’expression : le corps humain dans ses élasticité et adaptabilité aux différentes actions ou émotions ; les corps en masque des marionnettes ou des pantins, plus ou moins élastiques ou sans moelle, qu’il réalisait de ses mains ou bien qu’il faisait revivre dans les corps d’acteurs vrais ou improvisés. En mettant en valeur la « seconde vie » de chacun de nous, c’est-à-dire la vie du corps, Pierangelo Summa a inventé et fait connaître un théâtre — « à l’envers » ou « à l’improviste » — où l’ancienne tradition de la « commedia dell’arte » italienne fusionne « dialectiquement » et « ironiquement » avec le théâtre engagé, depuis la tragédie grecque jusqu’à Jean Genet.

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Créateur de masques et animateur de spectacles de rue par vocation spontanée, Pierangelo Summa a été sans doute un des chefs de file du mouvement théâtral italien des années 70, exploitant la plupart de ses activités artistiques en Lombardie, où une richissime tradition de chants et spectacles populaires trouvait un repère en des figures charismatiques comme Giorgio Strehler et Dario Fo, entre autres. Si la fameuse mise en scène de « Arlequin serviteur de deux maîtres » ne fut pas indifférente au jeune Summa, en raison de l’importance qu’on y accordait au rôle du masque, le « théâtre du mot » de Dario Fo, avec son formidable travail de récupération du mélange linguistique des dialectes de la vallée du Pô, devint le deuxième pôle de la formation du Summa plus mûr et ouvert au nouveau. Mais, il faut attendre un événement assez important, que j’appellerais crucial pour le développement organique du style le plus typique de la mise en scène théâtrale de Pierangelo Summa: son déplacement à Paris. Peut-être, la pleine conscience de l’importance dialectique et ironique du corps par rapport au masque et au mot n’aurait-elle eu un développement si prodigieux en lui si l’artiste ne s’était pas plongé à fond dans la culture française aussi que dans son vaste et stimulant univers théâtral.

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Pierangelo Summa à Radio Aligre, Paris 2011

Pierangelo Summa et son frère jumeau, Massimo, ont grandi, étudié et travaillé à Como, mais ils font partie d’une famille originaire de Casalvieri, un petit village de la « Ciociaria » (en province de Frosinone) au sud de Rome, situé au beau milieu d’un paysage de montagne paisible et sauvage encore aujourd’hui. Donc, tous les étés, la famille Summa se rendait à Casalvieri pour y passer de longues périodes de vacances en pleine liberté. Vis-à-vis de la « ville » moyenne de Como, léchée de l’un de plus beaux lacs d’Italie, Casalvieri représentait la nature dans son état primitif, ancestral. Avec l’affection chaleureuse d’une belle famille traditionnelle, les frères Summa trouvèrent à Casalvieri leurs premières « fiancées ». De sa plus tendre adolescence, Pierangelo y rencontra Mirella, sa cadette de trois ans. Mirella, née à Paris, où elle vivait pendant le reste de l’année avec sa famille qui s’y était récemment installée, parlait depuis toujours un français parfait, sans accent, tout en étant parfaitement bilingue, sa mère lui ayant transmis l’italien et peut-être quelques phrases du dialecte de Ciociaria aussi. En été, l’appel de Casalvieri valait aussi pour la famille de Mirella qui ne manquait pas d’y accourir toutes les années.

Version 2 Pierangelo Summa avec Patrizia Molteni de Focus In, Parigi 2011

Dès lors, Mirella a été la compagne de la vie de Pierangelo Summa. Pendant à peu près vingt ans, ils ont vécu à Como, où travaillaient tous les deux. Pierangelo, dans les heures libres de son emploi « alimentaire », fabriquait des masques magnifiques et montait des spectacles où le théâtre « improvisé » et le théâtre de rue s’ajoutaient aux exhibitions plus typiques des cirques, peuplées de mangeurs de feu et de funambules avançant sur des échasses. Mirella, la « mathématicienne » de la famille, suivait avec enthousiasme son mari en toutes ses initiatives théâtrales, en participant activement, entre autres, à un travail important et fouillé de récolte de chants traditionnels et de contes populaires en plusieurs réalités locales du Nord de l’Italie. En cette période, Pierangelo Summa fut chargé pour la première fois de la direction de la Fête di Isola Dovarese, qu’il remplira pendant des années. Dans ce village, pendant une semaine se succèdent encore aujourd’hui des spectacles théâtraux et musicaux avec d’autres attractions « improvisées ».

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Le jour où Mirella rentra à Paris pour y travailler à l’université, Pierangelo la suivit avec leurs deux enfants Sara et Robin, en décidant de consacrer tout son temps à la mise en scène de spectacles théâtraux, avec l’intention d’y introduire des masques et des marionnettes empruntés à son riche univers fantastique.
Sans jamais interrompre les liens avec le monde fabuleux de son inspiration originaire, qu’il fit connaître et apprécier aux nouveaux amis français aussi, Pierangelo Summa découvrit à Paris et en France un contexte extrêmement favorable à ses interprétations originales des textes d’auteurs en eux-mêmes originaux. C’est le cas des « Bonnes » de Jean Genet. Une pièce que Summa a rendue encore plus provocatrice et explosive à travers le paradoxe du remplacement du personnage de Madame par un pantin-marionnette de taille humaine, qu’il avait fabriquée de ses mains.

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C’est le cas aussi de Dario Fo… Pour cela, je peux me réjouir d’un souvenir personnel, remontant au dernier trimestre 2011. Sous la direction de Pierangelo Summa, ma fille Gabriella a interprété alors le rôle de Maria dans « Une femme seule » de Dario Fo au théâtre des Déchargeurs à Paris. Avec l’aide artistique et manuel de mon fils Paolo, j’ai participé moi même à cette expérience, réalisant tant bien que mal, selon les indications de Pierangelo, toujours claires et bienveillantes, les très simples décors qu’il avait conçus : deux ou trois encadrements vides, peints en rouge ; une espèce de « carreau suédois » destiné au bout de la scène ; un tabouret ; un téléphone gris avec le fil et finalement un pistolet jouet. Tout cela a été plus que suffisant…
Je ne peux pas oublier la voix de Pierangelo, ni son intense regard bleu céleste (« Piero » était-il un « Angelo » ?) capable d’écouter les autres, dissimulant son courage au-dessous d’une patine d’incessante ironie et auto-ironie.
À cette époque-là, notre metteur en scène combattait déjà avec le Parkinson, cette maladie qui se sert d’un nom presque amusant… et au contraire, hélas, se manifeste comme l’une des plus terribles tortures à endurer pour un être humain.
Pendant le spectacle de Gabriella, couronné au final par le succès et la reconnaissance de la critique, Pierangelo ne manquait jamais au rendez-vous : attentif, exigeant, parfois sévère, il était toujours souriant. Nous étions devenus amis. Il dit une fois, peut-être en raison de notre âge très proche, que j’aurais pu être pour lui comme un frère. Mais son affection allait surtout à Gabriella et à Paolo.
Après le spectacle, à cause de devoirs en grand nombre, et aussi pour des préoccupations et des deuils familiaux, on s’est perdus de vue.

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J’allai avec ma famille au complet rendre visite à Pierangelo et Mirella Summa vers la fin 2014. Nous fûmes tous ravis de nous rencontrer, émus et contrariés en voyant sur le visage serein et indomptable de cet homme généreux les traces évidentes d’une aggravation de son état de santé. Malgré la fatigue et l’émotion, Pierangelo eut un mot affectueux pour chacun de nous. On réussit aussi à nous dire « cin cin » à l’italienne et aussi à « rencontrer » via Skype sa fille Sara, qui était en ce moment-là à Berlin.
Ensuite, Mirella se chargea de parler pour tout le monde, en nous racontant tout ce qui s’était passé et, en même temps, en nous transmettant fidèlement ce que Pierangelo aurait voulu, j’en suis sûr et certain, dire lui même. Mirella fit le récit du calvaire que son mari était en train de subir, mais aussi des extraordinaires activités artistiques qu’il avait su accomplir, avec la complicité de sa fille Sara, qui d’ailleurs avait admirablement joué dans ses dernières pièces tout en l’aidant aussi dans un autre projet plus important, lancé vers le futur… Il ne renonçait pas à transmettre, jusqu’au dernier souffle, son savoir courageux.

2015 a été une année épouvantable pour tous. Mais elle a été particulièrement cruelle avec Pierangelo Summa, que la maladie rendait de plus en plus faible en raison des difficultés croissantes de boire et de manger.
J’ai eu d’ailleurs l’impression qu’il ait été « laissé mourir » par les institutions hospitalières. Jusqu’au dernier instant, ce pauvre corps si difficile à diriger et à maîtriser aurait voulu vivre en paix, tandis que son âme sensible n’aurait désiré que les soins normaux qu’on adopte pour combattre la fièvre, la faim et la soif.

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Pierangelo Summa à Radio Aligre, Paris 2011

Lors d’une des dernières hospitalisations à Paris, le fameux « protocole » qu’on établit pour « éviter des soins excessifs ou inutiles » pouvait se lire dans une phrase sur son dossier médical : « le patient Pierangelo Summa ne parle pas français ». Un faux qui servait de prétexte pour ne pas donner au malade, entre autres soins, une assistance psychologique quelconque.
Une telle attitude correspond peut-être à l’une des nombreuses préventions ancestrales qu’on ne peut pas discuter, comme les traditions orales ou les proverbes. Une idée reçue comme celle de renfermer deux Italiens dans la même chambre avec le préjugé qu’ils seront aussitôt amis et qu’ils s’aideront l’un l’autre. (Tandis que mon amitié réciproque avec Pierangelo, par exemple, est sans doute une exception à la règle qui dit le contraire…).
Pierangelo Summa vivait de façon stable à Paris depuis plus que trente ans, Paris étant une ville qu’il aimait et connaissait très bien même avant sa définitive installation. Donc, quand la psychologue, un peu récalcitrante, traînée par Mirella, se rendit à son lit, en lui disant :
— De quoi avez-vous besoin, monsieur Summa ?
Pierangelo avait immédiatement répondu, en parfait français :
— Je voudrais que quelqu’un m’aide à faire un pacte avec ce cerveau qui voudrait sortir d’ici par lui-même…
Tout le monde peut bien être d’accord au sujet de ce qu’on appelle « acharnement thérapeutique », mais sans renoncer à ce minimum d’humanité qui fait la différence : il suffirait parfois de très peu !

« Pierangelo Summa, sculpteur de masques et de marionnettes et metteur en scène, a fermé les yeux le mercredi 15 juillet 2015, a écrit Sara Summa, sa fille aînée, comédienne et metteuse en scène. Ceux qui l’auront connu savent que, désormais aussi léger que l’air, il reste avec nous pour toujours par tout ce qu’il nous a transmis, et que nous sommes chargés de cette force créatrice qui l’animait à jamais. »

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Pierangelo Summa avec Gabriella Merloni, Paris 2011

Songeant aujourd’hui à cet ami qui a tant souffert, je reste abasourdi au souvenir des marionnettes à taille humaine de Pierangelo Summa que j’ai vues dans « Les Bonnes » de Jean Gênet et ensuite dans « Œdipe Roi » de Sophocle de 2012. Ces masques « mous » ou sans moelle, qu’on n’avait pas créés pour qu’elles demeurent debout comme des statues, mais qu’on traînait avant de les embrasser, malmener, accrocher au clou ou adosser au dossier d’une chaise… ces masques nés pour contester, renverser le sens escompté des choses, ils étaient, sans que leur créateur le sût jusqu’au bout, un présage presque surnaturel de ce qui serait arrivé à son corps. Son corps naguère sain et souple allait devenir de plus en plus taquin et incontrôlable avec la progression de la maladie. Métaphoriquement, il allait se transformer lui-même en l’un de ses « pantins humains ». Tandis que sa pensée, heureusement pour lui et pour tous ceux qui l’aimaient, demeurerait toujours nette, efficace, sereine, attentive jusqu’au dernier instant, toujours désireuse de cueillir chaque passage de cette merveilleuse occasion de découvrir quelque chose de beau qu’on appelle la Vie.
Si donc ce « vrai artiste » a été touché dans l’endroit le plus important pour le développement de son travail d’artisan et de maître — son corps, dont il s’était servi tout au long de sa vie pour « enseigner » aux acteurs en chair et os tout comme aux marionnettes, comment interpréter, « à l’envers », le mystère de la représentation théâtrale — on doit constater que son intelligence, intacte jusqu’au dernier jour, a su d’une certaine façon « se moquer » du corps même, renversant pour une fois la procédure qu’il avait créée pour son époustouflant « contrethéâtre au visage humain ».

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Mirella Summa, Paris 2011

Dans le mois de novembre 2015, Mirella Summa a « emmené à nouveau » Pierangelo, symboliquement, d’abord sur les berges du lac de Côme — où tous les parents et les amis de Lombardie sont accourus, y compris les acteurs et les figurants d’Île Dovarese, pour saluer dans un esprit de fête, par une passerelle en masque, le sourire de cet homme extraordinaire — ensuite sur les montagnes de Casalvieri. Là-bas, tous les amis italiens et français ont fait revivre la voix inoubliable de Pierangelo, avec la représentation d’un extrait des « Géants de la montagne » de Luigi Pirandello, adapté et réalisé pour l’occasion, de façon vive et poignante, par Mirella Summa.

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À présent, émus et égarés pour la perte d’un ami et d’un maître — qui avait le sourire insouciant et le regard perçant d’un guide, inspiré comme le Jésus qui riait de ses miracles de « L’Évangile selon Jésus » de José Saramago —, nous sommes attristés aussi par la conscience que volontiers nous aurions suivi Pierangelo jusqu’au bout du monde avec notre complicité tout à fait innocente, tandis que, hélas !, ce « chemin charmant » a été brusquement interrompu.
Quoi faire, alors ? Il ne nous reste qu’à œuvrer pour que l’immense et délicat travail de création et de réflexion de Pierangelo Summa soit rassemblé, protégé, étudié, reproduit et divulgué à tous les jeunes qui voudront suivre son chemin.

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Giovanni Merloni

TEXTE EN ITALIEN

« Art » de Yasmina Reza : l’amitié, est-elle un bien durable ? existe-t-elle encore ?

11 samedi Avr 2015

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Un tableau de Lucio Fontana

« Art » de Yasmina Reza : l’amitié, est-elle un bien durable ? existe-t-elle encore ?

Vendredi 20 mai 2011, dans la grande salle de fêtes au rez-de-chaussée du Cercle national des Armées — 8, place Saint-Augustin (Paris VIIIe) — j’ai assisté à une réplique vraiment remarquable d’une pièce de Yasmina Reza, « Art », qu’on ne jouait pas à Paris depuis 1994. Comme le metteur en scène Pierre Troullier a souligné à la fin du spectacle, Yasmina Reza, qui n’écrit ces pièces que pour d’acteurs vrais, voire d’interprètes « haut de gamme » — comme Pierre Vaneck, Fabrice Luchini, Pierre Arditi ou Jean-Louis Trintignant —, n’avait jamais donné son accord pour la mise en scène à Paris de cette pièce universellement appréciée qui lui avait valu d’ailleurs en 1994 deux « Molières » : meilleur spectacle privé et meilleur auteur. Mais trois élèves de l’École navale — Florian Leguy, Pierre-Marie de Reboul et Arnaud Signoret — ont communiqué leur passion à leur professeur Pierre Troullier, qui a su déclencher avec eux un travail de mise en scène et d’acteurs très original. Je ne sais pas si Yasmina Reza a eu le temps de connaître un peu ce travail, en tout cas elle a donné l’autorisation et tout le public qui a assisté à cette soirée d’exception lui en sera reconnaissant.

L’art en jeu L’idée tout à fait originale d’où cette pièce se déclenche est l’arrivée dans l’appartement de Serge (Pierre-Marie de Reboul), « un rat d’exposition », d’un tableau blanc. Une toile des années 1970, œuvre « rare » d’un certain Antrios, que Serge achète pour 200.000 francs. Ce tableau provoque l’indignation jusqu’à la rage de son ami Marc (Florian Leguy), « l’adepte du bon vieux temps ». Leur ami commun, Yvan (Arnaud Signoret), est « un être hybride et flasque ». Il adopte une position moyenne. Il n’aime pas beaucoup ce tableau, mais respecte le choix de Serge. L’idée de la « page blanche » ou du « tableau blanc » n’est pas une « invention » de l’art abstrait ou conceptuel. Je me souviens d’une aventure de Till l’espiègle, par exemple, qui me toucha beaucoup dans mon enfance impatiente. Ce personnage tantôt charmant tantôt insupportable, qui aimait se plonger dans les difficultés pour s’en tirer de façon parfois maladroite, se prit un jour pour un grand peintre. Avec son savoir-faire et ses allures de dragueur, il eut un jour la hardiesse de convaincre un Seigneur riche et ambitieux à le charger d’une fresque. Je revois encore cet énorme escabeau au centre de la grande salle, Till l’espiègle qui passe des heures à nettoyer les pinceaux et à tracer de grands gestes dans le vide. Il faisait cela pour manger bien et beaucoup, et le Seigneur lui laissait le temps de trouver la bonne « inspiration ». Après quelque temps le Seigneur et ses amis commencèrent à le harceler, car Till ne voulait que personne ne regardât son œuvre. Jusqu’au jour où il y eut une irruption dans la salle et les gens, qui avaient si patiemment attendu, virent le plafond vide, dépourvu d’une décoration quelconque, tout à fait blanc. Aux temps évoqués par cette histoire on pouvait risquer la galère et la mort pour un manque de parole semblable, ou, si l’on veut, pour une moquerie comme celle que Till s’était inventée. Poussé aux cordes, Till se mit à parler : « Ne voyez-vous pas, Messieurs, cette scène de chasse, ces chiens courant derrière un renard à la queue brune ? Ne voyez-vous pas, ici, dans ce coin rose et céleste, cette femme au miroir, qu’un Amour chérit ? » Et, puisque ces gens restaient bouche bée, incapables de répliquer, il insistait : « Monsieur, c’est vrai, cette fresque n’est pas celle de la chapelle Sixtine, que Michel Ange a peinte, mais il y a l’amour sacré à côté de l’amour profane… » Lucio Fontana fut le premier à donner une signification à la toile blanche, en la coupant net avec un couteau. Mais dans son œuvre il y avait déjà un signe, une action d’artiste, comme dans les tableaux « noirs sur noir » de Burri, qui ont en vérité une incroyable richesse de couches superposées qui proposent une lecture « dialectique » : d’un côté l’art conceptuel, de l’autre le retour à la matière. Le tableau « blanc sur blanc » que Serge achète dans une galerie très renommée « faisant tendance » peut apparaître au spectateur comme le niveau extrême de la provocation. On dirait en effet que c’est une toile blanche tout juste traitée pour y peindre, qui vient d’être achetée dans un magasin de beaux-arts. Mais elle pourrait avoir deux lignes noires ou colorées et ce serait aussi un bon point de départ pour une discussion plus ou moins déchirante sur le sens de l’art depuis toujours. En fait, il y a eu toujours de réactions différentes au même tableau. N’oublions pas les échecs de Van Gogh, le choix des Impressionistes d’exposer dans le Salon des « Refusés », l’accueil contradictoire des œuvres cubistes de Braque et Picasso, mais aussi la sous-évaluation de Délacroix, chef de file d’une liste interminable de peintres qui ont eu une fortune posthume. C’est toujours le problème de la lutte réciproque entre ce qui est déjà affirmé et codifié et tout ce qui est « nouveau ». D’ailleurs, il arrive de plus en plus souvent que le « nouveau » soit utilisé « contre le vieux » — pour le détruire, même s’il ne le méritait pas — par quelqu’un qui trouve ainsi la façon de s’imposer et d’imposer une nouvelle « vague » d’expression artistique.

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Tableau abandonné près du boulevard Magenta à Paris

Les personnages C’est au nom de cette lutte, du reste éternelle, que les trois amis se confrontent. Ils sont dans la quarantaine, au tournant de leurs vies. Marc et Serge se connaissent depuis 15 ans. Yvan est arrivé plus tard, en transformant le duo en trio. Marc est ingénieur s’occupant d’aéronautique. Il flirte avec Paula. Serge est dermatologue, divorcé de Françoise. Il a deux enfants. Pour remplir ce vide, il a commencé à fréquenter le monde de l’Art. Yvan se présente comme ça : « Je m’appelle Yvan. Je suis un peu tendu, car après avoir passé ma vie dans le textile, je viens de trouver un emploi de représentant dans une papeterie en gros. Je suis un garçon sympathique. Ma vie professionnelle a toujours été un échec et je vais me marier dans quinze jours avec une gentille fille brillante et de bonne famille ». Les trois personnages vivent de façons différentes de crises existentielles interchangeables. Ce qui les fait apparaître différentes c’est le « style » de chacun des trois. Marc règle sa vie et ses rapports selon un style « traditionnel », d’ailleurs, comme dit Serge de lui, « il n’a pas d’humour. Avec toi [Yvan], je ris. Avec lui, je suis glacé. » Serge adopte un style moderne, problématique, mais en même temps il croit dans le progrès et dans la créativité. Yvan est « éclectique », il partage le passé et le futur de ses amis pour s’évader, lui aussi, du présent. Autour du tableau se déclenche une dispute de plus en plus acharnée qui va révéler la nature profonde de chacun de trois, ouvrant des aperçus sur leurs existences malheureuses. Donc, le tableau blanc est un prétexte, que Yasmina Reza a emprunté de longs et ennuyeux débats sur l’art pour parler d’un thème éternel et privilégié de toute littérature. L’homme, le sens des choix que l’homme même fait dans l’amour, dans l’amitié, dans le travail et en général dans l’expression de soi-même. Mais cette « invention » du tableau blanc n’est pas seulement un prétexte. D’un côté, voyant cette pièce, j’ai pensé aux Latins, qui disaient : « de gustibus non est disputandum ». On ne doit pas se mêler des goûts d’autrui, ni des choix que font nos amis et, en général, tous les autres avec qui nous avons affaire. De l’autre côté j’ai réfléchi à la fonction narrative d’une simple et seule négation dans un texte. Le « non », dont José Saramago est, à mes yeux, le paladin le plus brillant et prolifique. Dans le « siège de Lisbonne », l’introduction d’une inversion de l’histoire jusque-là connue — l’aide des croisés au portugais que Saramago s’amuse à nier — donne vie à une histoire moins héroïque et pourtant pas moins dramatique et fascinante. Dans cette pièce de Yasmina Reza, l’arrivée du tableau blanc crée un choc, imposant d’abord une double attention du spectateur — obligé à s’intéresser au tableau, contraint à relativiser les drames humains qui se déroulent dans l’histoire des trois personnages, porté enfin à « disputer » sur les goûts humains sans plus donner une priorité absolue aux questions « de vie et de mort ».

Un hymne à l’amitié Et c’est moins pour le ton « minimaliste » de la pièce que pour cette « inversion » de la visuelle qui s’ouvre au spectateur que cette dispute sur les goûts » de chacun redonne l’espace que mérite au thème de l’amitié. Je comprends, à ce point-ci, pourquoi Yasmina Reza a dit : « Je ne pourrais jamais écrire pour des acteurs médiocres. Mon écriture fait une confiance totale à l’acteur. Avec un acteur médiocre, il ne reste rien d’une pièce, plus de sous-texte, plus de densité dans les silences, plus aucune perversité, rien. » Car l’amitié est une question extrêmement compliquée, difficile à reconstruire dans un récit littéraire comme dans une pièce. Peut-être le thème plus difficile pour un auteur dramatique. Pourrait-on, par exemple, faire revivre « le couple étrange » de Jack Lemmon et Walter Mattau avec d’autres interprètes ? C’est pourquoi le défi qu’ont relevé Pierre Troullier et ses trois élèves de l’École navale — Florian Leguy, Pierre-Marie de Reboul et Arnaud Signoret — a été vraiment terrible. Pourtant, ils en sont sortis de façon excellente. Sont-ils déjà de grands acteurs ? Peut-être. Ce qui est sûr, ils sont amis entre eux, ils ont visiblement acquis un niveau de complicité et de solidarité qui les ont rendus capables d’une prestation ainsi difficile. Car parfois un duo ou un trio d’amis peut devenir invincible. Moi, depuis le commencement, j’ai eu la sensation — de façon plus convaincue lors de l’entrée en scène d’Yvan —, de connaître déjà ces trois amis et de m’être moi-même assis plusieurs fois à ce même canapé. Et c’est sûr qu’à la salle de fêtes du Cercle national des Armées nous avons vu jouer des amis qui en raison de leur « confiance à trois » ont su brillamment briser le « quatrième mur » entre le public et la scène. Je veux ici citer à propos de l’amitié ce qu’en disait Montaigne dans un passage célèbre : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelques occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui ; parce que c’était moi. » Et c’est surtout ce sentiment d’amitié, libre et désintéressée, qu’on ressentit dans cette pièce, de façon particulière dans l’interprétation parisienne du dernier 20 mai. Le succès mondial de l’œuvre de Yasmina Reza vient probablement de cette idée simple d’une page blanche sur laquelle les petites joies de l’amitié prennent corps. Et je crois que cette attitude spécifique de l’homme, ce besoin aussi de s’améliorer à travers les autres, traverse aujourd’hui une crise insupportable. Cela dépend moins de l’égoïsme que de l’aliénation provoquée par un progrès devenu régressif. Et alors, puisque dans cette pièce on parle de goûts et de choix dont on doit absolument discuter, après avoir parlé d’art obsolète et d’œuvres « durables », est-ce que l’amitié est encore un bien durable ? N’est-elle, par hasard, un bien en voie d’extinction ?

Une pièce minimaliste ? Pour conclure, je n’ai pas su me passer d’une confrontation entre « Art » et « Les bonnes » de Jean Genet. Le minimalisme d’un côté, le décor baroque de l’autre. Dans chacune de deux pièces, il y a un triangle. Ici, trois amis. Là, deux bonnes et Madame. Ici, la jalousie éclate, occasionnée par l’achat d’un tableau qui bouleverse les équilibres qui pouvaient sembler éternels. Là, la jalousie est envers cette Madame qui emprisonne les bonnes, plus ou moins consciemment, dans un étau mortel, avant de les abandonner pour rejoindre le quatrième personnage, Monsieur. Les mécanismes de l’amitié et de l’amour sont les mêmes. Dans la pièce de Yasmina Reza, le rôle de Madame est confié à Yvan, l’ami commun, le troisième ami qui ne se dérobe jamais à ses obligations. Il est le « messager d’amour » entre Marc et Serge. Et, comme dans les « Bonnes », l’équilibre se brise lorsqu’une quatrième figure se présente à l’horizon. Et cette figure est le tableau blanc, une chose tout à fait imprévue et neuve qui va occuper une partie de l’attention de Serge, jusque-là encadrée dans le « système » d’évaluation des choses et des faits de la vie que Marc avait sans difficulté imposé. La première différence entre « Les bonnes » et « Art » est dans la façon de présenter cette « rupture » du cadre. Dans la pièce de Genet, on comprend, bien après, quand le rideau est tombé depuis longtemps, que les deux sœurs étaient jalouses de Madame et ne supportaient pas cet « intrus » de Monsieur. Dans la pièce de Yasmina Reza, on comprend immédiatement, dès que le rideau est levé, que le tableau avec son entrée en scène va briser un équilibre. La deuxième différence est dans le dialogue et dans le rôle du troisième personnage. Tandis que Madame s’enfiche des drames des deux sœurs et ne fait rien pour les résoudre, Yvan s’engage avec tous ses moyens pour recoudre la blessure entre Marc et Serge. La troisième différence est dans la conclusion. Les « Bonnes » ont une issue tragique, même si surréelle et de quelque façon légère. « Art » a une fin surprenante qui est un hymne à « l’irrationnel » : Marc, qui avait été le plus rigide dans son intolérance, décide d’un coup « d’aimer » ce tableau blanc. Comme les clients naïfs et grossiers de Till l’espiègle, il a su trouver dans son imagination ce qu’il ne pouvait pas voir de ses propres yeux. Mais les deux pièces ont en commun un motif caché, qui est d’ailleurs ce qui pousse toujours les amants du théâtre à sortir de maison pour aller aux spectacles. Ce motif s’exprime dans l’amour pour la vie, dans le goût indicible qui vient de l’expérience quotidienne et même seulement du plaisir d’avoir un corps qui se lève et s’assied sur un canapé, qui entre et qui sort, qui vit en se regardant vivre…

Giovanni Merloni

Une femme (pas tout à fait) seule (vasescommunicants août 2013)

02 vendredi Août 2013

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portraits théâtraux, vases communicants

Merci, Dominique, de m’avoir proposé de partager avec toi cette aventure des « vases communicants », ce vendredi 2 août 2013, merci d’avoir accueilli mon billet jumeau d’aujourd’hui — titré « De la confection à la dégustation » — dans ton blog. Cela a été un grand plaisir pour moi, parce que, mettant de côté le décalage objectif entre ton expérience et la mienne (je ne suis qu’au septième rendez-vous avec les « vases »), tu as proposé pour les vases communicants, dès le commencement, une vision très positive et amicale. D’ailleurs, il suffit d’aller sur ton blog plus récent — Le Tourne à gauche  —, désormais très connu et fréquenté. Il suffit d’y lire les débats quotidiens qui se déclenchent à partir des suggestions de tes billets, toujours riches et inattendus, pour se rendre compte de ta façon unique, Dominique, de créer un climat idéal de discussion et de travail aussi.
En quoi consiste le projet de « Vases Communicants », lancé par Le tiers livre (François Bon) et Scriptopolis (Jérôme Denis) ? Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants est établie justement grâce à Brigitte Célérier.
G.M.

fo paolo gab 8 - copie

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Une femme (pas tout à fait) seule

Quand tu m’as envoyé ton fichier « Zip » (la fermeture-éclair des photos), cher Giovanni, j’ai eu du mal à choisir l’un des clichés car tous possédaient leur charme et leur unité : l’affiche d’Une femme seule, pièce de théâtre de Dario Fo et Franca Rame dans laquelle ta fille Gabriella avait joué en 2011, du 22 août au 19 décembre.

La photo numéro 8 m’a frappée (en douceur) car le visage de l’interprète était comme surmonté de celui d’une autre actrice, une femme peinte peut-être par Tamara de Lampicka – ne pas oublier d’aller voir cette expo avant sa fermeture le 8 septembre prochain. Sa pose à l’envers montrait, comme pour une carte à jouer, qu’un visage est réversible, sensible au mouvement, et peut faire logiquement (ou parfois sans aucune logique) tourner la tête.

Et puis, il est naturel de sortir de l’introversion : le théâtre sert sans doute à cela, sans parler de « catharsis » ou, pire, de « purgation ». Le personnage sur scène permet que l’on se glisse d’autant plus facilement dans sa peau qu’il est présent : ici, la femme (pas tout à fait) seule est presque à portée de main, physiquement ; son image n’est pas éloignée, irrémédiablement, comme sur un écran de cinéma.

J’ai imaginé cette représentation au théâtre des Déchargeurs (il porte le nom étrange de cette rue, et cela lui va bien) : Gabriella – donc Maria – est dans son appartement et la fenêtre s’ouvre sur un autre horizon que celui dans lequel l’avait enfermé son mari. Elle chante à tue-tête (comme une révolutionnaire), elle enchante, devine-t-on, ceux qui la voient et l’écoutent depuis leur siège dans la salle.

Elle s’extravertit, sans sauter dans le vide, sa prison mobilière est devenue, grâce à une voisine, un lieu où elle peut enfin s’exprimer, se laisser aller, vivre ou rêver.

L’Italienne a peut-être (j’imagine…) ramené avec elle tous les parfums de la péninsule, Casanova, les canaux de Venise, la Toscane, Florence et Rome… Nous sommes transportés en Italie par la magie de la parole et du chant, je me demande même si l’on sent l’odeur du parmesan, si l’on voit la fumée des pâtes fraîches et si l’on aperçoit la bouteille de San Giovese posée sur la table de la cuisine.

Alors, tu auras été sadique avec moi, cher Giovanni : je n’ai pas vu ta fille jouer sur scène mais des photos (et cette vidéo jointe) en gardent le souvenir.

Dario Fo  a toujours été un peu fou, sans doute connaît-il aussi bien le français que l’italien. Et pour toi, pas de problème : tu sais admirablement, avec ton art inimitable, dessiner et écrire d’autres mises en scène.

Texte : Dominique Hasselmann

Photo : Giovanni Merloni

http://doha75.wordpress.com/2013/08/02/de-la-confection-a-la-degustation/

« Du carnaval au sacrifice, un rituel de mise à mort » : des « Bonnes » extraordinaires aux Déchargeurs

31 lundi Déc 2012

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« Du carnaval au sacrifice, un rituel de mise à mort » : des « Bonnes » extraordinaires aux Déchargeurs

Théâtre « Les Déchargeurs » 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris. Métro Chatelet. Auteur : Jean Genet (1947). Mise en scène : Pierangelo Summa. Scénographie et marionnette : Pierangelo Summa, assisté de Jean-Pierre Benzekri et Camille Grangé. Avec : Mathilde Chouffot et Sara Summa.

« Du carnaval au sacrifice, un rituel de mise à mort. » Cette phrase poignante qu’on lit dans l’affiche du spectacle aux « Déchargeurs » de Paris exprime efficacement l’esprit de la pièce de Genet dans l’adaptation extraordinaire qu’en a fait le metteur en scène italien Pierangelo Summa. On souhaite donc qu’un vaste public aille la voir.
En commentaire de ce spectacle, on pourrait ajouter à cette phrase plusieurs « variations », comme « le carnaval dans le jeu de la vie et de la mort » ou bien « le carnaval comme réflexe du pouvoir de vie et de mort qu’un ensorcellement peut déclencher ». Ou, enfin, « le carnaval comme réflexe d’une aliénation extrême ».
Car ce mot « carnaval » synthétise plus que d’autres l’« esprit nouveau » dont Pierangelo Summa a fait un grand cadeau au théâtre « Les déchargeurs » et à son public : « j’ai voulu une scénographie simple, non réaliste, accompagnée d’un jeu poussé à l’extrême. Pour souligner l’aspect rituel de la pièce, les objets ont une fonction symbolique. Une balançoire évoque le “dehors”, tout le reste par contraste est “dedans” : les deux comédiennes jouent dans un espace qui les emprisonne et leur gestualité le souligne ».
Cette adaptation théâtrale de Summa des « Bonnes » de Jean Genet est très originale. D’abord, pour la maîtrise d’un espace théâtral assez contraignant, obtenue par cette scénographie « symbolique ». Ensuite, pour le choix de lancer deux jeunes comédiennes dans la mêlée de cette exploration « entre l’amour et la haine par les corps fondus-confondus où chacun joue l’autre » (Pierangelo Summa). Un choix important, qui emmène sur le plateau deux formidables actrices, qui ont su ajouter à la géométrie de la mise en scène la passion des corps et les nombreuses facettes de leurs âmes passionnées. Il suffit de se souvenir de Solange (Sara Summa) qui traverse, courant et haletante, cette exiguë boîte théâtrale dont elle voudrait briser les murs, pour comprendre un peu ce que ces deux jeunes femmes ont donné à la réussite de la pièce. Enfin la « marionnette à taille humaine, portée et manipulée par les deux sœurs ». Si Madame était du commencement de la pièce, un spectre, une doublure fanée de l’absence, cette « matérialisation » en gros pantin qui a besoin de quelqu’un pour vivre éclaircit le sens du jeu inexorable que lie Madame aux deux sœurs.
Grâce à ces trois niveaux — la maîtrise de l’espace symbolique ; l’hymne à la vie que les deux femmes encharnent ; les labyrinthes de la pensée que la marionnette encourage et multiplie elle-même — ce metteur en scène réalise une lecture parallèle : d’un côté la « trame meurtrière » ; de l’autre la description, éloignée et passionnée en même temps, des personnages et de leurs liens diaboliques. Cette lecture se traduit d’ailleurs en une pièce « ironique », décalée, se moquant un peu des côtés lugubres et désespérés qui sont quand même présents dans ce texte, qui a été trop souvent un « prétexte », en beaucoup d’autres mises en scène, pour tuer le théâtre au lieu de le faire vivre.
« Les bonnes » est occasionnée par un fait divers, réellement arrivé, le crime de Christine et Léa Papin. Ces deux sœurs, âgées de 28 et 21 ans, travaillaient dans une famille bourgeoise du Mans. En 1933, elles tuèrent sauvagement leurs patronnes, avant de leur arracher les yeux et de pratiquer une série d’actes horribles sur leurs corps et de se coucher dans le même lit.
La dimension surréelle de ce « drame criminel » — que Jean Genet publia une première fois en 1947 et une deuxième en 1958 — rencontre encore, même plus qu’auparavant, l’attention des metteurs en scène et l’intérêt du public.
Cela dépend d’abord de l’inquiétante actualité de l’homosexualité incestueuse des deux sœurs, qui fait depuis toujours l’originalité et le scandale de cette « pièce de l’inversion » et de « l’autodestruction ». C’est le jeu même du théâtre, le jeu de l’autre qui transforme le plateau en lieu de toute aliénation.

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La pièce de Genet accompagne ce jeu avec une rigueur psychologique fort structurée et un symbolisme d’objets et de couleurs (le blanc, le rouge et le noir des robes), qui aide le spectateur, après réflexion, à reconstruire la trame profonde de cette œuvre. Cependant, l’originalité — et la difficulté — de cette pièce consiste surtout dans son indétermination, son retour idéal au chaos originaire de l’homme, sa caractéristique d’œuvre « ouverte », comme la nommerait probablement Umberto Eco. S’il n’y avait pas cette ouverture, le public serait étouffé, étranglé ou même empoisonné au lieu de Madame.
En quoi donc consiste l’unicité de cette version des « Bonnes » que Pierangelo Summa avec Mathilde Chouffot et Sara Summa nous offrent aux « Déchargeurs » ?
Je crois, surtout dans le rôle de Madame, que le metteur en scène confie à une marionnette et, à travers elle, aux deux sœurs en char et os.
Dans une récente entrevue — en occasion de la représentation des « Bonnes » au « Teatro Studio » de Milan en janvier et février 2008 —, deux incontournables actrices italiennes — Franca Valeri, qui a joué le rôle de Solange et Anna Maria Guarnieri qui a joué le rôle de Claire — ont dit des choses très originelles sur ce propos :
Franca Valeri : « Il est tellement absurde ce dialogue entre deux bonnes ; elles sont deux bonnes de province, il n’y a aucune revanche des servantes envers la patronne. C’est une transposition de leurs aspirations, de leur échec, de leurs idéaux, mais aussi de leur tempérament possessif, amoureux, vital. Madame est un personnage, ce n’est pas une dame bourgeoise, c’est un spectre vis-à-vis de quelque chose de sublime et douloureux en même temps qui est en elle. »
Anna Maria Guarnieri : « Nous ne sommes pas les premières à manipuler ce texte. Sa force, sa puissance ont poussé une foule d’interprètes à s’y confronter : de jeunes, de vielles, des homosexuels… Car quiconque peut entrer en scène et dire “je suis Madame”, même un crapaud. »
Aujourd’hui, en France, on voit « Les bonnes » de Jean Genet comme un « monstre sacré », qui peut quelques fois aboutir à une sorte de conformisme dans l’interprétation. Ou bien l’on profite des côtés pervers liés à cette « métaphore de la sexualité » jusqu’à dégénérer dans la débauche et dans la perte de sens. Tandis que la vision sortant de l’entrevue aux deux célèbres comédiennes italiennes, tout à fait libres de préjugés, montre qu’on peut « actualiser » de façon positive Jean Genet, en profitant de son « ouverture ».
Il est vrai, même un crapaud peut jouer le rôle de Madame, mais c’est là le défi principal et il faut savoir le surmonter.
Pierangelo Summa est aussi un artiste. Pour relever les défis que ce drame cachait, il a joué soit sur le travail dur et passionné des deux comédiennes — Mathilde Chouffot et Sara Summa — soit sur la force expressive de la marionnette à taille humaine que lui-même a fabriquée — une sorte de « conviée de pierre » à la table de don Juan —, qui s’anime au milieu du spectacle pour devenir Madame, une femme sans profondeur, capricieuse et opportuniste.
Mais la caractéristique de cette pièce est, en général, le fait de donner forme, couleur et vie à tous les objets savamment éparpillés dans l’espace théâtral. Aucun symbole ne préexiste à ce qui se déroule d’un instant à l’autre sur le plateau. Aucun objet n’existe avant qu’une de deux bonnes, et surtout Solange, ne le prenne en main.
Cet espace noir parsemé d’objet de marché aux puces devant les yeux des spectateurs devient une espèce de boîte miraculeuse qui peut tout contenir, dont tout objet peut sortir. Il y a comme un renversement. Les objets ressuscitent, les symboles ressuscitent et aussi Madame ressuscite. Solange et Claire semblent avoir la touche de vie.
Il faut dire que Mathilde Chouffot et Sara Summa sont formidables. Chacune dans son rôle particulier. Chacune dans son attitude complémentaire vis-à-vis de l’autre. Elles ne s’épargnent jamais. Claire, la plus sombre apparemment, semble chercher la vie dans la mort, tandis que Solange, la plus vivante, semble chercher le contraire.
En fait la véritable question ce n’est pas la mort réelle. Elle arrivera, à la fin de la pièce. Mais la mort dont on parle le plus c’est l’absence de vie, l’absence de joie et de force de vivre qui se sont emparées de ces esprits fragiles et incapables, même dans leur diversité, de s’aider à réagir, à se brancher au monde extérieur, à voir elles-mêmes avec un minimum de détachement.
Tout cela se révèle de façon extraordinaire lorsque les deux bonnes font sortir la grande marionnette de son sombre baldaquin. Cet énorme et lourd « Pinocchio » qui a le masque d’une Marlene Dietrich ou d’une Arletty se promène dans la boîte noire avec son corps de bois et de matelas que soutiennent Solange et Claire, chacune à son tour, autant péniblement qu’héroïquement. Ce sont elles qui donnent la voix à cette femme qui semble dépourvue d’épine dorsale, mais qui sait très bien se dérober aux risques mortels cachés au-dedans d’une tasse de tilleul. Elle est dorlotée, chérie, posée sur une balançoire, poussée comme une jeune fille d’antan.
Elle est lourde et apparemment incapable de se débrouiller sans ses deux bonnes. Mais elle sortira seule de cette maison qu’on imagine énorme, dont on croit voir un jardin, une allée, une grille. Elle rejoindra Monsieur, coûte que coûte, car elle est convaincue qu’il est innocent. En tout cas, elle le rejoindrait…
Cette apparition singulière donne une touche magistrale à cette adaptation. Car on comprend que les deux soeurs, qui supportaient mal la présence obsédante de Madame jusqu’à en désirer la mort, s’écrouleront lorsque Madame les quittera.
Le triangle se brise, que le baldaquin pyramidal symbolisait. La souterraine lutte amoureuse entre les deux soeurs pour l’amour exclusif de Madame n’a plus de sens. Peut-être, Claire pourrait survivre, si elle avait la force de s’évader elle-même. Mais Solange, celle qui vit sa passion plus par le corps que par la tête, ne peut pas survivre. Elle voudrait être capable de tuer sa soeur pour anéantir soi-même. Elle n’en est pas capable, mais le geste suffit pour déclencher le vrai drame. Au dernier maillot de la chaîne, Claire n’a aucune difficulté à se suicider, pour accomplir ainsi le projet d’autodestruction de Solange…
Je referme les yeux et je revois cette adaptation essentielle et « symbolique ». Sur le plateau noir, quelques objets marquent l’espace : des chaussures, une malle, un téléphone, une balançoire… ; sur la paroi de gauche est appuyé un portant de cintres pleins de robes colorées ; sur le fond un sombre baldaquin pyramidal. Un habit rouge est accroché au plafond. Claire, la brune maigre à l’air dérangé, pourrait être moins folle que Solange, la blonde bien en chair à l’air sain…

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication 5 décemre 2012. Dernière modification 31 décembre 2012

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Grandes et petites déchirures d’une Médée contemporaine

30 dimanche Déc 2012

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Grandes et petites déchirures d’une Médée contemporaine

Médée. Une création de la Compagnie Rhinocéros d’après l’œuvre de Jean Anouilh, vue au théâtre Aleph, Ivry-sur-Seine. Mise en scène de Jean-Gabriel Vidal. Avec Ariane Komorn (Médée), Elena Diego Marina (Nourrice), Raphaël Molina (Créon) et Jean-Gabriel Vidal (Jason)

Deux mois se sont déjà exactement écoulés après le 28 août 2012, jour de la représentation au théâtre Aleph d’Ivry-sur-Seine de la Médée de Jean Anouilh, dirigée par Jean-Gabriel Vidal, où j’étais présent en qualité de spectateur.
Deux mois, c’est beaucoup, même pour un spectacle qui vient de terminer ses répliques, autour duquel maintenant n’agissent plus les mécanismes de l’actualité. J’aurais voulu m’y exprimer tout de suite après, détournant ainsi le risque de rater quelques sensations ou observations liées au moment spécifique de la représentation. Mais, jusqu’à hier, je n’arrivais pas à me consacrer à cela. Avec mon engagement pour mon exposition de peinture à l’Espace Mompezat de Paris (du 6 au 19 octobre dernier), une petite, inquiétante déchirure physique, arrivée en cette fin d’été 2012, ne cessait de hanter mon quotidien, en provoquant des réflexions et suggestions en chaîne se mêlant à mes lectures et aux déchirures de l’actualité, elles aussi assez douloureuses pour moi.
Pendant les deux mois écoulés, une idée centrale m’a pourtant conforté. L’idée que le sens ultime de cette Médée d’Anouilh, humaine et monstrueuse à la fois, ainsi magistralement jouée par les comédiens du Rhinocéros, pouvait se résumer en une « grande déchirure », incarnée par Médée même, entraînant à la fois une constellation de « déchirures de la vie » dont les miennes aussi allaient faire partie.

2.Spectacle Médée Jean Anouilh 5

La première impression que le spectacle a provoquée en moi est physique. Tout ce qui se passe dans l’âme et le corps de Médée — et aussi dans le corps et l’âme de son parfait « doublon », la très performante comédienne Ariane Komorn — s’installe en un éclair dans le public en créant un effet tout à fait insolite vis-à-vis de la plupart des pièces théâtrales auxquelles on a l’habitude d’assister. Une force extraordinaire soutient Médée-Ariane Komorn, d’abord en couple avec la nourrice, Elena Diego Marina, ensuite dans son rapport unique et exclusif avec Jason, Jean Gabriel Vidal. On dirait que dans cette pièce on « exploite la force » dans toutes les facettes possibles, en partant de la force « naturelle », centrifuge, d’une rébellion violente et sans bornes, pour aboutir à la force intime, où quelques bribes de réflexion et d’autocontrôle commencent à s’afficher. Dans cette « déclination » de la force de Médée, un rôle indispensable est assigné à ses partenaires — la nourrice et Jason —, toujours engagés dans un double travail : celui de jouer son propre personnage et celui de faire de soutien ou de contrepoint, plus ou moins énergique, aux vagues de désespoir ou de rage de la protagoniste.

3.Spectacle Médée Jean Anouilh 4

L’histoire de Médée est unique, étrangère à notre sensibilité contemporaine. En même temps, elle nous concerne. Nous ne pouvons pas nous en débarrasser aisément. Cela encore plus dans le texte et la scénographie de Jean Anouilh qui, accueillant peut-être la leçon de Freud, suggère un enchevêtrement essentiel entre la mythologie et la vie réelle, transportant Médée, Jason et leurs problématiques existentielles dans une scène contemporaine.
Dans ce but, un rôle important est assigné à cette scénographie de Jean-Gabriel Vidal, basée sur le noir — ou plutôt sur le « noirci » —, qui crée un décalage « atemporel » et « spatial » où l’absence de décors, typique de la tragédie grecque, est substituée par les décors sans histoire que les « non-lieux » de notre paysage d’aujourd’hui abritent.
Tout cela va au-delà des indications du texte d’Anouilh, qui avait de son côté prévu une roulotte pour signaler la précarité de l’existence des « immigrés » de Corinthe. Ici, la roulotte a explosé, tandis que ses débris épars remplissent le plateau en le transformant en une sorte de caverne. Cela veut peut-être souligner que la précarité des populations marginalisées au temps de la première Médée d’Anouilh (1946) prend maintenant, de nos temps, des proportions beaucoup plus redoutables et proches de notre même vie. Selon une dramatisation tout à fait partageable, dans cette pièce on met consciemment en relief un rapport de plus en plus renversé entre la population à l’abri de toute détresse et de tout risque et la population qui vit sur l’asphalte, sous la pluie, essayant de se protéger et se conforter avec tout ce que jette à la poubelle ce monde contemporain qui a voulu mettre l’argent et le succès au centre de ses aspirations primordiales.
Cette dramatisation de la détresse envahissant la scène où Médée se démène jusque du premier instant, représente un élément crucial pour la compréhension de la grande modernité de cette pièce, déjà dans l’esprit de son auteur. Car tous les éléments évoqués par les anciennes Médées d’Euripide, Ovide, Sénèque et Corneille — le conflit entre nature humaine et nature divine, la question du pouvoir, l’amour, l’envie, la jalousie, les passions violentes et extrêmes et la pulsion de la mort — sont transportés dans une vision très sensible et ouverte, qui traîne le spectateur dans une très originale relecture de cette tragédie et de son toujours encombrant personnage.
Je reviens, maintenant, à ma première impression, à cette sensation physique, suscitée par le combat acharné entre le blanc et le noir — le blanc de la peau et des vêtements de Médée, le noir de la scène et du costume de Jason — qui est aussi le combat entre une certaine « pureté » ou « naïveté » de Médée, considérée comme positive, au fond, et la « saleté » du contexte qui l’entoure, reflet tangible de la soumission au pouvoir et au compromis. Dans ce combat, où les jeux sont faits dès le départ, un décalage tout à fait particulier s’installe entre les émotions qui se succèdent dans l’action des personnages et le contexte, qui ne deviendra jamais « familier » et acceptable, qui restera au contraire toujours « désagréable ». Ce rythme cinématographique, rapide et toujours encadré dans une succession d’actions précises qui donnent au spectateur la possibilité de « voir » la pièce et d’y « lire », en même temps, un message parallèle renvoyant à la contemporanéité, c’est une très remarquable qualité de la mise en scène de Jean-Gabriel Vidal. Mais, ce qui m’a encore plus touché ce sont les suggestions qui ont jailli de ma mémoire « après » le spectacle, venant, j’en suis sûr, de l’attention prêtée au texte d’Anouilh et aussi de la connaissance des nombreuses Médées que l’histoire du théâtre et du cinéma nous laisse en héritage.

4.Medea-7489_3 Maria Callas en « Medea » de Pier Paolo Pasolini (1969)

Je pense surtout à la Médée de Pier Paolo Pasolini (1969), marquée par la conception « naturelle et sauvage » du mythe typique du réalisateur et poète italien et aussi par la personnalité unique et « hors du temps » de Maria Callas, la célèbre chanteuse lyrique. Dans le film de Pasolini, les délits de Médée ne sont justifiés ni condamnés, pourtant on y perçoit un sentiment d’horreur respectueuse, arrêté en deçà d’un mystère ancestral que les humains ne peuvent ni ne doivent pas pénétrer. Et c’est surtout dans le crescendo final qui touche son sommet avec la tuerie des deux fils — une tuerie apparemment sans émotions — que le personnage de Médée exalte une diabolique cohérence qui la rend proche d’une divinité du mal, une nouvelle Reine de la nuit de la Flûte enchantée. En même temps, elle se révèle une femme extrêmement commune, tout à fait incapable de surmonter sa jalousie violente et l’échec de son mariage. Cette double personnalité, maîtrisée de façon poétique par le génie de Pasolini et le charme inquiétant de Maria Callas, sont toujours au rendez-vous lorsqu’on doit ressusciter une nouvelle Médée. Pourtant Jean-Gabriel Vidal et ses amis de la compagnie du Rhinocéros ont su très bien s’en sortir.

5.Spectacle Médée Jean Anouilh 3

D’abord, en choisissant la Médée d’Anouilh, où l’action devient toujours parole, où la parole est surtout un instrument d’analyse, de réflexion, de mesure. Je trouve dans ce texte — limpide comme une fontaine et agité comme une mer en tempête — beaucoup de traces de la leçon de Freud et aussi beaucoup de rappels aux dangers de la simplification, typique de notre quotidienneté.
Deux. Une espèce de « filtre de la raison » suggère d’ailleurs au spectateur d’abord une attitude méfiante vis-à-vis de la façon abrupte et violente de s’exprimer de Médée, ensuite la possibilité d’une double lecture de ses mots. En fait, la personnalité complexe de Médée, avec ses caractères absolus et relatifs à la fois, se prête à l’exploitation de deux plans narratifs : d’un côté, les passions violentes et extrêmes, où l’amour devient destructif et autodestructif jusqu’à la mort ; de l’autre côté, les sentiments positifs, où l’amour triomphe sur la mort. Selon une interprétation très fidèle au texte d’Anouilh, Médée hurle dans la force du désespoir et de la rage furieuse ou bien elle susurre, dans les inévitables chutes dans la faiblesse de l’épuisement. Cela fait partie, selon le « cliché de l’exagération », d’une certaine étrangeté, qu’auraient désormais acquise les personnages de la tragédie « à la grecque », prisonniers de quelque façon de leurs expressions figées et répétitives. Mais cela correspond aussi au choix d’une double narration, individuelle et sociale. Car il ne faut pas oublier que Médée, qui se prend toujours, idéalement, pour la petite reine qu’elle était avant de laisser sa Colchide, vit maintenant dans un bidonville tout à fait malheureux. Et, lorsque l’étalage du pouvoir de Créon fait prévaloir ses lois, il faut se rappeler de l’identité unique de cette femme et de son passé tout à fait héroïque.
Trois. Un très bon casting. Excellente interprétation de Jean-Gabriel Vidal dans le rôle de Jason et d’Elena Diego Marina dans celui de la nourrice. Quant à la jeune Ariane Komorn, elle aurait pu bien jouer, avec son physique dépourvu d’excentricité, aussi bien le rôle d’Irina — une des Trois sœurs de Tchekhov —, que celui de Clarisse — dans Mais ne te promène donc pas toute nue de Feydeau. Elle n’avait pas, en principe, ni les caractères ni l’âge des Médées « classiques » ou d’une Maria Callas. Mais, c’est justement dans le choix de cette comédienne que le metteur en scène a fait « strike ». Car elle, au fur et à mesure que la scène se déroule, assume une présence théâtrale qui touche le spectateur. Elle « prend sur soi » tous les déchirements de Médée, mais aussi les échos des souffrances de la nourrice et de son enfant condamné. Elle fait cela de façon tout à fait particulière, se dérobant à son rôle, vivant sur scène à côté de son cliché, en dialoguant avec le masque de Médée avec une voix fraiche, argentine, moderne : la voix d’une jeune femme de nos jours qui nous raconte l’histoire douloureuse de Médée.
Tous les grands personnages de théâtre sont des prototypes qui ressemblent à quelqu’un qu’on connaît bien ou à nous mêmes : Médée incarne en fait notre esprit sauvage, révolutionnaire et insoumis, tandis que Jason représente notre exigence d’intégration dans la société et aussi, évidemment, l’acceptation du compromis. L’une correspond à la Nature insoumise, mais, en définitive, parfaite, l’autre à la Culture. En Médée le côté « apocalyptique » est très évident, tandis que Jason doit forcément « s’intégrer ».
Dans la circularité de notre sensibilité moderne, qui nous fait tolérants et exigeants en même temps, nous accepterions aussi la possibilité d’un renversement des rôles : Médée est une princesse gâtée et obéissante que l’amour contrasté pour Jason a transformée en soixante-huitarde à outrance, voire en terroriste qui, au lieu de se repentir, s’adonne à la glorification de ses actes criminels. Jason est un corsaire sans règle, un « guérillero » qui de but en blanc cède aux sirènes de la société bourgeoise et abandonne le champ.
« Mutatis mutandis » cela aurait été affreux voir par exemple Garibaldi, le Che Guevara italien, celui qui a eu enfin la chance de contribuer à l’unité de mon Pays, abandonner sa femme Anita dans la pinède de Ravenne. Même si, en fin de compte, au moment de la mort d’Anita, Garibaldi n’était qu’un roi sans patrie en fuite, comme Jason lors de son arrivée à Corinthe.
Mais, enfin, ce n’est pas dans ce choix de Jason de l’intégration — qui n’est même pas la trahison d’un idéal —, qu’on doit dénicher le nœud primordial de cette pièce d’Anouilh. Même si l’on pouvait très bien donner le sobriquet de « apocalyptique » à Médée et celui de « intégré » à Jason, selon la très efficace définition d’Umberto Eco (Apocalyptiques et Intégrés : L’industrie culturelle est néfaste à la démocratie, 1964), ce qu’intéresse Anouilh et la Compagnie du Rhinocéros ce n’est pas vraiment la question sociale et politique, ni de développer, sinon indirectement, une confrontation entre notre civilisation actuelle, protégée, en principe, et la civilisation ancienne qui se nourrissait de mythes terribles, presque toujours ensanglantés. Tout comme Freud, Anouilh veut dénicher dans les mythes les questions fondatrices des rapports humains.
Donc, si l’individualisme aveugle de Médée ne se soucie pas du tout des problématiques de la « polis », le choix de Jason aussi rentre surtout dans une recherche de bien-être personnel. Bien-être et liberté civile pour lesquels il accepte de payer quelques prix, qui lui donnent en même temps la chance de protéger Médée en la soustrayant à ses juges. Il dit très efficacement : « Je t’ai aimée, Médée. J’ai aimé notre vie forcenée. J’ai aimé le crime et l’aventure avec toi. Et nos étreintes, nos sales luttes de chiffonniers, et cette entente de complices que nous retrouvions le soir, sur la paillasse, dans un coin de notre roulotte, après nos coups. J’ai aimé ton monde noir, ton audace, ta révolte, ta connivence avec l’horreur et la mort, ta rage de tout détruire. J’ai cru avec toi qu’il fallait toujours prendre et se battre et que tout était permis… »
Jason veut entamer une seconde vie. Il ne sent pas le poids de la phase héroïque de sa vie précédente, il ne peut pas non plus démêler ses actions de guerre et de mort de celles que Médée a commises pour l’aider ou pour lui faire plaisir. Dans sa vision rétrospective, Médée a été son complice, donc s’il se sauve elle aussi a le droit de se sauver. Il ne voit plus l’amour, car il n’aime plus et qu’une nouvelle capacité s’affirme de mettre à profit son cerveau. Il croit donc tout à fait possible ce que Médée ne peut pas accepter, car elle est encore prisonnière de ses passions.

6.Spectacle Médée Jean Anouilh 2

Le texte d’Anouilh et sa fidèle mise en scène, avec leur « vérité » où toute forme de jeu intellectuel est bannie, offrent aussi au spectateur une interprétation juste et assez équilibrée des sentiments et des passions des personnages.
Cela est particulièrement évident quand on a affaire avec l’amour.
En Médée il ne faut pas considérer l’amour comme un thème unique et solitaire, à l’origine de tout ce qui se passe dans cette banlieue de Corinthe, où, au contraire, de monstres beaucoup plus redoutables s’affrontent dans d’invisibles coulisses noires.
L’amour dont Anouilh écrit admirablement, dont Médée et Jason parlent, n’admet pas les exagérations ni les divinisations. C’est l’amour à mesure d’homme et de femme.
Un amour qui peut provoquer bien sûr une force irrésistible et vaincre même la peur et l’horreur de la mort. Pourtant, il ne faut pas être un personnage mythique comme Médée pour qu’on tue son frère et son fils, ou aussi pour abattre pacifiquement les obstacles qui voudraient enrayer son bonheur. Des milliers de femmes et d’hommes communs ont fait des choses incroyables et souvent horribles sous l’emprise de l’amour. Celui-ci est d’ailleurs le thème dominant de la tragédie d’Euripide, hantée sur le plan individuel, celui de Médée, par le souci de trouver un bouc émissaire sinon une justification à des actions terribles et sanglantes — qui vont, en principe, moins en direction de l’amour que d’une possession arbitraire et absolue — et, sur le plan général et social, par le souci de faire évoluer une idée de démocratie et de justice de moins en moins archaïque et soumise au pouvoir des rois ou des Dieux.
À côté de ce thème crucial, Anouilh nous confie une vision de l’amour plus moderne, où l’éternité de l’amour ne consiste pas en sa durée, mais plutôt en sa façon de se reproduire dans chaque couple, à chaque rencontre et séparation. Il suffit de lire un morceau de la scène où Jason essaie inutilement de trouver une voie indolore pour se débarrasser de Médée, où Médée s’exprime avec les mots que chaque femme dirait à sa place : « — … Ta tête te dira qu’elles sont mille fois plus jeunes ou plus belles. Alors, ne ferme pas les yeux, Jason, ne te laisse pas une seconde aller. Tes mains obstinées chercheraient malgré toi leur place sur ta femme… Et tu auras beau en prendre, à la fin, qui me rassembleront, des Médées neuves dans ton lit de vieillard, quand la vraie Médée ne sera plus, quelque part, qu’un vieux sac de peau plein d’os, méconnaissable, il suffira d’une imperceptible épaisseur sur une hanche, d’un muscle plus court ou plus long, pour que tes mains de jeune homme, au bout de tes vieux bras, se souviennent encore et s’étonnent de ne pas la retrouver. Coupe tes mains,  Jason, coupe tes mains tout de suite ! change de mains aussi si tu veux encore aimer. »
Et Jason, que répond-il ? Ce que des millions d’hommes ont dit depuis la nuit des temps, un demi-mensonge, qui est aussi une demi-vérité : « — Crois-tu que c’est pour chercher un autre amour que je te quitte ? Crois-tu que c’est pour recommencer ? Ce n’est plus seulement toi que je hais, c’est l’amour !… »

7.film-hotel-du-nord1 Arletty et Louis Jouvet dans « Hotel du Nord » de Marcel Carné (1938)

Certainement, Anouilh aura eu l’occasion de voir le fameux film Hôtel du Nord de Marcel Carné, sorti en 1938, scénario d’Henri Jeanson et Jean Aurenche d’après le roman d’Eugène Dabit, où les incontournables Arletty et Louis Jouvet jouent « on thé road » la scène de rupture entre Mme Raymonde et M. Edmond. Comme dans le plateau du théâtre Aleph, comme dans les Feuilles mortes de Jacques Prévert la vérité de la vie se joue ainsi, tout simplement, dans un endroit quelconque. Il y a toutefois une grande poésie dans « les pas des amants désunis », dans leurs voix aiguës ou tranchantes.
« Nous vivions tous les deux ensemble. Toi tu m’aimais et je t’aimais », chantent à l’unisson Juliette Gréco et Yves Montand, aussi que Médée et Jason. « Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, tout doucement, sans faire de bruit », voudrait dire Jason dans sa déclaration de haine pour l’amour. Ce que fait aussi le M. Edmond de Louis Jouvet, lorsqu’il dit : « — …J’en ai assez, tu saisis ? Je m’asphyxie, tu saisis ? Je m’asphyxie…. J’ai besoin de changer d’atmosphère, et moi l’atmosphère c’est toi ! »
« — Pourquoi qu’on part pas pour Toulon ? Tu t’incrustes, tu t’incrustes, ça finira par faire du vilain !
 — Et après ?
— Oh, tu n’as pas toujours été aussi fatalitaire
— Fataliste
— Si tu veux, le résultat est le même. Pourquoi que tu l’as à la caille ?On est pas heureux tout les deux ?
— Non
— T’en es sûr ?
— Oui !
— Tu aimes pas notre vie ?
— Tu l’aimes, toi, notre vie ?
— Faut bien, je m’y suis habituée. Cocardier à part, tu es plutôt beau mec. Parfait, on se dispute, mais au lit, on s’explique. Et sur l’oreiller, on se comprend. Alors ?
— Alors rien, j’en ai assez, tu saisis ? Je m’asphyxie, tu saisis ? Je m’asphyxie.
— A Toulon, y’a de l’air puisqu’il y a la mer, tu respireras mieux.
— Partout où on ira ça sentira le pourri.
— Allons à l’étranger, aux colonies.
— Avec toi ?
— C’était l’idée !
— Alors ça sera partout pareil. J’ai besoin de changer d’atmosphère, et moi l’atmosphère c’est toi.
— C’est la première fois qu’on me traite d’atmosphère ! Si j’suis une atmosphère, t’es un drôle de bled ! Oh la la, des types qui sont du milieu sans en être et qui craint la peau de ce qu’ils ont été, on devrait les vider. Atmosphère, atmosphère, est ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Puisque c’est ça, vas-y tout seul à la Varenne ! Bonne pêche et bonne atmosphère ! »

8.mort de sardanapale La mort de Sardanapale d’Eugène Delacroix

Médée se saurait sauvée si elle avait pu dire « Bonne pêche et bonne atmosphère ! » Elle n’aurait pas tué ses fils, avant de se tuer elle-même pour le seul goût de punir Jason, de l’anéantir tout au long de sa survie.
Mais elle n’aurait pas su s’adapter, comme Jason, au « deuxième rôle », à l’oubli. Comme le richissime Sardanapale elle ne voit que le suicide et, comme le dernier grand roi d’Assyrie, elle considère la mort de ses fils comme corollaire de la sienne.
Une soif de mort presque inextinguible semble d’ailleurs accompagner, comme une nécessité absolue, tous les passages cruciaux où son amour est menacé. Mais, à bien y réfléchir, les motivations de ses tueries ne sont pas toujours les mêmes. Lorsque Médée a tué son frère, par exemple, elle a agi en fonction d’une espèce de raison d’État : bâtir son union avec Jason et, à travers cela, bâtir un nouveau royaume. Lorsque vice versa elle pousse Jason à tuer son jeune amant, elle lui demande une preuve d’amour et, en même temps elle prétend qu’il l’aide à retrouver une passion qui est en train de s’affaiblir, sinon de disparaître.
Cet évènement, ce n’est pas sans conséquence dans les comportements suivants de Jason. Quiconque, à sa place, aurait douté de cet étalement d’amour à outrance, que Médée affichait en le mêlant toujours, on doit supposer, aux chantages psychologiques dans lesquels elle rappelait leur complicité.
« J’ai fait ça pour toi ! » Qui, homme ou femme, n’a jamais entendu dire cette phrase au mot près dans sa longue ou brève vie amoureuse ? Chantage, vengeance… Ne font pas la même chose, encore aujourd’hui, de milliers de femmes et d’hommes qui ne savent pas accepter l’échec et le chagrin que l’abandon fabrique ?
Dans une des critiques sur cette pièce des Rhinocéros à l’Aleph d’Ivry, j’ai lu : « Derrière ses crimes et sa monstruosité, cette Médée nous apparaît, sans pudeur, dans sa plus pure identité : celle d’une femme malheureuse. » C’est vrai, et je suis d’accord. Mais, heureusement, j’ajoute, la psychanalyse existe, car il arrive beaucoup de fois, trop de fois, que des mères (ou des pères), sans les tuer physiquement anéantissent tout de même ses propres enfants, rien que pour frapper l’ancien partenaire qui a la hardiesse de « se refaire une vie ».
Heureusement qu’il y a le divorce, aussi. Si seulement l’on pense au « délit d’honneur »… Encore dans les années soixante du siècle passé, en Sicile, cette forme de tuerie était considérée comme une forme de solution des problèmes conjugaux.
On n’arrête pas de réfléchir aux grandes ressources et contradictions du genre humain, aux terribles conflits entre brutalité et raison, entre barbarie et civilisation. Heureusement, il y a le théâtre qui nous montre le Bien qui est parfois dans le Mal, l’Amour qui se mêle à la Mort, et cetera.
Merci de tout mon cœur au théâtre Aleph, à Jean Gabriel Vidal, Ariane Komorn, Elena Diego Marina et Raphaël Molina pour ce spectacle intelligent où l’enthousiasme ne se sépare jamais d’une rigueur de style tout à fait cohérente avec ce chef d’œuvre de Jean Anouilh.

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni. Première publication 28 octobre 2012 Dernière modification 30 décembre 2012

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