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Nostalgies croisées : « l’accent est l’âme du discours ». Dissémination avril 2015 

« Le web est ter­ri­ble­ment bavard, tour de Babel où l’on croise cent langues et plus encore d’idiomes et de par­lures à por­tée d’oreille, sans évi­ter tou­jours le dia­logue de sourds. Quelle ins­pi­ra­tion les blogs lit­té­raires y trouvent- ils ? Quelles voix font-ils entendre ? On peut y pui­ser matière à poly­pho­nie. On peut ini­tier un dia­logue. On peut même « entendre des voix ». Ou les écou­ter très sérieu­se­ment. Autant de che­mins et bien d’autres encore à explo­rer pour la dis­sé­mi­na­tion du 24 avril… »
Avant d’entamer ma première dissémination sur le thème que Noëlle Rollet et Laurent Margantin de la webassociation des auteurs ont gentiment lancé dans le web littéraire francophone, je me dois d’une question qui me semble cruciale. Est-ce que les humains — membres de quelques communautés privilégiées ou coincées dans des culs-de-sac, selon les points de vue — ont eu, tout au long de l’Histoire, un moment de tranquillité ? Y a-t-il eu des époques, qui ont réellement existé, où les hommes se sont retrouvés dans un même milieu, calés dans une seule langue, gâtés par une extrême facilité de dialogue et de compréhension réciproque ?
Oui, peut-être, chacun de nous a vécu un moment ou une époque de bonheur qui pour la plupart est lié au partage d’une langue commune, de traditions communes ainsi que de contestations connues envers la tradition tout comme envers les rigueurs de la langue. Et chacun de nous, quand il se déplace pour changer de pays et de langue, tombe inévitablement dans la nostalgie de cette facilité perdue. Une facilité qu’il appelle « identité » ou « racines », ou tout simplement « patrie ».
Je me rends parfaitement compte de la délicatesse d’un tel sujet lorsqu’on lui donne un rôle majeur dans le thème de la dissémination d’aujourd’hui.
D’un côté, on ne peut pas négliger ce qui se passe en cette époque-ci, où l’on assiste, partout dans l’Europe, à d’immenses déplacements de gens de toutes les nationalités. Des gens pour la plupart désespérés, obligés de fuir à la faim et à la peur, risquant et parfois rencontrant la mort avant d’attraper une rive accueillante qui ne sera qu’en toute petite partie ce qu’ils avaient imaginé.
De l’autre côté, le thème de la dissémination semble concerner moins le dialogue en général que le dialogue — littéraire et plus spécifique — entre les blogs.

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Audrey Hepburn (Liza Dolittle) dans le film My Fair Lady, 1964.

D’ailleurs, je considère comme très intéressantes les propositions qui sont à la base de « J’ai un accent », un blog qui se fonde justement sur la question inépuisable de la langue comme nœud essentiel, d’où se déroulent les destins réciproques des peuples situés en deçà et au-delà d’un pont, d’un fleuve, d’une frontière.
Presque inutile de lancer un pont entre deux mondes si l’on ne trouve pas la façon de dialoguer et de se connaître réciproquement, plus en profondeur.
J’avais déjà fort admiré le travail d’Hervé Lemonnier avec son blog « era da dire » qui avait lancé, à travers une splendide expérience de twittérature, très fouillée, un laboratoire d’échange textuel en plusieurs langues.
Dans un blog à plusieurs facettes — ayant comme but la rencontre entre France et Italie, Français et Italiens autour du théâtre, du cinéma, de la chanson et de l’histoire de l’art — les rédacteurs de « J’ai un accent » ont mis au centre de leur travail — dans la catégorie « accent tonique » — la question des langues et des efforts réels qu’il faut faire pour déclencher une compréhension réciproque de plus en plus profonde entre ces deux peuples, si strictement liés depuis leurs origines. Un regard décomplexé à la langue, au dialecte et à l’accent depuis l’intérieur de la langue même. Avec l’idée d’une « langue démystifiée », d’une langue « orale » avant que « littéraire », ouverte au dialogue avec les autres langues, qu’on propose de voir surtout comme outil pour le rapprochement réel des humains. Ci-dessous, je fais suivre le dernier article publié sur « J’ai un accent » à ce sujet.
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Audrey Hepburn (Liza Dolittle) dans le film My Fair Lady, 1964.

L’originalité de cet article consiste d’abord dans la mise en valeur du « physique » de la langue, à partir de l’évidence que la langue, formée de mots, de sons et d’accents réside dans la langue formée de muscles, de veines, de nerfs et de salive !
Une telle visuelle nous aide à comprendre les raisons de la « lenteur », d’abord physique, de l’apprentissage d’une deuxième ou troisième langue. La raison de la résistance de l’accent.
En même temps — puisque chaque langue est le reflet d’une culture, voire d’une mentalité qui se fige assez rigidement en chacun de nous —, cela nous fait aussi comprendre combien d’efforts nous devrions faire pour surmonter les différences nationales, même à l’intérieur de l’Europe, même à l’intérieur des pays qui ont une mère langue commune importante comme le Latin…
Subjectivement, on souffre pour cette espèce de réserve mentale qui n’est pas vraiment un mur ni une cloison, mais ressemble beaucoup à la salle d’attente d’un cabinet médical…
Objectivement, il est tout à fait compréhensible que chaque communauté ait besoin de faire valoir en bloc — et prévaloir en bloc, en Italie comme en France, en Allemagne comme en Espagne — sa langue et son vocabulaire, ainsi que ses attitudes spontanées pour ce qui concerne la compréhension et l’attention envers les étrangers.
Pourtant, le dialogue s’impose. C’est une nécessité de survie pour tous. Un chapitre à part devrait alors s’exploiter pour évaluer la sincérité et l’efficacité des efforts qu’on fait dans les milieux littéraires de chaque pays pour connaître les voix des poètes et des écrivains étrangers, pour en apprécier vraiment, à fond, la valeur expressive originaire.
Ce que « J’ai un accent » nous propose, est très intéressant. Ce n’est pas seulement la « défense de l’accent » que chacun de nous porte en soi comme extrême marque distinctive à l’époque de l’homologation et du cynisme marchand. C’est la défense de la langue comme expression, pensée, poésie. C’est exactement ce que prêchait, très efficacement, Jean-Jacques Rousseau (dans « L’Émile »,) : « …le peuple et les villageois… parlent presque toujours plus haut qu’il ne faut… en prononçant trop exactement ils ont les articulations fortes et rudes… ils ont trop d’accent… ils choisissent mal leurs termes… Mais… attendu que la première loi du discours étant de se faire entendre, la plus grande faute qu’on puisse faire est de parler sans être entendu. Se piquer de n’avoir point d’accent, c’est se piquer d’ôter aux phrases leur grâce et leur énergie. L’accent est l’âme du discours ; il lui donne le sentiment et la vérité. L’accent ment moins que la parole ; c’est peut-être pour cela que les gens bien élevés le craignent tant. C’est de l’usage de tout dire sur le même ton qu’est venu celui de persiffler les gens sans qu’ils le sentent. À l’accent proscrit succèdent des manières de prononcer ridicules, affectées, et sujettes à la mode, telles qu’on les remarque surtout dans les jeunes gens de la cour. Cette affectation de parole et de maintien est ce qui rend généralement l’abord du Français repoussant et désagréable aux autres nations. Au lieu de mettre de l’accent dans son parler, il y met de l’air. Ce n’est pas le moyen de prévenir en sa faveur. Tous ces petits défauts de langage qu’on craint tant de laisser contracter aux enfants ils sont rien, on les prévient ou l’on les corrige avec la plus grande facilité : mais ceux qu’on leur fait contracter en rendant leur parler sourd, confus, timide, en critiquant incessamment leur ton, en épluchant tous leurs mots, ne se corrigent jamais… ».
Giovanni Merloni

« J’ai gardé l’accent ou pas ? »

Vous venez d’où ?
Beaucoup de gens que je rencontre me disent des choses très différentes : « ah oui cela s’entend que vous avez l’accent italien », « vous avez un petit accent… vous venez de quel pays ? », « vous êtes de quelle partie de la France ? », « vous parlez un parfait français, un peu dire que vous n’avez pas d’accent », etc.
C’est à partir de cette expérience personnelle, que j’ai commencé à m’interroger de plus près sur la complexité du bilinguisme : pourquoi certains étrangers conservent un accent très marqué alors que, d’autres, au contraire, ont presque perdu leur accent ?
Je vais essayer de répondre à cette question. Les scientifiques sont nombreux à affirmer que le bilinguisme s’apprend dans la petite enfance (deux langues sans qu’il y ait d’interférence entre elles, c’est-à-dire sans qu’une d’entre elles s’inscrive comme langue de « base » en matière de prononciation) alors que, à l’inverse, si nous avons vécu toute notre jeunesse dans notre pays d’origine, une fois installés dans le pays d’accueil, nous avons plutôt tendance à apprendre la deuxième langue en la « superposant » à des habitudes phonologiques de notre langue maternelle. Il semblerait également très difficile pour l’adulte de parvenir à une prononciation sans accent. Comme si la langue maternelle était un patrimoine génétique insurmontable…
Et pourtant, malgré cela, il existe sur terre des caméléons qui arrivent presque à défier la science ! C’est le cas du personnage de Liza Doolittle — créé par le dramaturge Georges Bernard Shaw dans la pièce Pygmalion, représentée en 1914   — une fleuriste appartenant à la classe ouvrière londonienne qui, après un apprentissage forcené mené par le professeur Higgins, impressionne par son élégance et sa grâce les bourgeois et les aristocrates présents au bal de l’ambassade de Transylvanie. Un linguiste réputé, d’origine hongroise, affirmera avec assurance qu’elle est, sans l’ombre d’un doute, « hongroise » et de « sang royal » !

J’ai un accent 

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