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Avant, Pendant-Durant et Après l’amour

Je ne saurai jamais créer une « distance au personnage » suffisante. Même si ce personnage ne me ressemble pas, même s’il endosse des noms extravagants et neutres, celui-ci gardera toujours un aspect redoutable et embarrassant.
D’ailleurs, le déroulement des années ne suffit pas non plus à créer un filtre, un décalage acceptable.

Je me lève
et ma tête se tourne
poursuivant la lumière.
Toi, derrière,
de ton pas taciturne,
tu t’éclipses au-delà
de la ligne incolore
du dernier horizon. (1)

Les fragments de vie que ces poésies « d’avant l’amour » m’ont reportés dans leur inquiétante intégralité ont-ils servi à quelque chose ? Ont-ils créé ou élargi encore plus un gouffre déjà existant ? Ont-ils ouvert une différente vision de ce passé perdu, mort enterré à plusieurs égards ? Est-ce que je serai enrichi ou amoindri au terminus de cette course brinquebalante ? Et les lecteurs fidèles, ceux qui ont essayé de reconstruire la mosaïque ou le puzzle, est-ce qu’ils ont compris ou deviné quelque chose ? Est-il important, voire indispensable, de deviner ou savoir quelque chose ?
Si je m’éloigne vraiment, si je me cale dans ma fosse et que je regarde cette vie écoulée comme le film d’un autre, d’un ami ou d’un frère, je peux tout simplement évoquer une époque révolue, où les vies des jeunes hommes et des jeunes femmes avaient des contours et des couleurs tout à fait inimaginables aujourd’hui. Des vies dérangées et contrariées par des ordres aussi péremptoires qu’inapplicables voltigeant comme de nuages noirs sur un désordre de fond, sur un besoin inné d’insouciance, d’allégresse et d’amour.

Elle est la dernière lune
se perdant dans la chaleur du jour.
Elle est
ce coin reculé
où nos voix s’égosillent
et nos corps se croisent
encore une fois.
Elle est
notre lit endormi
où nos ombres silencieuses
s’effondrent. (2)

Ces poésies « d’avant l’amour » ne sont pas le résultat d’une méticuleuse récolte de traces et de preuves incontestables. Elles ont été « sauvées » plusieurs fois, de façon abrupte et charitable, lors de déménagements qui ressemblaient à des véritables tremblements de terre ou des naufrages. Impossible de leur donner un ordre, d’y discerner ce qui rentre effectivement dans ce limbe de « l’adolescence infinie » et ce qui appartient, au contraire, à d’autres phases de la vie adulte.
Les amants de la poésie savent bien que chaque poésie est un monde, cependant que trois ou quatre poésies en file indienne ne font jamais une histoire cohérente. Mais comment ne pas s’apercevoir, en lisant la poésie de mardi 7 avril, que les deux personnages se promenant le long d’un canal ne sont pas deux adolescents en train de mâcher des gommes américaines ? Elle n’est pas ma camarade du lycée qui se maria à l’improviste, peu après les examens finaux, avec un homme de trente ans qu’elle rencontrait depuis un an désormais. Elle n’est pas non plus la première ni la seconde femme que j’ai aimée dans une alternance de générosité et de masochisme. Il ne rentre pas dans ce climat flou « d’avant l’amour » une histoire de familles traversées par les tabous, les hypocrisies et la peur… Tout agit dans le fond d’un corps embaumé dans une espèce de chasteté protégée et chérie par mille caresses féminines…
Avant l’amour, on assiste à l’amour des autres. Pendant l’amour, on subit le regard envahissant et jaloux des autres. Après l’amour… Il n’y a pas vraiment un véritable « après l’amour », même après notre mort. Nous aurons été vivants, et amoureux, comme Monsieur de La Palisse, jusqu’au dernier instant, jusqu’au dernier souffle.

Ô combien me ressemble
cette mort souveraine
soufflant sans peine
sur nos fronts détendus !
Avec quelle élégance passe-t-elle
avec la nuit, sa sœur jumelle
devant les murs, les vitrines
et nos médiocres rétines
au milieu d’une joyeuse traînée
de cendres et fumées… (3)

Et pourtant la vie reste un mystère. Comme dans cette poésie de mardi ci-dessous. Nous étions mal compris, frustrés, visiblement souffrants : « avec ce poème… nous assistons à un être inquiet… Je pense que vous avez dû vivre une expérience pénible avec une femme que vous avez beaucoup aimé et dont le souvenir vous a laissé un malaise emprunt de remords », m’a écrit une chère amie dans un message très récent. Cependant, quelque chose doit être arrivé, un beau (ou mauvais) jour. Parce que ce même personnage désespéré et pathétique s’effondrant dans les bancs publics avec des attitudes de Pierrot lunaire… est devenu tout d’un coup un homme désinvolte. Un « satirone » (4)

Giovanni Merloni

(1) J’approche d’un mur de plâtre
(2) Foulard céleste
(3) Tes cils clairs font des tours
(4) Un « vieux satyre » en italien