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Vital Heurtebize et Régine Nobecourt-Seidel

Je suis dur
Je suis tendre
Et j’ai perdu mon temps
À rêver sans dormir
Partout où j’ai passé
J’ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte accroché au plus haut des entrailles
À la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille
Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement
Pierre Reverdy, Tard dans la vie

« …quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi »

En début d’après-midi, vendredi 18 janvier 2019, la petite salle que le Hang’Art prête chaque mois aux Poètes sans frontières était déjà presque pleine : beaucoup de personnes aux visages connus, répondant à l’appel de Vital Heurtebize et Claire Dutrey, se sont ajoutées au petit groupe des indéfectibles qui sont là depuis septembre dernier.
Donc, on a commencé bien la nouvelle année ! Pour moi, c’est la progressive découverte d’un vaste réseau de rapports et d’échanges qui dure depuis plus que vingt-cinq ans désormais autour des Poètes sans frontières. Un travail dont Vital Heurtebize s’est chargé avec un engagement constant et une force d’agrégation unique. Je n’avais pas compris, par exemple, qu’il n’y avait pas que les Jeux floraux de Picardie, avec leur prix Renée Vivienne. J’ai découvert, vendredi dernier, l’existence des Jeux floraux du Béarn et d’autres encore, constitués auprès de différentes régions de cette France généreuse et prolifique et réunis, grâce à la clairvoyance et l’autorité morale de Vital Heurtebize, dans cette association des Poètes sans frontières qui reconnaît à la poésie une fonction humanitaire et demande donc à ses membres de participer, par leurs initiatives, à la récolte de fonds à soutien des gens en détresse.
Cela a déclenché en moi un souvenir chéri : pendant deux périodes distinctes de celle que j’appelle « ma vie d’autrefois » — à Bologne dans les années soixante-dix et à Rome dans les années quatre-vingt-dix —, mon travail d’architecte-urbaniste m’a donné la chance de m’occuper au fur et à mesure de différentes réalités de la même région en favorisant des échanges entre elles : cela a fait déclencher une confiance réciproque tout à fait inattendue et une prodigieuse disponibilité à collaborer (la Région avec les Communes, par exemple). En dépit des énormes différences entre la plaine du Pô bordée des Apennins et la vaste région qui encercle Rome, l’impressionnante richesse culturelle et humaine venant des différentes réalités que je découvris à ces époques rebondit de temps en temps dans ma mémoire, avec la sensation d’avoir pu, malgré tout, réaliser quelque chose d’utile et positif.
Je m’amusais beaucoup avec les noms curieux de certains villages et je regrette encore des rencontres qui ont marqué ces tourbillonnants allers-retours, la tête pleine de propos et de questionnements…

Vital Heurtebize et Régine Nobecourt-Seidel

À présent, je découvre une profonde affinité entre mon esprit d’autrefois, celui d’un homme de bonne volonté se consacrant volontiers à une activité noble, même si presque invisible, et mon esprit d’aujourd’hui, celui d’un poète sans frontières qui ne vit ni dans l’une ni dans l’autre de ses patries (L’Italie d’origine, la France d’adoption), et partage pourtant, avec d’autres poètes, des sentiments communs qui vont aussi dans la direction de l’autre avec la conscience qu’il s’agit d’un frère.
Certes, tous les poètes n’ont pas été foudroyés sur la route de Damas. Ils considèrent rarement leur expression libre comme une mission fraternelle. Rarement sont-ils en mesure d’aller au-delà de leur monde exclusif et circonscrit. Donc, même s’ils possèdent parfois la force de briser la boule qui les accompagne et les renferme tel un étau étoilé, ce n’est pas dit que leur message sera forcément altruiste et généreux.
Cependant, au bout de son chemin, la poésie, même la plus rebelle et abrupte, poursuit toujours la lumière de la Bonté et de la Beauté. Tous les petits fleuves, torrents ou ruisseaux ayant leur source dans une douloureuse nécessité d’expression poétique vont tôt ou tard s’échouer dans l’immense mer du partage et de la réconciliation.
Dans le monde entier, la France est sans doute le pays le plus sensible à l’importance des mots, à la force des mots, à la responsabilité que comportent les mots. Cependant, les premiers temps de mon séjour à Paris, j’étais étonné par le nombre de cercles de lecture et d’ateliers d’écriture auxquels se soumettaient aussi, à ma grande surprise, des écrivains et des poètes reconnus. Je m’en émerveillais et me disais aussi que c’était une caractéristique de la culture française, celle de tout faire passer par une école : « qu’elle soit l’école pour tous ou une école d’élite, cela ne change pas grand-chose ! » Avec le temps, cette première impression s’est complètement renversée. Moi aussi, échangeant sur Internet à partir de mon blog et de mon compte Twitter, je me suis mis plusieurs fois à l’épreuve en des ateliers d’écriture poétique comme les « vases communicants » lancés par François Bon ou la « ronde » de Dominique Autrou et Hélène Verdier. Cela m’a aidé à saisir le sens profond de ces échanges, ayant pour but primordial le développement et l’approfondissement de la connaissance de la langue et de la littérature française. J’ai enfin compris que l’apprentissage de l’écriture, véhicule irremplaçable d’une culture de plus en plus vaste et partagée, ne devrait pas s’arrêter, comme il arrive à la plupart de nos concitoyens, au terminus des études scolaires. Il faudrait continuer, même si l’on n’a pas envie de devenir poète jusqu’au bout, parce qu’au fur et à mesure qu’on apprend à lire et à s’exprimer correctement on devient plus civilisé, perméable à la connaissance et ouvert aux autres.

Régine Nobecourt-Seidel

Vendredi dernier, Régine Nobecourt-Seidel, invitée de Vital Heurtebize et des Poètes sans frontières« avec son dernier recueil poétique — « De lunes, de rêves et d’embruns », nous a amené l’âme et l’esprit de sa Provence natale, nourris par son enfance dans les hauts de France : « Si je suis ce que je suis, dit-elle, c’est parce que j’ai vécu en Picardie une enfance particulière ».
Ondoyant entre ces deux paysages ô combien antagonistes, Régine nous invite à l’accompagner dans une longue traversée au rythme d’une marche courageuse et même héroïque où s’alternent l’enthousiasme naïf pour la force représentative des mots et la sensibilité à fleur de peau envers les couleurs et les bruits de fond venant du magma de l’existence ;

« Sur l’onde de ma nuit, intensément je vis,
responsable, gonflée de mille nouvelles envies
et s’affirment mes choix !
Sur le bord de ma nuit
quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi. »
Régine Nobecourt-Seidel, « Révélation » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 55

En fait, par sa marche, elle traverse les lieux de sa mémoire telles les tombes des aînés ou alors les ombres fuyantes de son passé à elle. Des lieux qui demeurent pourtant séparés et inaccessibles.
Ce sont les lieux qui l’inspirent ou alors s’agit-il de vagues qui montent à la gorge avec les mystères impénétrables qu’elle porte en elle-même des vivants et des morts ? En s’identifiant tout à fait dans l’esprit du poème ci-dessus de Pierre Reverdy, Régine Nobécourt-Seidel a declaré : 

« Je suis dure
Je suis tendre
Et j’ai perdu mon temps
À rêver sans dormir…. »

En lisant les poèmes ci-dessous, vous pourrez y saisir une grande énergie, mais aussi le poids des épreuves endurées, voire les traces de quelques cicatrices qu’on ne peut pas effacer : la poésie assume sans doute, pour elle, une fonction apaisante et consolatrice. Chaque poésie pourrait se transformer en chanson. En même temps, ce vécu douloureux où les déchirures et les ruptures ne semblent pas complètement s’apaiser représente pour Régine un patrimoine identitaire auquel elle ne saurait pas renoncer. Elle ne veut pas oublier, elle revendique au contraire sa diversité, son unicité de femme et d’auteure. Elle semble d’ailleurs suspendue au beau milieu de sa traversée, incertaine sur le chemin à emprunter au tournant peut-être décisif de sa vie. Elle déclare qu’il n’y a plus de beauté dans notre monde. La poésie saisit la lumière du présent là où elle se trouve à éclater, par une hasardeuse coïncidence d’évents favorables. Sinon la poésie en cherchant la lumière, ne rencontre pas forcément la beauté…

Giovanni Merloni

18.01.2019 – Extrait du récital poétique de Régine Nobecourt-Seidel (vidéo)

« Pour Régine Nobecourt-Seidel qui se dit agnostique, il est troublant de voir combien des luttes et des combats qui sont les siens, elle en sait les mêmes remous et les pièges que les grands contemplatifs et mystiques de tous les temps ! Comme eux, cette souffrance de vie est aussi ce qui la fait vivre et rechercher la terre de paix dans les moindres brisures et éclats de l’instant. »
Marie Tuyette, préface à « De lunes, de rêves et d’embruns» de Régine Nobécourt-Seidel

18.01.2019 – Claire Dutrey lit « À fleur de nuit » de Régine Nobecourt-Seidel (vidéo)

Solitude grande
quand gronde le silence des mots
à fleur de peau
à fleur de rêve
à fleur de nuit.

Abîme sans fond
entrevu noir profond
quand gonfle le soufflé de l’absence
dans le creuset
des vagues d’amer.

De flux en reflux
s’amoncellent regrets ou remords.
Résilience.
Et toujours l’haleine chaude
de l’Auran blanc des souvenirs.

Clairières d’enfance en secrets emportés
loin, trop loin
par d’autres à peine entrevus, très loin
dans les vestibules d’un autrefois
pourtant en étoiles d’avenir.

Éblouissement au goût de sel
en cette nuit de solitude grande.
Et puis plus rien.
Sombrer enfin dans
le ventre offert du sommeil.

Régine Nobecourt-Seidel, « À fleur de nuit » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», pages 37-38

Claire Dutrey

Enfin la fin d’un soir
qu’ensemencent les erreurs
du jour en partance.

Ma pensée se vrille de vaines attentes,
ma vue se brouille et
s’emmèle dans la pelote nouée
des réticences et des défis
mal ficelés d’une opaque journée.

Nouvelle nuit ondoyant mes insomnies
tendues du drap bleu horizon.
Mensonge toujours en devenir.

Trahison.

Régine Nobecourt-Seidel, « Trahison » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 11

L’âme des cyprès en étoiles de sanglots
s’évapore,
nappe d’oubli fangeux au-dessus des tombes
et des ombres qui flânent encore.

C’est un jour finissant sans ardeur ni ferveur,
un jour qui s’effrite en larmes sans saveur ni candeur.

L’haleine des buis s’ennuie
et résonne
au ras des souvenirs en péril dans le silence gris
des grès et des marbres écornés.

C’est une nuit qui s’invite en tapinois.
C’est une nuit contrite qui déjà, sur les flots, se noie.

Le souffle de ton cœur étreint la cime de tes rêves
et coulent
dans tes veines, en saccades vaines,
le doute et de ta finitude, la certitude.

C’est un autrefois qui se mêle, s’éternisant,
dans ton aujourd’hui perdu et fourbu.

C’était le jour des morts, c’est la nuit des vivants.
C’est l’océan qui, au loin
lance,
sans foi ni loi, son lancinant cantique cynique.

C’est un autrefois qui sommeille et tremble
en étranges nuées fatiguées sur fond d’antiennes moirées.

Régine Nobecourt-Seidel, « Soir sur les tombes » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», pages 16-17

Je marche seule en gris et noir, noir et blanc, dans le blanc laiteux du ciel et le vert des prairies piquées de vaches, blanc et noir, le vert de gris de ma Province natale.

Ô âmes grises de mes vertes années acidulées, vous vous diluez en l’écume mousseuse des nuages si bas qu’ils semblent vouloir me happer pour m’y dissoudre à jamais.

Mais je marche encore.

La main infatigable du temps n’a cessé de tourner le moulin ancestral de nos moissons. Elle moud sans faillir nuit et jour et sans fin les mille grains de nos vies en chagrin noyé dans la lie du regret, de la colère, des remords parfois.

Et je marche.

Fouler la terre de l’enfance et recueillir la cendre d’un passé définitivement révolu et muet, enfoui sans avoir livré ses secrets !

Le vent de la lame aiguisée de la troisième fileuse me hérisse le poil et me glace tandis que la pluie, à ma place, se met à pleurer sur la plaine définitivement désolée. Plus douce que les larmes pour les cicatrices mal refermées.

Et je marche.

À nouveau rejoindre le fleuve paresseux qui, de sommes en veilles, s’étale en son lit, pas pressé de rejoindre la mer. Lui, il semble toujours sommeiller en attente de rares éveils de soleil. Il berce inlassablement tous ces enfants du monde entier venus mourir en ses bras généreux et nourrir la terre grasse de ses flancs.

Goût fade de ce qui est à jamais perdu et pourtant si vibrant, si lumineux dès qu’on ferme les yeux et respire à pleins poumons tous ces effluves à nul autre pareils, ce chant d’une terre qui nous a fait naître et grandir.

Régine Nobecourt-Seidel, « Frissons en terre d’enfance » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», pages 27-28

Une escapade au goût d’amande amère
sur fond de cassis et de pain d’épices
notes de tête en rhum et vanille
et puis vapeurs-haleines
en échange de paroles entre ciel et terre

Brûlures de neige, brisures d’âcres gouttes
en carillons de décembre
et ce sont visages en vagues de sourires
pour mieux cacher comme le fait neige
les fêlures de l’âme et les crevasses du cœur

On festoie, voile tendu dessus l’hier
et rideau sur demain
C’est fin d’année en noir et blanc
noir sur ciel d’offrandes virginales
Clairvoyance ou naïve foi

Régine Nobecourt-Seidel, « Parenthèse d’hiver » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 42

Sur le bord de ma nuit j’enjambe le pont des Soupirs
et m’envolent les flots cotonneux !

Sur l’onde de ma nuit
flottent et s’égaient mes tourments.
Vogue, vogue ma confiance !

Dans le sillage de ma nuit
je joue l’innocent dauphin fantasque
et me dérobe le vaisseau des songes.

Dans les vagues de ma nuit
me laisse emporter en éclats d’obsidienne
et se brise le miroir de ma conscience.

Alors s’ouvre un espace infini, autre lieu, autre vie
visages qui se superposent, sourient, parfois me supplient.

Me souffle l’insaisissable étoile vers des rivages sauvages
où s’échoue ma galère harassée. Fini l’esclavage !

J’aborde sur ces terres inconnues, toujours renouvelées
des rêves sages ou fous aux couleurs de souvenirs,
aux parfums surannés d’expériences inouïes, insensées !
Gesticulations, vapeurs de silence d’embruns en devenir.

Mille passions s’époumonent et s’assouvissent.
Des sentiers de pierre de lune s’ouvrent, se déploient.

M’aspirent et s’y libèrent mes espoirs, s’y dessine un destin,
s’y perdent mes doutes et y fleurissent mes dessins.

Dans les vagues de ma nuit,
l’Inconnu me grise et me soumet.
J’agis et tout se délie.

Dans le sillage de ma nuit,
se pressent les vivants et les morts réunis
en murmures et confidences et je me réjouis.

Sur l’onde de ma nuit, intensément je vis,
responsable, gonflée de mille nouvelles envies
et s’affirment mes choix !
Sur le bord de ma nuit
quand le jour surgit, je sais qui je suis : Moi.

Régine Nobecourt-Seidel, « Révélation » sur « De lunes, de rêves et d’embruns», page 55