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La dévotion dans l’amour
Nuit de vendredi 7 septembre 1962
Cette année, l’arrivée de Lello Rizzacasa est particulièrement importante, car moi aussi…
Grâce à mon esprit de contradiction inné, j’ai enfin profité de la tache de brebis galeuse de la famille qu’on m’avait collée dessus à cause de mon rattrapage en deux matières…
Je n’avais plus rien à perdre…
Je me suis découvert finalement capable de traîner, par des airs rudes et désinvoltes, une blonde milanaise de mon âge derrière les cabines des Bains Conti de Cesenatico. Rosanna Ribaldi, celui-là était son nom, m’avait longuement parlé de son immeuble anonyme à Sesto San Giovanni… et j’avais su me plonger dans l’écoute de la description de son immense phalanstère gris, d’où elle pointait au petit matin, en hiver, avec une allure calme et assurée à la fois…
J’avais profité de redoutables ondoiements de ses cheveux blonds sur l’eau nocturne de la mer Adriatique, protestant que cette lugubre balançoire rouillée paraissait une guillotine : « On doit absolument défendre la valeur essentielle de la langue et de la tête ! » avais-je hurlé par un timbre assuré dont je ne me serais jamais jugé capable.
Nos têtes s’étaient alors trouvées d’accord pour une coexistence tout à fait pacifique tandis que nos langues se découvrirent favorables à un échange assez intense entre le nord et le sud de notre étrange pays. Je touchais le ciel d’un doigt… mais, tout de suite après mon départ à Rome, la blonde Rosanna s’était jetée, avec toute la distinction de ses yeux bleus, dans les bras d’un autre, auquel, j’imagine, elle n’aura pas épargné le récit cadencé de nombreux escaliers de son immeuble brumeux. Inutile de dire que cette nouvelle, apprise au téléphone, avait violemment bloqué mon estomac tandis que mon père se complimentait pour ma « saine réaction »
— Les femmes doivent glis-ser… dit Lello de façon solennelle, faisant tourner les doigts, écartant les jambes à triangle et indiquant enfin ses attributs. C’est par ici qu’elles doivent passer !
Qu’est-ce qu’il lui était arrivé ? Celui qui vénérait un jour Anita Casalanguida à l’instar du jeune Ortis, l’été dernier était devenu très habile et empressé quand il s’agissait de courir au secours des femmes noyées sur la plage de Francavilla sur mer. Un véritable sceptique bleu.
Une fois arrivés à la terrasse du Zodiaco, nous alternions, comme d’habitude, les confidences personnelles à l’examen attentif de la ville en dessous de nous. Elle est charmante et voluptueuse la courbe du Tevere longée par le nuage obscur des platanes se détachant contre les palais en travertin ! Plus en profondeur, nous retrouvions la grande tache verte de Villa Borghese, tandis que, sur notre droite, la vue de Saint-Pierre est, hélas, complètement ratée à cause de la perspective défavorable. Au-delà d’un morceau de campagne submergée de préservatifs, les toits et les coupoles de la Rome ancienne sont insaisissables.
En cet endroit lumineux et tranquille, où les yeux ne sont pas gâtés ni gênés par une splendeur exagérée, Lello Rizzacasa, avec une spontanéité moins élégante que crue, nous a parlé de ses progrès…
— Je suis arrivé jusque-là… avec une femme qui va se marier bientôt.
Un soir, au dancing « Lido » de Francavilla sur mer, Lello était monté sur la piste avec ses amis Edenio et Epimenio, avant d’entamer un chœur censé accompagner, par un jovial « pa-ram-pam-pero-però », une chanson connue :
Le pull-over que tu m’as donné,
sache, ma chère, il possède une vertu,
il a la chaleur que tu me donnais,
et je rêve de rester auprès de toi… (1)
La chanteuse, Amanda, avait les cheveux longs jusqu’à l’os sacré tout en exhibant plus de courbes que le « grand huit ». Le chanteur, Dolver, venu de Romagne, avait des favoris touffus ainsi que de la brillantine sur la mèche folle. Ce soir-là, Amanda et Dolver se disputèrent. Seul avec Amanda, au milieu des câbles et des haut-parleurs du plateau sans lumières, Lello était bien à l’écoute, essayant de placer ici et là quelques petites phrases humoristiques pour contourner le drame.
— Dans une semaine, j’épouserai Dolver.
— En es-tu sûre ? Ne vas-tu pas épouser un… Pull-over ?
Lello n’imaginait pas que son allégresse mesurée et chirurgicale aurait rayé cette fragile digue, jusqu’à provoquer une crue bénéfique.
« Une crue de beurre liquide ! » pensai-je, révolté.
— Malgré toute limite, on peut se perdre dans les abîmes inconscients d’une rencontre à moitié… était-il en train d’expliquer quand, par son sourd tremblement, le passage d’un avion au-dessus de nos têtes nous interrompit.
Reprenant la descente, nous trébuchions sur les racines des pins quand Dodo se souvint de mon examen qui s’approchait :
— Quel est ton papier de tournesol ? demanda Dodo, faisant semblant de m’interroger en sciences.
— La dé-vo-tion dans l’a-mour ! répondit Lello, m’indiquant du doigt.
Giovanni Merloni
(1) Il pullover che m’hai dato tu/ Sai mia cara possiede una virtù/ Ha il calore che tu davi a me/ E m’illudo di stare insieme a te…
Pull-over… the rainbow !
Très agréable lecture, surtout par grand vent et ciel bien trop gris,
À suivre donc,