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Voilà le texte de cette « petite grande histoire », rien qu’un canevas désespéré, que mon grand-père Zvanì a écrit sur des pages de cahier lors de ses derniers jours de conscience et, comme on dit, dans la pleine possession de ses facultés d’entendre et vouloir. Il était là, dans l’éperdu pays de Cariati, en Calabre, un joli misérable village accroché à une colline accoudée sur la mer Ionie, dans un pénible état physique et psychologique. Aurait-il survécu si sa femme Mimì l’avait rejoint, en lui apportant la sérénité et l’équilibre ? On ne peut pas le savoir, car Mimì n’eut que trop tard la permission de se rendre dans ce lieu relégué.

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Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Petite grande histoire d’une famille, pour les grands et les petits (peut-être en forme de récit aux petits-fils, au cours de vacances à la mer ou à la campagne ; leurs observations et questions pourront s’inspirer au monde d’aujourd’hui ; cela nous aidera à faire des comparaisons et à développer des thèses.)

Époque 1880-1890
Remémorations des guerres d’Indépendance – des exploits des garibaldiens — des épisodes de sanglantes luttes locales en Romagne (suicide, lié à ces dernières, d’un frère de sa mère, dont les petits enfants entendaient parler en termes vagues et mystérieux).
Après la disgrâce de la mort soudaine du jeune père, ils ne reçurent de l’aide que par le biais des seules institutions qu’il y avait alors : les orphelinats masculins et féminins.
Les gens de la famille n’eurent pas ou ne purent pas avoir la volonté de faire autrement. La sœur aînée fut envoyée pendant un mois chez une famille d’amis (en tout ressemblante à celle de l’avocat).
Il y eut un manque de compréhension vis-à-vis de cette famille qui se brisait.
Mentalité  en  ces temps-là.
Pénurie de moyens et égoïsme.
Résignation, absence d’initiatives. La même chose qui se passait pour les maladies.
Personne ne se demanda : quelle famille est-elle ? Y a-t-il des valeurs à cultiver ? N’était-ce pas le cas de solliciter une autre forme de soutien, qui eût gardé la famille unie (en harmonie, toute ensemble autour de la mère) ?
Personne ne se posa la question : trois enfants sur quatre, de façon exceptionnelle, se trouvèrent de but en blanc déracinés de la famille. Si l’on avait concentré un semblable effort dans un seul soutien, cela aurait été suffisant pour cette famille.
Développement de l’assurance, presque nul.
À la mort du père, ils se trouvèrent du jour au lendemain sans rien.
Quand il était petit enfant, pour le fâcher, dans les boutiques en face de chez lui, où il se rendait pour faire quelques petites courses pour sa mère, on lui disait : « Va là, tu n’es qu’un misérable ». Maintenant, il l’était vraiment !
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Photo : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

Une grande partie du récit devra évidemment se consacrer à la vie de la famille avant la mort du père.
Épisodes entre les quatre-cinq  et huit ans
Au Cirque équestre dans la cour de S. Francesco, totalement transformée par une construction provisoire en bois, obsession et joie des jeunes et désespoir des mères.
En charrette à Sant’Arcangelo (grand-mère au départ, au petit matin : — faites attention, vous les  garçons !)
Le bain de mer à Rimini, et la fantasmagorie d’un festin en plein air à l’Établissement.
La vue de Cesenatico, la première fois. Voiles et voiles multicolores dans le port.
L’arrivée soudaine du père tandis qu’il était assis dans une grande cour, en train de jouer tout seul avec le sable). Sans les chaussettes, pour l’embêter.
Analyse du grand-père (tours à la campagne, à pied. Chez les Guidi). La grand-mère, portant en elle la blessure du fils suicidé, ne put pas tenir que pendant peu de temps.
La maison de la nourrice. L’odeur caractéristique. Les taglierini au lait. La ricotta. La Bina et la Gnola. Dans les champs parfumés de haricots frais, sous le soleil avec la Gnola. Le fleuve qui coulait à côté du fonds ; on descendait par un talus jusqu’au bord du fleuve. Des heures délicieuses. Tout était fraicheur, tout était sourire.
Une fois dégringolés dans le fossé près de la route principale, avec Ristin, la charrette et l’âne.
Les tours chez les Zanuccoli. Les collations dans le jardin (des œillets et des géraniums). L’épisode de la boule qui frôla sa tête, tandis que le garçon était en train d’observer le jeu.
Les conversations avec son père à la rentrée, le soir, à la lumière de la lune quelques fois.
Vanité d’avoir tout gribouillé son cahier (peut-être à cinq ans).
L’école du Basifel.
L’école précédente de la « strogla » (la devineresse).
Une nuit, il resta dormir au « Potager », confié à la fille du Zanuccoli, qui peut-être le préférait parmi tous ces garçons.
Les discussions entre les grands, dont les enfants saisissent le sens lorsqu’on parle d’eux. Il comprenait qu’on l’estimait fort intelligent du fait qu’on disait qu’il parlait bien. Pour cela, on l’appelait l’avocat et, pour son air distingué, le comte. Son père en était ravi.
Chez le maître de diction (le parfum unique du  pain… on devait s’apercevoir de ces yeux vivants, parce qu’on distribuait aux petits disciples un bout de pain frais, encore chaud). La maison pleine de pigeons : l’odeur de renfermé.
L’épisode de l’examen d’arithmétique, en juin : unique rejet, qui n’aurait pas dû arriver. En deuxième et troisième : le prix, aller aux bains.
Le marchand de poisson Antonio, qui arrivait depuis Cesenatico avec une longue remorque. Il avait une grosse voix.
Visite aux celliers où l’on conservait le poisson au milieu de nattes en jonc et de la glace. Par ses regards compatissants, quelques bribes de phrases et ses discours en aparté avec la femme d’Antonio, une dame fit entendre qu’il était arrivé une chose grave, irréparable.
Loin de la famille, il se sentait seul, dans un monde devenu tout à coup étranger.
Le retour la nuit, avec l’oncle et un cousin.
La nourrice. Les rencontres bruyantes en ville : elle hurlait à n’importe quelle distance elle le saisissait, et courait vers lui pour l’embrasser. Quand il allait à la campagne chez la nourrice (une fois avec son père et la sœur aînée — une fois, à Cesena, on était venu le prendre avec un char tiré par des bœufs, et deux rangs de planches avec beaucoup de monde, jeunes hommes et jeunes femmes, joyeuses, venant probablement du marché.
Ristin, l’homme de la paroisse, était un jeune empressé. Il lui manquait un bras.
Chez sa tante, pendant les veillées, il lisait les petites histoires de ses livres, devant des paysans extasiés qui admiraient ce petit garçon plein de sentiment, qui lisait ainsi bien, une langue dépouillée.
La jeune maîtresse de ses sœurs. Magnifique, un ange. Il rêvait d’elle. Au matin, en se réveillant, il avait une petite émotion dans le cœur. Il ne s’était jamais aperçu du cœur. Maintenant, au contraire, il le sentait. Il s’abandonnait à la rêverie. Qu’est-ce qu’il y avait eu ? Il aurait dit que c’était sa jeune maîtresse : il voulait toujours être près d’elle.
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Deux photos : Collection Frères Merloni. Reproduction interdite

APRÈS LA MORT DU PÈRE
La première victime : la sœur cadette, deux années depuis.
Quant à lui, au contraire, il eut une instinctive miraculeuse impulsion à sortir de la situation où l’on avait jeté. Il demanda d’étudier.
Il n’y avait pas de précédents. Il ne se découragea pas.
Il s’attacha à sa mère pour obtenir.
De typographe à étudiant.
Il se concentra entièrement aux études comme un naufragé qui veut se sauver.
Tout était facile pour lui. Il vainquit – mais, la famille était brisée.
L’autre sœur aussi, avant qu’il puisse la sauver, avait succombé.
Les fleurs les plus prometteuses avaient disparu !

Giovanni Merloni

écrit ou proposé par : Giovanni Merloni 1ère mise en ligne 9 février 2013 Dernière modification 9 février 2013.

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