Étiquettes

001_palloccosa def 180

Giovanni Merloni, La poupée, décembre 2014

Cette petite joie fuyante

Je m’évertue
(puisqu’il n’y a pas d’issue)
à capturer les souvenirs du monde
de ce monde inconnu
dont je peux juste attraper des rayons invisibles
de klaxons inaudibles
hors du mur d’une prison
horrible.

J’aime bien amalgamer
ces images disproportionnées
de personnes saines ou malades
ou mortes
au-delà de ma porte.
C’est bien sûr mon pari,
c’est la fresque d’une vie
qui pourtant s’évanouit
au milieu de mon lit.

Il me faut pour cela
une fatigue immense.
Juste un mot chaque jour
du calendrier
juste une tache sur ce mur
meurtrier.

J’aime bien imaginer
(quand je me raccourcis)
de minuscules abris,
de cabanes sans-souci,
de soupentes secrètes
(interdites aux geôliers),
au milieu de ce bruit
que fait l’olivier
emporté par la nuit.

J’aime enfin me leurrer
à l’idée d’une fenêtre
d’où la lumière pénètre
juste une fois,
au couchant d’une journée.
Avant de m’endormir,
j’observerais peut-être
au-delà de la nuit barrée,
un manège de gens
se dévisageant, se hurlant
réciproquement,
au milieu d’un vacarme accablant, retentissant.

Ce ne sera qu’une fois
qu’une semblable merveille
se produira,
par enchantement.
Ce sera d’un dimanche, l’on verra ma chemise blanche,
ma cravate de vent
mon élégant costume
gris. Mon histoire
ressuscitera, sans amertume,
allègre, en sautillant.
Oui, l’histoire d’avant,
elle revivra sans pudeur
comme une ombre étrangère
et pourtant légère
constellée du bonheur
que je brûlais naguère
avant que j’entre, rêveur,
dans ce cachot
horrible.

Ça ne durera qu’un coup
de toux, le temps
d’un crachement
contre ce mur qui ment :
juste les derniers gestes
d’une folie et d’un drame
qui avaient ravi mon âme.

Il suffira d’un soubresaut
de cet arbre lointain
que je grimpais en vain,
juste le temps d’une rafraîchie,
d’une tempête de vie.
Soudain, ta bouche amoureuse
me dira : « je te comprends,
ce n’est pas à toi
la faute de tout ça. »

Quand on est désormais
bien au-delà d’une renonciation
et qu’on est en prison,
j’ai, tu vois, tout le temps
pour comprendre
ce qui était bien facile
à comprendre : voilà,
je ne me suis pas précipité
tout de suite
à ta poursuite ;
voilà, je n’ai pas lutté
contre la violence du monde.

Pourquoi ne t’ai-je pas volée
(négligeant mes scrupules) ?
Pourquoi n’ai-je pas attrapé
(mettant de côté
mes sentiments de culpabilité)
cette petite joie fuyante
s’éloignant doucement
au-delà de ce mur
horrible ?

Giovanni Merloni

TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN

Cette poésie est protégée par le ©Copyright, tout comme les autres documents (textes et images) publiés sur ce blog.