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Portraits d’ami(e)s disparu(e)s n. 2
J’ai hésité, avant de me décider à publier aujourd’hui ce deuxième hommage à un ami disparu. Ce qui s’est passé hier, à Paris, dans un quartier qu’on ne pouvait imaginer plus tranquille, cette tuerie absurde et même incroyable m’a tellement bouleversé que je voulais m’arrêter pour pleurer.
Plus tard, dans le métro qui me menait à la station Richard Lenoir où ma fille habite — pas loin de « Charlie Hebdo » —, j’ai été réconforté en écoutant cette voix féminine qui disait, solennellement : « à la demande de la Préfecture de police, la station Richard Lenoir est fermée… »
Ensuite, en revenant, nous avons participé à la manifestation place de la République. Dans cet espace immense, comblé de citoyens bouleversés et profondément attristés, j’ai ressenti jusqu’au bout l’empathie avec ce peuple effrayé qui ne se laisse pas abattre, affichant au contraire sa présence combative et tranquille :
ENSEMBLE, UNIS POUR LA DÉMOCRATIE !
criait quelqu’un depuis le piédestal de la statue de la République.
LIBERTÉ D’INFORMATION !
hurlaient d’autres dans la foule.
Une fois rentré chez moi, j’ai pensé que cet homme unique dont je voulais vous parler, monsieur Gérard D’Hondt, aurait partagé lui aussi jusqu’au bout tous les sentiments que je lisais dans les yeux autour de moi. Tout en songeant aux dix journalistes et aux deux policiers tués hier, j’essayerai donc d’esquisser le portrait d’un homme incroyablement généreux et solidaire ayant en commun avec ces journalistes et artistes merveilleux un profond amour pour la Liberté.
Gérard D’Hondt, hommage è Joseph Bernard (recto)
« Je crois à la supériorité du sujet dans l’œuvre d’art… et que celle qui ne le possède pas, fut-elle un chef d’œuvre de conscience et d’exécution… est à mon avis froide et sans but. »
Joseph Bernard (1866-1931)
La supériorité du sujet : Gérard D’Hondt
Généreux et hyperactif, venant de terres joviales
Était une présence, ce monsieur souriant en bas de la
Rue Varlin. Malgré la faible trace de ses cheveux blancs,
Avait, celui-ci, la force intacte d’un forgeron qui rame dans une galère. Ancien haltérophile, capable même de soulever deux femmes à la fois,
Rendre service aux gens aimables ainsi que donner l’âme pour eux
Devait le rendre heureux. D’ailleurs, entre les privilèges de la copropriété et les joies de la rue, il choisissait toujours ces dernières.
Gérard D’Hondt, hommage è Joseph Bernard (verso)
Dessinant et sculptant, jeune élève talentueux de Paul Belmondo (1)
´(apostrophe)
Habillait par d’époustouflants décors les médailles dorées de la Monnaie du Pont Neuf. Dans son nid, par petits croquis, il ne cessait d’étudier les nuances d’expression jaillissant du sourire et des yeux de sa belle Danielle.
Omnivore de tout jeu, même âgé, il se débrouillait bien aux claquettes ainsi que dans la valse musette.
Négligeant délibérément de raconter les horreurs vues en guerre, notre ami gaillard
Défendait, acharnement, les valeurs les plus nobles de la société. Jusqu’au jour
Terne et froid de décembre, où la force de sourire a d’un coup disparu.
À présent, son courage solidaire et son choix d’être ami me reviennent à l’esprit par des foudres piquantes.
À présent, essayant de l’étreindre, dans le vide je ne trouve que chagrin. Je m’efforce pourtant de revivre quelques histoires que j’imagine de lui dans ses plaques dorées, dans ces traces de danses invisibles qui ont gravé le trottoir.
Gérard D’Hondt est mort le 21 décembre 2013, à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Il était un véritable « ch’ti », installé à Paris depuis longtemps. Un vrai personnage, ayant laissé des traces d’admiration et d’amitié partout à son passage. Il a été parmi les premiers qui m’ont accueilli, de façon chaleureuse et immédiate, lors du début de mon installation en France. Avec Gérard, sa femme Danielle, madame Marie Josè Martins, Guy et Renée Houset, j’ai eu depuis le premier instant une véritable famille à Paris.
Giovanni Merloni
(1) Paul Belmondo (1898-1982), père de Jean-Paul, était un grand sculpteur français.
Très beau billet .
Rue Eugène Varlin, son école communale, sa boulangerie au coin de la rue. De l’autre côté du canal, l’école Boy Zelenski. Souvenirs des annees 1980-90. Belle idée que ces portraits tellement humains.