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Giovanni Merloni, Dans le métro, acrylique sur toile 50 x 65, 2009

« Sans gendarme à pied ni concierge »

Lors de la deuxième rencontre des Poètes sans frontières, vendredi 19 octobre dernier, au Hang’Art (61-63, quai de Seine, 75019 Paris) Vital Heurtebize et Claire Dutrey ont accueilli le poète Jean-Baptiste Besnard avec son recueil « Au fil des ans », La nouvelle Pléiade, 2018.

Né en 1933 comme Vital Heurtebize et comme lui, enseignant de langue et littérature française pendant toute sa vie, au contraire de son hôte, Jean-Baptiste Besnard ne se considère pas un poète engagé.
Toujours en retrait et comme perdu dans d’impénétrables rêveries, ce poète nous a pourtant bien expliqué sa dévotion infatigable à la poésie ainsi que son amour pour les paysages de la France, avec un penchant particulier pour la Bretagne de Saint-Malo et de la côte d’Armor… où il aime retourner avec les yeux de la mémoire : « Je veux… Revoir sous mes pieds/ Cet ancien sol nu…/Dépouillé de goudron/Pour retrouver/La fantaisie des chemins..

Abruti par les bruits
Affamé de silence
Assoiffé d’espace
Je veux me nourrir
D’un souffle d’air
D’un murmure fugitif
Revoir sous mes pieds
Cet ancien sol nu
Dépouillé de goudron
Pour retrouver
La fantaisie des chemins. (1)

Creusant dans les paysages qui jaillissent tout au long de ces chemins, Jean-Baptiste Besnard confie à ses vers, dépouillés et cinématographiques, la lente et progressive révélation de son être caché, de son sentiment primordial de partage de la beauté de la vie, accompagnée par la conscience que toute beauté est donnée, qu’on la mérite ou qu’on ne la mérite pas. Toutes les choses sont périssables, avant de se métamorphoser ou disparaître ; cependant nous avons le droit et le devoir de garder en nous, tout le temps de notre vie, les traces et les preuves intimes de cette beauté, de ces moments de bonheur que la vie nous a accordés « au fil des ans ».

Dans l’espace où s’inscrit notre passion
Dans le champ où s’assouvissent nos désirs
Et dans l’épaisseur de la chair
D’un paysage déchiqueté
La terre chancelle et se renverse
Dans l’effusion de nos corps.
Sur le sentier
J’écarte pour toi les ronces
Au milieu des rafales
À travers la brume
Le ciel s’habille de gris
Tu te blottis contre mon corps
Incertitude d’une voix qui pousse
Un cri dans la nuit
Dans l’ombre des sommets
Des êtres d’obscurité
Abordent aux rives du néant
Moi je veux seulement voir
Ton visage dans le silence
Avant que le matin ne teinte de rose
La surface de l’eau. (2)

 

Jean-Baptiste Besnard

Son silence d’homme honnête et prudent se brise, heureusement, quand sa poésie prend le vol et sa voix s’impose, devenant au fur et à mesure
une voix qui aime raconter :

Cet amour de la mer
Se teint d’amertume
Quand le voile de la brume
Vire au crachin amer. (3)

une voix désenchantée et rebelle :

Le pavé de la rue est rose
Au crépuscule qui se trompe
Car un léger brouillard estompe
L’effacement exquis des choses. (4)

une voix libre et fière d’elle-même qui réussit à s’exprimer jusqu’au bout…

Enfoui dans la maison
Au milieu de mes livres
Une odeur qui m’enivre
Vient de l’horizon
Les flammes du foyer
Dessinent un rosier
Je me lève soudain
Voir celui du jardin.

Dans l’austérité du lieu
J’attends la béatitude
D’une pieuse solitude
En l’absence de tout dieu. (5)

…et avec une extraordinaire ironie :

Dans un coin du ciel
on entasse les nuages usagés
les astres rouillés
les étoiles brisées
les soleils éteints
et les lunes mortes. (6)

Vital Heurtebize et Claire Dutrey en train de lire
« Au fil des ans » de Jean-Baptiste Besnard

INVITATION

Chers amis,
Quand je suis devenu membre, en septembre dernier, des Poètes sans frontières, j’avais d’abord envisagé de vous contacter un à un pour vous inviter aux rencontres parisiennes de cette association.
Cela peut bien sûr arriver, mais il ne faut pas trop prévoir et « organiser » lorsqu’il s’agit de la poésie. Chacun suit son parcours et ses affinités. Donc, c’est à chacun de vous de juger l’intérêt et l’importance de ces rendez-vous poétiques au Hang’Art à Paris tous les troisièmes vendredis du mois à 14 h 30.

En septembre dernier, Vital Heurtebize avait présenté Jean-Noël Cuénod et son recueil « En état d’urgence », publié sur « La Nouvelle Pleïade » en 2018. Après cette rencontre du 19 octobre avec Jean-Baptiste Besnard — dont je viens de publier ici quelques extraits du recueil « Au fil des ans » — il accueillera, le prochain 23 novembre à 14 h 30au Hang’Art, 61-63, quai de Seine, 75019 Paris, le poète Jean-Yves Lenoir de Clermont-Ferrand, comédien bien connu, qui est aussi directeur de théâtre, metteur en scène et auteur de pièces de théâtre.

Le 14 décembre, à 14h30 (toujours au Hang’Art), ce sera à moi de présenter le livre-biographie de Daniel Chétif au sujet de la « Présence du poète Vital Heurtebize », avec une belle anthologie de ses textes poétiques.

Je ne vous dis pas, rituellement, de « venir nombreux », comme l’on dit à chaque événement culturel et artistique. Je vous dis de venir, si cela vous dit, voir et entendre des voix qui pourraient vous intéresser et faire déclencher en vous le même esprit de partage et de participation, qui, malgré mes engagements multiples, s’est déclenché en moi même : d’abord autour de la figure charismatique de Vital Heurtebize qui ne cesse pas de faire don d’un talent poétique qui ne se sépare jamais d’une grande et sincère vision humaine et humanitaire de l’existence ; ensuite, autour de cet espace poétique francophone, créé en 1993, qui va au-delà des frontières et brise toute barrière « bureaucratique » entre les formes et les thèmes de la poésie ; autour enfin d’une possibilité de rencontre à construire et développer entre ceux et celles qui adhèrent aux Poètes sans frontières dans le but de retrouver un moment d’expression et de confrontation libres et sereines.

Claire Dutrey

Liberté

La porte n’a plus de maison,
La fenêtre plus de carreaux,
La cage plus de barreaux
La campagne plus d’horizon.

L’enfant perdu par sa famille
Erre dans un parc sans grille
Et sans fils de fer barbelés
Pour cueillir des fruits constellés.
On chassa la garde champêtre :
Il était vraiment détesté.
On peut entrer par la fenêtre
Dans un beau château dévasté.
Le lapin n’a plus peur des pièges
Et peut sortir de son terrier.
Les oiseaux chantent sans solfège,
Sans craindre un chasseur meurtrier.
C’est la liberté toute vierge
Sans gendarme à pied ni concierge. 

Jean-Baptiste Besnard

Poèmes : Jean-Baptiste Besnard
Texte : Giovanni Merloni

(1) Jean-Baptiste Besnard, Bruits
(2) Jean-Baptiste Besnard, Passion sans mesure
(3) Jean-Baptiste Besnard, Cet amour de la mer
(4) Jean-Baptiste Besnard, Le brouillard
(5) Jean-Baptiste Besnard, Dans la maison
(6) Jean-Baptiste Besnard, Débarras